Quelle valeur peut avoir l'opinion publique?

« Référence principale : Alain Propos sur les pouvoirs, Propos de politique Le terme d'« opinion publique » est une expression très galvaudée dans notre société démocratique contemporaine, mais il est très difficile de le définir.

L'opinion publique est elle l'opinion de tous les citoyens ? D'une majorité ? La somme des opinions particulières ? Les citoyens d'une démocratie acceptent par un accord tacite d'être gouvernés par un représentant qu'ils élisent.

Mais leur obéissance n'entraîne pas forcément leur approbation ; ils conservent un droit de jugement.

La classe gouvernante en réfère souvent à cette opinion publique, aussi nous sommes tentés de lui accorder une place capitale.

Mais si l'opinion publique, lorsqu'elle est éclairée, détient un pouvoir susceptible de s'opposer à la force de l'Etat, elle est un outil à manier avec précaution, car elle peut s'avérer très ambiguë, voire dangereuse.

Ce que l'on entend sous le nom d'opinion publique n'est pas nécessairement l'opinion réelle, mais le plus souvent une opinion privée. 1) L'opinion publique comme force citoyenne d'opposition a) L'opinion contre l'abus de pouvoir Le pouvoir tend naturellement aux abus ; pour l'en détourner, le peuple doit faire entendre sa voix.

Contre la force qui gouverne, nous ne pouvons qu'opposer une autre force et la seule qui soit vraiment efficace contre le pouvoir est l'opinion.

Sans cette résistance d'esprit, la force qui gouverne est toujours triomphante.

La solution des citoyens ne réside pas forcément dans l'action politique, mais dans l'opinion publique, librement exprimée.

(Montesquieu, De l'Esprit des Lois) b) le pouvoir craint l'opinion Les maîtres ne se contentent pas d'être obéis par nécessité : ils veulent être approuvés et respectés, pour sentir que leur pouvoir est légitime (importance de la propagande).

C'est pourquoi l'opinion publique est aussi capitale dans un régime tyrannique que dans une démocratie : il est dans la nature des gouvernants de craindre l'opinion publique. C'est de cette peur que le peuple tire sa puissance et peut exercer un moyen de pression (grèves, manifestations, etc…). c) l'opinion publique est plus éclairée que l'opinion d'un seul En matière de politique, l'avis collectif est souvent plus raisonnable que l'avis d'un seul, fut-il expert.

L'individu seul n'est pas le plus avisé ni le plus clairvoyant, quelles que soient ses compétences.

Les intérêts personnels s'annulent et se compensent au sein d'une opinion publique, comme opinion de tous les citoyens.

(Aristote, Les politiques) 2) Les dangers de l'opinion publique a) une idée partagée s'affaiblit : Alain Au contraire, on peut penser que le fait d'échanger des idées les affaiblit.

Une opinion n'est forte que si elle n'a pas subi d'influence, l'argumentation n'aboutit qu'à une pensée faible de consensus (Alain).

On préfère alors à l'opinion publique une somme d'opinions individuelles. b) opinion publique, opinion de personne ? Nous (gouvernants et gouvernés) nous déterminons quotidiennement par rapport l'opinion publique mais paradoxalement, elle n'est en réalité l'opinion de personne; c'est un être anonyme, flou et mal défini.

D'où vientelle ? Émane-t-elle du peuple, nous est-elle imposée à notre insu ? Étrangement, l'opinion publique ne peut exister qu'en s'ignorant, c'est-à-dire à la condition que chacun d'entre nous se forme pour soi une opinion propre. c) la dictature d'opinion Il faut être vigilant face à cet avis général dont personne n'est l'auteur.

Si nous renonçons à notre faculté de juger, la menace d'une dictature d'opinion plane.

Or il n'est pas certain qu'un homme puisse se forger une opinion éclairée sur un sujet particulier sans connaître celles des autres ; c'est une démarche naturelle que de consulter nos cocitoyens.

Aujourd'hui plus que jamais, la démocratie est menacée par la dictature des sondages et la faiblesse d'un authentique débat public 3) conclusion possible : une opinion publique n'a de valeur que si elle est éclairée Le problème de la valeur de l'opinion publique est capital dans le cadre d'une réflexion sur la démocratie, la classe politique devant consulter le peuple et recourir au débat public.

Il ne faut pas que cette consultation aboutisse à la dérive d'un gouvernement régi par une opinion publique indéfinie que tout le monde suit sans y avoir réfléchit.

Le jugement et l'esprit critique du citoyen sont les conditions absolues d'une opinion publique forte et lucide, et donc de la démocratie, contre toute forme de tyrannie ou de démagogie.

C'est pourquoi l'éducation de l'opinion est capitale.

Il s'agit de former des « citoyens éclairés », des esprits libres.. »