Quelle idée le sens commun se fait-il de la philosophie ?
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«
INTRODUCTION
Le sens commun ne doit être confondu ni avec le bon sens, qui lui est supérieur (c'est la raison) ni avec le
sentiment qui lui est inférieur (c'est alors une idée plus vague, plus confuse, moins nette).
La sagesse des nations
peut donner une première idée du sens commun, ensemble des idées reçues, suivant le mot de Flaubert, préjugés ou
illusions dus à des croyances collectives.
Cela forme le plus bas degré de connaissance, celui que Spinoza appelait
l'experientia vaga — et qu'il attribuait aux ultimi(s) barbarorum.
L'homme de la rue, l'élève qui entre en classe de
philosophie ou l'enfant qui raisonne par ouï-dire, par on-dit, voilà ceux qui possèdent le sens commun.
Que pensentils donc de la philosophie ?
1ière PARTIE : Définition probable.
1° C'est l'art de parler de tout pour ne rien dire : c'est une sorte de connaissance sans objet, sans utilité pratique,
sans aucun but — dont l'idéal relève à la fois d'une folie douce et d'une distraction légendaire.
C'est une
abstraction pure.
2° C'est donc un verbalisme — logomachique — (Leibniz disait : un psittacisme) qui ne saurait avoir d'intérêt
pratique.
C'est un pur jeu d'idées (Paul Valéry) ou un ensemble de réflexions autour de quelques mots vides.
« L'art
de parler vraisemblablement de toutes choses » (Descartes, Discours).
3° C'est aussi une certaine manière de se comporter — une façon de conduire sa vie ou sa raison, de tempérer ses
passions et de rester en tout modéré, mesuré réfléchi, assagi.
Le Philosophe est ici le Socrate du Banquet— seul
debout devant ses convives ivres-morts.
2e PARTIE : Qu'est-ce que le sens commun attend de
la philosophie ?
1° La solution de certains grands problèmes : l'existence de Dieu, l'immortalité de l'âme, le Bien et le Mal, la réalité
du monde extérieur, l'origine de l'Univers, etc..
« D'où vient l'astre ? Où va le chien ? 0 nuit !...
»
2° Un bréviaire, un catéchisme répondant à toutes les questions humainement possibles par oui ou par non, avec
explication et mode d'emploi.
Les solutions ne doivent pas être offertes en vrac, mais hiérarchisées.
Elles doivent
s'exclure : une seule doit s'imposer : la bonne.
3° Une vérité, la vérité, comme 2 + 2 = 4.
La Philosophie devrait apporter une certitude apodictique absolue.
3e PARTIE : Portrait approché du Philosophe.
1° C'est un surhomme.
Il tient du sage, du héros et du saint.
Beaucoup plus proche de M.
Vincent que de
Descartes, le philosophe est volontiers pour la foule ce sage stoïcien qui, le jour où l'émeute éclata en Asie Mineure,
sut par sa seule présence galvaniser les combattants puis les radoucir au point de les faire rentrer tranquillement
chez eux.
2° C'est un savant, avec ses ridicules et ses travers, avec sa grandeur solitaire aussi.
Il cherche.
Peut-être ne
trouvera-t-il rien, mais son mutisme est éloquent ; son silence paraît profond.
Il médite : c'est un métier comme un
autre.
Il est marchand de pensées, comme d'autres vendent des boîtes de conserve.
Sa science est un travail, mais
d'espèce inférieure.
Ce n'est pas un travailleur de force.
3° C'est un penseur.
Mot ridicule recouvrant un contexte identique.
Le Penseur est ce Promeneur solitaire, ce Visionnaire, ce demi-fou
entre l'ange et la bête, mais très loin de l'homme.
Grand esprit ou pauvre d'esprit, avec ou sans génie, il est cet
inutile, ce « charmant inutile », l'albatros du poète ou le magister de la fable.
On ne saurait vivre sans boulanger :
mais on peut vivre sans philosophe.
Primum vivere, deinde philosophai.
CONCLUSION : Esquisse d'une solution.
1° La philosophie n'est pas ce qu'un vain peuple pense : c'est la recherche des connaissances les plus concrètes et
les plus profondes par une réflexion de soi sur soi et dans une perspective de synthèse totale.
C'est une quête, une
enquête où les questions comptent plus que les réponses (Cf.
Jaspers, Introduction à la Philosophie).
2° Le sens commun est toujours déçu car la philosophie n'apporte jamais de solutions toutes prêtes à porter.
Il faut
réfléchir par soi-même, et l'on ne trouve rien que l'on n'avait déjà auparavant.
« Tu ne me chercherais pas...
».
« Se
moquer de la philosophie, c'est vraiment philosopher ».
3° Le philosophe peut se définir en suivant Paul Valéry : «
J'appelle philosophe tout homme de quelque degré de culture qu'il soit, qui essaie de temps à autre de se donner
une vue d'ensemble, une vision ordonnée de tout ce qu'il sait — et surtout de ce qu'il sait par expérience directe,
intérieure et extérieure.
» Ainsi caractérisé le philosophe est l'homme même et il ne saurait être plus ou moins que
l'Homme de la Rue.
Alain dit quelque part : « Je suis né simple soldat.
».
»
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