Quelle est l'attitude de la science en face du hasard ?
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«
INTRODUCTION.
— La science est essentiellement déterministe, c'est-à-dire qu'elle croit à l'existence de lois liant
de façon constante les phénomènes aux mêmes causes, et, partant, à la possibilité de prévoir l'évolution et l'état
futur d'un système si l'on connaît son état présent et ses lois.
Or, l'apparition de nombreux phénomènes relève du
hasard, c'est-à-dire que, selon le sens commun, ils sont imprévisibles et parfois difficiles à expliquer par leurs
antécédents.
D'où le problème posé à la science par le hasard : niera-t-elle l'existence du hasard, ou renoncera-telle à l'universalité du déterminisme ?
Notons que le fait de donner une définition précise du hasard consiste déjà à prendre parti scientifiquement à son
sujet : c'est pourquoi nous indiquerons les diverses définitions qu'on a données du hasard en précisant l'attitude de
la science à son égard.
I.
— LA SCIENCE CHERCHE A RÉDUIRE LE DOMAINE DU HASARD.
A.
Théoriquement, la science tend à diminuer le nombre des faits que les esprits ignorants attribuent au hasard.
Ceci se réalise d'abord dans l'effort de l'esprit scientifique pour préciser la notion même de hasard.
Il y a dans cette
notion un élément subjectif et un élément objectif qui sont inséparables : on ne peut rejeter ni l'un ni l'autre.
D'une part, l'esprit scientifique refuse du hasard une définition naïve qui n'y verrait qu'une propriété objective des
choses.
D'après cette conception, il y aurait dans la nature une foule de phénomènes qui se produiraient sans avoir aucune
cause efficiente, et c'est pour cela que nous ne pourrions ni les prévoir ni les expliquer : tels seraient les
phénomènes fortuits.
La science, étant déterministe, admet le principe de causalité suivant lequel tout phénomène
a ses causes et est déterminé par elles.
C'est là une attitude « a priori » à laquelle le savant ne renoncerait que si
les faits venaient à l'y contraindre.
Elle pousse le savant à rechercher les causes des phénomènes qu'il ignore
encore.
D'autre part, la science refuse une définition purement subjective du hasard selon laquelle les événements fortuits
seraient simplement ceux qui nous étonnent ou nous surprennent parce que nous ne les avons pas prévus, sans que
rien les distingue objectivement des autres.
La recherche scientifique tend à éliminer ce qui est attitude purement
subjective en face des faits, et par là, à diminuer encore le domaine apparent du hasard.
Certains philosophes
définissent le hasard par l'absence de causes finales.
Ainsi, SOURIAU : « Le hasard n'est que le conflit des causes
étrangères avec les fins que nous nous proposons : il n'existe qu'au point de vue de l'être qui agit d'après des fins.
»
(Théorie de l'invention, p.
66.) Ce point de vue est, en effet, un des aspects du hasard.
Et si le déterminisme
universel est vrai, il est exact que le hasard n'existe que pour un être jouissant à la fois d'une activité autonome et
finalisée sur lui-même, et d'un pouvoir et d'une conscience limités, comme l'homme et les animaux.
Le hasard
n'existe pas dans l'ordre minéral si le déterminisme absolu est vrai.
Il n'existerait pas non plus pour un esprit
omniscient et tout-puissant sur le monde matériel, qui connaîtrait et gouvernerait toutes les causes des
phénomènes.
Cependant, l'esprit scientifique cherchera à préciser la définition du hasard par des notes plus objectives que la
seule considération des causes finales.
Voici trois définitions qui déterminent bien trois catégories différentes de
faits auxquels la science applique la notion de hasard :
a) Selon COURNOT, le hasard est la rencontre imprévue de deux séries de causes indépendantes l'une de l'autre :
c'est un point de vue objectif : il faudrait compléter cette définition par l'aspect subjectif, en disant qu'il s'agit de
deux séries de causes indépendantes dans l'esprit de l'observateur, car un esprit précis fera remarquer que si ces
séries se rencontrent, c'est qu'il y avait entre elles des relations de temps et d'espace qui auraient pu faire prévoir
leur rencontre : objectivement, elles n'étaient pas totalement indépendantes.
Citons comme exemple l'influence d'un
changement de milieu sur l'évolution d'une espèce vivante.
b) H.
POINCARE appelle hasard le caractère d'un événement rigoureusement déterminé, mais tel qu'une différence
très petite dans ses causes produit une différence considérable dans l'effet, ce qui nous rend l'effet pratiquement
imprévisible.
Exemple : la roulette; les mutations biologiques.
c) Une troisième catégorie de phénomènes fortuits est celle où la causalité des faits individuels nous échappe, soit à
cause de sa complexité physique (météorologie) ou psychologique (phénomènes sociaux), soit à cause de la
multitude et de la petitesse de ces individualités (mouvements des molécules d'un gaz), mais où nous arrivons à
connaître des lois statistiques de ces faits.
Nous traitons alors comme fortuit le caractère particulier du phénomène
individuel.
B.
Pratiquement, la recherche scientifique tend à réduire le nombre des faits dits fortuits, par une connaissance plus
complète de leurs causes.
En somme, la science déterministe, dans cette conviction que tout hasard implique une
ignorance ou une impuissance de notre part, poursuit cet idéal d'un homme omniscient et tout-puissant sur la
nature, pour qui il n'y aurait plus de hasard, sauf dans ses jeux...
II.
— LA SCIENCE ÉTUDIE LES LOIS DU HASARD.
Même dans les phénomènes où la causalité et la prévision des phénomènes individuels échappent partiellement
ou totalement à la science, celle-ci prend sa revanche par la découverte des lois statistiques, ou lois du
hasard.
A.
Nature des lois statistiques.
— Quand nous observons un petit nombre de phénomènes individuels, nous
sommes surtout frappés par les caractères particuliers qui les distinguent les uns des autres, par leur aspect.
»
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