Quelle différence y a-t-il entre désirer et vouloir ?
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«
Définition des termes du sujet
Désirer et vouloir sont apparemment des termes assez proches, tous deux désignent l'action de tendre vers une chose.
Il faut ici tirer une leçon
philosophique de ce qui, malgré tout, les distingue.
A première vue, le désir se rapporte à une impulsion non rationalisée vers une chose, alors que la volonté
suppose un travail de l'intellect, une construction mentale relative à la chose vers laquelle on tend.
C ette différence du rôle de l'intellect suffit-elle à
distinguer le désir et la volonté dans leurs essences mêmes ? Existe-t-il une hiérarchie entre ces deux tendances ? C 'est l'enjeu du sujet.
Proposition de plan
I.
L'opposition entre désir et volonté du point de vue de leur rationalité
La première distinction qui vient à l'esprit lorsque l'on cherche à distinguer l'action de désirer de celle de vouloir est que la volonté est servie par la raison
alors que le désir est une impulsion irrationnelle et non rationalisable.
Le désir relèverait de l'instinct, la volonté de l'intelligence ; ils seraient deux
manières de tendre vers une chose, mais basées sur des fonctionnements opposés.
Descartes, Discours de la méthode
« Ma troisième maxime était de tâcher toujours plutôt à me vaincre que la fortune, et à changer mes désirs que l'ordre du monde ; et généralement de
m'accoutumer à croire qu'il n'y a rien qui soit entièrement en notre pouvoir que nos pensées, en sorte qu'après que nous avons fait notre mieux, touchant les
choses qui nous sont extérieures, tout ce qui manque de nous réussir est au regard de nous absolument impossible.
Et ceci seul me semblait être suffisant
pour m'empêcher de rien désirer à l'avenir que je n'acquisse, et ainsi pour me rendre content : car notre volonté ne se portant naturellement à désirer que
les choses que notre entendement lui présente en quelque façon comme possibles, il est certain que si nous considérons tous les biens qui sont hors de
nous comme également éloignés de notre pouvoir, nous n'aurons pas plus de regret de manquer de ceux qui semblent être dus à notre naissance, lorsque
nous en serons privés sans notre faute, que nous n'avons de ne posséder pas les royaumes de la C hine ou de Mexique ; et que faisant, comme on dit, de
nécessité vertu, nous ne désirerons pas davantage d'être sains étant malades, ou d'être libres étant en prison, que nous faisons maintenant d'avoir des
corps d'une matière si peu corruptible que les diamants, ou des ailes pour voler comme les oiseaux.
Mais j'avoue qu'il est besoin d'un long exercice, et d'une méditation souvent réitérée, pour s'accoutumer à regarder de ce biais toutes les choses ; et je
crois que c'est principalement en ceci que consistait le secret de ces philosophes qui ont pu autrefois se soustraire de l'empire de la fortune [stoïciens], et,
malgré les douleurs et la pauvreté, disputer de la félicité avec leurs dieux.
C ar, s'occupant sans cesse à considérer les bornes qui leur étaient prescrites par
la nature, ils se persuadaient si parfaitement que rien n'étoit en leur pouvoir que leurs pensées, que cela seul était suffisant pour les empêcher d'avoir
aucune affection pour d'autres choses ; et ils disposaient d'elles si absolument qu'ils avoient en cela quelque raison de s'estimer plus riches et plus
puissants et plus libres et plus heureux qu'aucun des autres hommes, qui, n'ayant point cette philosophie, tant favorisés de la nature et de la fortune qu'ils
puissent être, ne disposent jamais ainsi de tout ce qu'ils veulent.
»
II.
Le désir indomptable
C ette nature irrationnelle du désir peut amener à trancher de manière beaucoup plus abrupte entre désir et volonté, en faisant du désir une force bestiale et
indomptable, qu'il faut modérer autant que possible avec la force de la volonté : désir et volonté s'opposent alors finalement l'un à l'autre.
Platon, République
« SOC RA TE — Parmi les plaisirs et les désirs non nécessaires, certains me semblent illégitimes ; ils sont probablement innés en chacun de nous, mais
réprimés par les lois et les désirs meilleurs, avec l'aide de la raison, ils peuvent, chez quelques-uns, être totalement extirpés ou ne rester qu'en petit
nombre et affaiblis, tandis que chez les autres ils subsistent plus forts et plus nombreux.
A D I M A NTE — Mais de quels désirs parles-tu ?
SO C R A T E — De ceux, répondis-je, qui s'éveillent pendant le sommeil, lorsque repose cette partie de l'âme qui est raisonnable, douce, et faite pour
commander à l'autre, et que la partie bestiale et sauvage, gorgée de nourriture ou de vin, tressaille, et après avoir secoué le sommeil, part en quête de
satisfactions à donner à ses appétits.
Tu sais qu'en pareil cas elle ose tout, comme si elle était délivrée et affranchie de toute honte et de toute prudence.
Elle ne craint point d'essayer, en imagination, de s'unir à sa mère, ou à qui que ce soit, homme, dieu ou bête, de se souiller de n'importe quel meurtre, et de
ne s'abstenir d'aucune sorte de nourriture ; en un mot, il n'est point de folie, point d'impudence dont elle ne soit capable.
A D I M A NTE —Tu dis très vrai.
»
III.
Désirer et vouloir sont des actions similaires, mais se rapportant à des degrés divers de la réalité
Mais le choix d'une telle position faisant combattre la volonté contre le désir présente l'inconvénient de refuser toute efficace positive au désir.
C 'est contre
une telle position que réagit Spinoza en proposant une classification du désir et de la volonté qui lui permet de prendre au sérieux les deux actions en les
comprenant comme deux niveaux d'une même réalité.
C ette position permet de ne pas faire l'économie de la réalité de l'efficace positive du désir dans les
actions humaines, tout en célébrant la force de la volonté.
A lors, désir et volonté sont finalement différenciés mais pas opposés.
Spinoza, Ethique
« Toute chose s'efforce autant qu'il est en son pouvoir de persévérer dans son être.
L'effort par lequel toute chose s'efforce de persévérer dans son être
n'est rien d'autre que l'essence actuelle de cette chose.
Cet effort, en tant qu'il a rapport à l'âme seule, s'appelle : Volonté.
Mais lorsqu'il a rapport en même
temps à l'Â me et au Corps, il se nomme : Appétit.
L'appétit, par conséquence, n'est pas autre chose que l'essence même de l'homme, de la nature de
laquelle les choses qui servent à sa propre conservation résultent nécessairement ; et par conséquent, ces mêmes choses, l'homme est déterminé à les
accomplir.
En outre, entre l'appétit et le désir il n'existe aucune différence, sauf que le désir s'applique, la plupart du temps, aux hommes lorsqu'ils ont conscience de
leur appétit et, par suite, le désir peut être ainsi défini : « Le désir est un appétit dont on a conscience.
» Il est donc constant, en vertu des théorèmes qui
précèdent, que nous ne nous efforçons pas de faire une chose, que nous ne voulons pas une chose, que nous n'avons non plus l'appétit ni le désir de quelque
chose parce que nous jugeons que cette chose est bonne ; mais qu'au contraire nous jugeons qu'une chose est bonne parce que nous nous efforçons vers
elle, que nous la voulons, que nous en avons l'appétit et le désir.
».
»
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