Quel rôle l'art peut-il jouer dans l'éducation morale ?
Extrait du document
«
I.
— La question du rôle moralisateur de l'art a donné lieu, de tout temps, à des opinions contradictoires : les uns
veulent que toute oeuvre artistique ait un but moral et tende avant tout à nous rendre meilleurs et à nous faire
aimer la vertu ; les autres, sous prétexte que l'art est, selon le mot de Kant, « une finalité sans fin », prétendent
que l'art ne doit avoir d'autre but que lui-même, qu'il n'a absolument aucun rôle à jouer dans l'éducation morale.
II.
— Ces deux opinions contradictoires sont également erronées, parce qu'elles méconnaissent l'une et l'autre la
véritable nature, le véritable but de l'art.
Les oeuvres artistiques n'ont pas d'autre but direct que celui d'éveiller le
sentiment esthétique : c'est ce sentiment qui inspire l'artiste et le poète, et qu'ils s'efforcent de faire passer chez
ceux qui admirent leurs oeuvres.
Mais ce sentiment pur et désintéressé peut être un allié du sentiment moral, et en
revendiquant l'indépendance, la dignité propre et la fin particulière de l'art, il ne faut pas le séparer de la morale.
IV.
— Bien que l'art n'ait pas directement pour but de contribuer à l'éducation morale, il peut produire indirectement
le perfectionnement des moeurs, en épurant les sentiments, en fortifiant les caractères, en détournant des
bassesses dont il nous montre l'insuccès et en rattachant, par la sympathie, aux nobles causes qui succombent.
L'artiste et l'écrivain n'ont pas besoin pour cela de s'ériger en professeurs de morale.
« Un livre, disait avec raison
Mme de Staël, n'est pas bon ou mauvais par ce qu'il enseigne, mais par ce qu'il inspire ».
En faisant, briller devant
nos yeux un reflet de la beauté, l'oeuvre d'art procure l'enthousiasme, l'émotion esthétique, et c'est par là qu'il est
vraiment moralisateur.
La contemplation des types idéalisés par l'artiste nous rend plus grands, plus portés aux
nobles actions, aux sentiments généreux, puisque, comme le dit Plotin, « pour apercevoir la beauté, l'âme doit se
faire belle ».
C'est ainsi que l'art, sans même s'en préoccuper directement, fait une oeuvre moralisatrice.
«
Impossible, disait Platon, qu'en visant le beau on atteigne ce qui n'est pas le bien ».
III.
— Et cependant, sans aller jusqu'à penser, avec Rousseau, que l'art est une cause de décadence et de
corruption, il y a quelques restrictions à faire quant au rôle moralisateur de l'art.
Celui-ci peut produire des oeuvres qui flattent les passions plutôt qu'elles n'enseignent la vertu.
Et d'autre art, une
jouissance esthétique poussée à l'excès peut nous détourner de l'action et nous faire vivre de chimères ; le résultat
de cette exagération, c'est le dégoût de la vie réelle, le dilettantisme, l'égoïsme érigé en système.
Mais l'art luimême n'est pas responsable de ces abus, et si les grandes époques littéraires et artistiques ont été parfois suivies
d'une véritable décadence dans les moeurs, cela tient surtout aux excès de la richesse et du luxe qui les
accompagnaient.
IV.
— Quoi qu'il en soit, la culture esthétique, comme l'a montré Guyau, est un facteur puissant de l'éducation
morale ; mais il ne faut pas oublier que ce facteur n'est pas le seul, ni même l'essentiel, car il s'adresse surtout à la
sensibilité, alors que l'éducation morale est essentiellement une question d'intelligence et de volonté..
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