Quel rôle joue l'expérience dans la connaissance des hommes ?
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«
La connaissance désigne l'acte par lequel la pensée saisit les données de l'expérience et se forme une représentation adéquate d'un objet, de sa nature et de ses propriétés.
Or il
semble que pour se forger cette représentation adéquate, l'esprit doive s'appuyer principalement sur la raison.
En effet cette dernière peut se laisser définir comme 1) la faculté de bien juger
(c'est-à-dire de distinguer le vrai du faux) 2) la faculté de combiner plusieurs jugements pour construire un raisonnement.
Il semble donc que la raison jour un rôle décisif pour la connaissance,
puisque connaître, c'est à la fois connaître ce qui est véritablement (et non une apparence de vérité) et combiner des vérités acquises pour en découvrir de nouvelles par déductions.
Mais pour
réaliser ces diverses opérations, la raison manipule des idées, or on peut se demander d'où lui viennent ses idées.
Il se pourrait en effet que ces idées lui viennent de l'expérience, et dans ce
cas l'expérience fournirait à la raison la matière sans laquelle elle ne pourrait mener à bien ses opérations.
Pourtant si l'expérience peut fournir les idées avec lesquelles la raison opère, sans le
travail de la raison, les différentes informations que l'on collecte à propos du monde ne seraient jamais synthétisées en un ensemble de connaissances cohérent.
Dès lors raison et expérience
contribuent chacun à la connaissance des hommes, l'expérience en donnant à l'esprit la matière qu'il doit penser, et la raison en fournissant à l'esprit le pouvoir de synthétiser cette matière.
I.
L'expérience fournit à l'esprit les idées qui lui permettent de connaître.
Connaître un objet, c'est être à même de déterminer certaines de ses propriétés, par exemple connaître la neige, c'est savoir qu'elle est de couleur blanche, qu'elle est froide, etc.
Or
comment l'esprit peut-il se représenter ces propriétés ? Dans L'essai philosophique concernant l'entendement humain, II, ch.
1, Locke considère que l'esprit est originellement vide (que c'est
une table rase).
Dès lord d'où viennent les idées qui lui permettent de se représenter les choses ? Locke répond qu'elles viennent toutes de l'expérience.
Les sensations des objets extérieurs
font entrer dans l'âme des perceptions distinctes qui sont des idées (ainsi, c'est parce que l'on a vu du blanc que l'on acquiert l'idée de blanc, qui nous permettra ensuite de dire que la neige
est blanche).
Locke précise qu'il y a aussi une autre source qu'il appelle la réflexion, et qui prend pour objet les opérations de l'âme elle-même (en se sentant penser, l'âme acquiert l'idée de
la pensée).
On voit donc que puisque la connaissance requiert de pouvoir se représenter les choses, et que l'esprit ne peut le faire qu'avec des idées qu'il tire de l'expérience, l'expérience est la
source la plus fondamentale de la connaissance.
En effet, sans l'expérience il n'y aurait pas de connaissance du tout.
Une solution consiste à affirmer que toutes les connaissances de l'homme, y compris les principes de la raison dérivent de l'expérience.
C'est ainsi que pour Locke, il n'existe ni connaissance ni principe inné.
Dans « Essai sur l'entendement humain », critiquant l'innéisme de Descartes, Locke avance la thèse de
la « table rase » : l'esprit de l'être humain, avant toute expérience et éducation (celui du nouveau-né par exemple), est comme une tablette de cire, vierge de toute écriture.
Nos
idées simples viennent de la sensation et de la réflexion.
Les idées complexes et en particulier les catégories de substance, de mode et de relation sont le produit de la combinaison
des idées simples.
Pour Hume aussi les principes de la raison ne sont pas innés mais acquis par l'expérience.
Comme philosophie générale, l'empirisme affirme avec Locke que nos idées ne sont pas, comme le pensait Descartes, innées, mais qu'elles proviennent de l'expérience.
On peut
décomposer la philosophie empiriste de la connaissance en trois moments.
1.
L'origine des idées.
L'esprit, dit Locke, est d'abord une page blanche, une « table rase » (tabula rasa).
« Comment vient-il à recevoir des idées ? Par quels moyens en
acquiert-il cette prodigieuse quantité que l'imagination de l'homme, toujours agissante et sans borne, lui présente avec une variété presque infinie ? D'où puise-t-il tous ces
matériaux qui sont comme le fond de tous ses raisonnements et de toutes ses connaissances ? A cela je réponds d'un mot : de l'expérience.
C'est le fondement de toutes nos
connaissances, c'est de là qu'elles tirent leur première origine.
» (« Essais sur l'entendement humain »).
L'expérience est donc d'abord pour l'empirisme une réponse à la
question de l'origine des idées.
Ainsi, un certain nombre d'idées naissent dans l'âme des « observations que nous faisons sur les objets extérieurs et sensibles » (idem).
C'est
le cas d'idées comme « dur », « mou », « blanc », « jaune »… Locke les appelle des « idées de sensations » : nous nous les représentons que parce que nous avons eu
l'expérience sensible du mou, du blanc, du jaune….
Pour un empiriste, un aveugle de naissance ne saurait avoir aucune idée des couleurs.
Les autres idées viennent non de
l'expérience externe, mais de l'expérience interne ; cad des observations que nous faisons sur « les opérations intérieures de notre âme ».
Telles sont les idées de « joie »,
de « peine », de « plaisir », de « douleur »… Ce sont des idées de réflexions.
Dans les deux cas, les idées sont, comme dit Hume, des « copies » des impressions sensibles.
2.
La composition des idées.
En faisant naître les idées de l'expérience sensible, comment pourrions-nous rendre compte de l'infinité des idées que l'esprit peut concevoir,
alors que est toujours limitée ? Je peux me représenter une montagne d'or, ou un centaure : comment est-ce possible ? La réponse est : grâce à la possibilité de combiner ou
d'associer les idées, que Locke comme Hume attribut à l'imagination.
L'empirisme distingue entre les « idées simples », cad inanalysables en éléments et immédiatement
dérivées d'expériences sensibles élémentaires (telles les idées de « rouge », « chaud »…) et les « idées composées », qui, elles, sot des résultats d'une combinaisons d'idées
simples.
3.
La signification des mots.
L'expérience comme contrôle.
L'expérience n'est pas seulement une origine ; elle est aussi ce à quoi il faut retourner pour éprouver la valeur de
nos pensées ou plus exactement de notre langage.
Les mots dépendent des données sensibles particulières, aussi généraux et abstraits soient-ils.
De quoi suffit-il donc pour
savoir si un mot possède un contenu réel de signification ou si ce n'est qu'un mot creux ? Il suffit que le mot représente effectivement une idée.
Pour établir la signification
d'un mot, il suffit de rechercher de quelle(s) impression(s) sensible(s) dérive l'idée dont il est supposé être le signe.
L'expérience est bien alors, non seulement un point de départ, mais aussi un point d'arrivée, de retour.
Ainsi l'empirisme ne fait-il pas seulement de l'expérience l'origine de notre
connaissance, mais aussi ce qui la justifie.
En ce sens, il ne répond pas seulement à la question de fait que demeure la question de l'origine ; mais il pose dans toute son ampleur la
question de droit.
Dans « Essais philosophiques sur l'entendement humain », Hume affirme que les « idées » ne sont d'abord que des copies affaiblies des « impressions » d'origine
externe et qu'elles sont ensuite liées suivant les lois mécaniques de l'association.
Ainsi, par exemple, nous observons qu'un phénomène donné est suivi d'un autre phénomène
donné.
Rien ne nous permet d'affirmer qu'il existe entre eux une relation causale nécessaire sinon l'habitude que nous avons acquise, sous l'influence d'une association souvent
répétée, de nous attendre à les voir se suivre.
Le principe de causalité est donc acquis par expérience.
Il en est de même pour les autres principes.
La pensée empiriste anglaise distinguera avec insistance vérités logiques et propositions induites de l'expérience.
Hume analyse ainsi ce qui sépare relations d'idées et
relations de faits : si l'opération « 2+2=4 » n'exige nul recours à l'expérience, l'affirmation « le soleil se lèvera demain » ne peut être proférée que parce que j'ai l'expérience
quotidienne de la levée du soleil.
La proposition contraire n'est ici nullement contradictoire sur le plan logique, comme le serait « 2+2+5 ».
C'est un recours aux faits, non le jeu d'une
opération purement rationnelle, qui établit la vérité.
Qu'en est-il alors de son universalité ? Comment prouver qu'il n'y aura pas un matin où le jour ne se lèvera pas ? Questions qui
ont pour effet de fragiliser la valeur rationnelle des propositions scientifiques.
A côté des sciences de pure raison, les plus nombreuses sont relatives à des faits.
Celles-ci, parce
qu'elles ne relèvent pas de la pure logique, ne peuvent pas être démontrées : « Le contraire d'un fait quelconque est toujours possible, car il n'implique pas contradiction et l'esprit le
conçoit aussi facilement et aussi directement que s'il concordait pleinement avec la réalité.
» Hume montre donc que l'induction ne conduit pas à une opération intuitive : le moyen
terme sous-entendu (cela se passera toujours comme cela s'est passé) n'est pas une évidence logique.
Il faut que l'esprit induisant que « le pain m'ayant nourri hier il me nourrira
demain » fasse un saut ne relevant pas de la logique.
Or l'induction est indispensable dès qu'on a affaire à des relations de faits.
Aussi les vérités empiriques ne sont-elles nullement
nécessaires : outre qu'il peut y avoir des inférences fausses, parce ce qu'on n'a pas encore rencontré le contre-exemple qui les démentira, il n'existe aucun moyen de démontrer
absolument, par la pure logique, que la conclusion d'une induction est nécessairement vraie.
Du point de vue de la logique, elle ne lest pas.
Si l'on s'en tenait là, il faudrait en
conclure que les sciences de faits, même si elles sont provisoirement acceptables, demeurent en partie incertaines.
Elles reposent, au mieux, sur de hautes probabilités.
Ces théories de Locke et Hume, qui affirment que la raison humaine tire ses principes de l'expérience, sont deux formes de ce qu'on appelle l'empirisme.
II.
L'expérience permet également à l'esprit de trancher entre deux théories rivales
Si l'expérience fournit à l'esprit les idées sans lesquelles il ne pourrait se représenter les choses du monde, et donc serait incapable de le connaître, elle peut également jouer un autre
rôle dans la connaissance.
En effet pour accéder à la connaissance des lois empiriques, c'est-à-dire des lois qui régissent les phénomènes du monde, il faut se servir des idées fournies par
l'expérience pour élaborer des hypothèses.
Mais ces hypothèses ne peuvent être validées ou invalidées que par l'expérience.
Ainsi dans le Novum organum II, Bacon présente ces expériences
qui permettent de trancher entre deux hypothèses sous le nom « d'instances de la croix », ou encore d'expériences cruciales.
L'expérience cruciale consiste à élaborer une expérience dans
laquelle sont confrontées des hypothèses incompatibles, si bien qu'une seule pourra être vérifiée, et que si elle l'est, l'autre sera du même coup invalidé.
Ainsi pour expliquer le mouvement
des marées on peut établir deux hypothèses.
La première consiste à penser que le mouvement est causé par attraction (c'est-à-dire par l'attraction exercée par la lune sur la masse des
eaux).
La seconde consiste à penser que c'est par progression que le mouvement est causé (le courant marin poussant les eaux dans une direction donnée).
Or pour trancher entre ces deux
hypothèses, il suffit de sonder les eaux pour en établir la courbure.
En effet si le mouvement est causé par l'attraction de la lune, cela aura pour conséquence que les eaux seront soulevées
par l'attraction, alors que ce ne sera pas le cas si le mouvement est créé par un courant marin.
L'expérience a pour fonction d'aider à décider, à trancher.
Or lorsqu'on réalise l'expérience, la
première hypothèses et vérifié, et l'on peut donc conclure avec certitude que c'est bien l'attraction de la lune qui cause les marées.
III.
Dans la connaissance, l'expérience fournit les données sensibles et la raison les concepts.
Les deux sont également nécessaires, et ne doivent pas être pensés
comme opposés mais comme complémentaires.
»
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