Quel est le pouvoir des mots ?
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«
RAPPEL DE COURS: POUVOIR DES MOTS
Ce qui est un défaut du point de vue de l'exigence de vérité est un atout d'un
autre point de vue : c'est par sa richesse, sa complexité, que le langage produit
ses doubles sens et ses malentendus.
Nous pouvons jouer sur les mots, sousentendre ce que nous ne voulons pas dire explicitement, etc.
Le langage a par
ailleurs une force sensible et émotionnelle : « les mots sont des pistolets chargés
» disait le philosophe Brice Parain.
Un discours est en tout cas non seulement
une description du monde, mais un acte complexe, qui engage le locuteur et
produit des effets sur ceux auxquels il s'adresse.
Ce sont ces « actes de discours
» qu'étudie la pragmatique.
Le langage
Ce mot fut introduit pour la première fois en 1938 par le philosophe américain
Charles Morris.
La pragmatique est une approche du langage qui considère celuici non seulement dans son organisation interne (syntaxe) ou dans sa signification
(sémantique), mais aussi comme un acte de communication aux effets divers et
variés.
Cela remet en cause l'idéal d'une « langue bien faite » : du point de vue
de la pragmatique, il n'existe pas de règles absolues de la signification dont le
langage scientifique serait le prototype.
Ainsi Wittgenstein compare-t-il le
langage à une boîte à outil, faite d'instruments multiples aux multiples fonctions.
Il n'existe pas une manière correcte et d'autres incorrectes de les utiliser : tout
dépend des situations et de ce qu'on vise.
Tout énoncé est valable qui, dans le «
jeu de langage » qui lui est propre, remplit sa fonction de communication, même
s'il ne signifie rien de défini (exemple : « attends-moi à peu près là »).
Le langage n'est pas seulement le support de la pensée, il est aussi un facteur essentiel du lien social.
Dans les sociétés archaïques,
lorsque deux tribus veulent coexister pacifiquement, un échange verbal est organisé entre des représentants de chacune d'elles.
Les
hérauts de chaque camp rivalisent en une longue joute verbale : moyennant quoi, les pulsions agressives sont inhibées ou détournées
de leur but destructeur.
Dans l'Antiquité grecque, la vie politique reposait sur l'usage public de la parole, le logos.
C'est pourquoi
Aristote disait que l'aptitude naturelle de l'homme à parler est le signe qu'il est fait pour vivre en société.
De fait, nombre d'institutions
sont nées dans la cité antique d'une mise en ordre du dialogue.
C'est le cas du théâtre ou de la justice.
Aujourd'hui encore, l'exercice
de la parole est codifié dans un tribunal : des règles indiquent qui est habilité à parler et précisent de quoi on ne doit pas parler.
De
même, un rituel entoure le serment par lequel le témoin s'engage à « dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité ».
Certes, cette
déclaration ne garantit nullement la sincérité du témoin.
Mais, dans l'enceinte du tribunal, en disant « je le jure », il fait plus que
chercher à nous persuader.
Cet énoncé revêt un aspect performatif, c'est-à-dire qu'en le prononçant on effectue un acte qui n'est pas
sans conséquences.
En effet, la loi stipule que, dès cet instant, si le témoin est convaincu de mensonge, il encourt une sanction pénale.
Pouvoir du langage & langage du pouvoir.
Puisqu'il a pour fonction essentielle l'expression de la pensée et la communication entre les hommes, il est clair que le langage
joue un rôle éminent dans les phénomènes de pouvoir.
Il permet ou facilite l'action; il l'interdit ou la sanctionne; le droit se dit et s'écrit
et ceux qui dirigent la Cité exercent leur fonction par l'intermédiaire du langage, tout comme ils sont attentifs à en capter les signes.
Dans toutes les sociétés, les titulaires du pouvoir ont possédé la maîtrise du langage ou des langages propres à orienter
l'action d'autrui.
Ceux-là sont détenteurs de ce "maître-mot" que Kipling attribuait dans la jungle à l'enflant démuni mais qui finirait
par s'emparer de la fleur rouge.
Prêtres et scribes, pontifes et rois, légistes et avocats, journalistes et hommes des médias connaissent
tour à tour cette puissance.
L'agora d'Athènes était le lieu de disputes, de collusions oratoires.
De même, Dieu se manifeste par cet
acte de langage: " Au commencement était le Verbe" disait déjà Saint-Jean.
Dans les sociétés complexes, le langage est l'expression du pouvoir.
A tel point que le fait de nommer, de qualifier un Pouvoir,
lui donne sa cohérence, sinon son existence: qui dit monarchie se met en mesure d'élaborer le système monarchique, formule la série
des concepts qui se trouvent mis dans la langue.
Toutes les institutions majeures ont pour rôle de tester et d'élaborer le langage du Pouvoir.
L'un des privilèges les plus
incontestables du milieu dirigeant est précisément de conserver la langue.
Le langage de la culture se confond avec celui de la classe
dirigeante.
Les faits langagiers montrent la capacité "performative" des classes dirigeantes.
Et, le propre de ces dernières est d'éviter
ou d'intégrer la "gheottisation" du langage: culture jeune (BD, musique, expressions "branchées"...).
Dès lors, si le pouvoir manifeste
son emprise sur le langage, ce dernier à son tour influence le Pouvoir, à tel point que l'évolution des phénomènes langagiers a une
signification historique et politique considérable: l'invasion du franglais traduit ainsi notre infériorité à l'égard de l'Amérique anglophone,
lorsque la France était puissante, on parlait français à Saint-Pétersbourg.
De même, à la limite, on obtient le phénomène de la langue
de bois qui est une conséquence de la glaciation du langage et/ou de la glaciation du Pouvoir.
Aussi, il faut bien qu'un jour, change ce langage jugé rétrograde.
Et, la révolution se manifeste aussi par un acte de langage.
La prise
du pouvoir ne s'accompagne pas par hasard de déclarations solennelles, de thèses ou de profession de foi.
En bref, on peut dire que le rêve de puissance est un rêve de langage.
Il fonde et manifeste le Pouvoir et celui-ci s'exerce par
celui-la..
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