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Que pensez-vous de cette réflexion de Fénelon : Un excellent historien est peut-être plus rare qu'un grand poète ?

Extrait du document

« INTRODUCTION.

— Lorsqu'on parle d'histoire, on est dans un domaine si complexe et si riche en réalités multiples qu'il faut toujours user de maintes nuances.

On comprend dès lors la prudence avec laquelle s'exprime FÉNElON lorsqu'il veut énoncer les difficultés qu'offre la réalisation satisfaisante des tâches historiques. Pour savoir ce que penser de cette affirmation, il sera donc préférable de consulter successivement les faits et la raison. I.

— LES EXCELLENTS HISTORIENS ONT-ILS ÉTÉ RARES ? A.

Il semble au premier abord que la phrase ci-dessus présente un caractère quelque peu exagéré si l'on songe au nombre relativement grand des historiens qui ont illustré l'humanité dans les diverses nations.

Pour n'en citer que quelques-uns, on en trouve dans les rangs de l'histoire littéraire et artistique, tel un TITE-LIVE; de l'histoire psychologique : SAllUSTE; des mémoires apologétiques : CÉSAR, NAPOLÉON, et bien d'autres; de l'histoire utilitaire civique et morale : THUCYDIDE et Cornelius NÉPOS; des chroniques récréatives : JOINVIllE, VILLEHARDOUIN, FROISSART; enfin, des recueils et annales, genre illustré par TACITE. Et si l'on envisage l'époque moderne qui a visé à donner à cette discipline un caractère plus scientifique, quelle pléiade de grands historiens la France, pour ne parler quo d'elle, n'a-t-elle pas produit, depuis VOLTAIRE, MICHElET, Augustin THIERRY, TAINE, FUSTEL DE COUlANGES, et plus récemment Pierre DE LA GORCE, Georges GOYAU, LENÔTRE... B.

Cependant, si l'on examine la question de plus près, on peut légitimement se demander si la multiplicité des conceptions historiques envisagées ci-dessus n'est pas un sérieux obstacle pour considérer leurs divers représentants comme d' « excellents historiens » au sens plénier et complet du mot P Déjà à l'époque de FÉNELON on commençait à devenir plus exigeant sur ce point et les siècles qui ont suivi ont été plus difficiles encore. Il ne semble donc pas que les faits donnent tort à FÉNELON.

Un examen raisonné de la question va maintenant nous dire pourquoi. II.

— POURQUOI SONT-ILS PLUS RARES ENCORE QUE LES GRANDS POÈTES? A.

La rareté des poètes de génie s'explique : a) D'abord parce que la vraie poésie exige une personnalité originale et marquée, avec un développement brillant des facultés imaginatives et sensibles qui sont proprement subjectives et dont les données ne se transmettent pas et ne s'enseignent pas.

Un grand poète est unique et irremplaçable en son genre, bien plus qu'un grand savant : et la Révolution a bien plus atteint la poésie en lui enlevant André CHÉNIER qu'elle n'a frappé la science elle-même en envoyant LAVOISIER à l'échafaud. b) Parce qu'un poète, pour être vraiment un grand poète et un génie, doit posséder aussi, dans une certaine mesure, une raison équilibrée qui assure l'ordre et l'harmonie de ses conceptions. Et les personnalités qui possèdent ainsi l'équilibre supérieur entre leurs facultés sont assez rares. B.

Or l'historien pour être excellent, comme le demande FÉNELON, doit posséder les qualités des grands poètes et y ajouter celles nécessaires au savant, dans une science délicate entre toutes.

« L'histoire qui était jadis un art...

est devenue de nos jours une science à laquelle il faut procéder avec une rigoureuse méthode.

» (A.

FRANCE.) Il faudra donc à l'historien : a) Des qualités intellectuelles éminentes, tant pour une information sérieuse que pour une critique méthodique et une interprétation judicieuse des documents, sans oublier ensuite la reconstitution des faits et la découverte des causes. b) Des qualités morales en tête desquelles viennent, avec la patience et la ténacité au travail, l'amour de la vérité et l'impartialité (qui doit savoir cependant s'allier avec un sens humain et patriotique, quoi qu'en ait pensé FÉNELON : la justice pour être impartiale n'est pas nécessairement impassible). c) Enfin des qualités artistiques et littéraires : assez de flamme sensible et d'imagination pour rendre la vie et la couleur locale aux événements. CONCLUSION.

— Ainsi s'explique, en unissant la réflexion à l'examen des faits, que s'il y a eu un assez grand nombre d'historiens, il en est peut-être trop peu qu'on puisse en toute vérité qualifier d'excellents.

Cela tient, en somme, au double caractère à la fois scientifique et artistique de cette discipline si originale et si attachante.. »

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