Que pensez-vous de cette affirmation placée par Edmond Rostand dans la bouche de Cyrano de Bergerac : « Oui! mais c'est bien plus beau lorsque c'est inutile. » Vous ne vous placerez pas, pour discuter cette question, sur le seul plan littéraire, mais vou
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Cyrano de Bergerac, au moment où la mort le menace, la brave une dernière fois et, à quelqu'un qui lui fait remarquer combien son geste de bravade est absurde, il répond : « Oui! mais c'est bien plus beau lorsque c'est inutile. » Le problème apparaît ainsi : le beau et l'utile ne peuvent-ils se conjuguer sans s'affaiblir? L'ingénieur, l'ouvrier cherchent à réaliser un véhicule, une machine utiles et ne semblent pas se soucier de beauté. L'artiste cherche à réaliser sa conception de la beauté; mais quelle peut être l'utilité de son tableau, de sa symphonie? La Vénus de Milo, la Victoire de Samothrace améliorent-elles notre confort? Leur saisissante beauté nous retient, mais est-elle utile? A quoi sert le geste du capitaine qui se laisse engloutir avec son bateau? N'est-il pas nuisible puisqu'il prive la société d'un chef? Cependant, en accomplissant jusqu'au bout ce qu'il croit être son devoir, le capitaine a fait un beau geste, un geste héroïque.
«
Que pensez-vous de cette affirmation placée par Edmond Rostand dans la bouche de Cyrano de Bergerac :
« Oui! mais c'est bien plus beau lorsque c'est inutile.
» Vous ne vous placerez pas, pour discuter cette
question, sur le seul plan littéraire, mais vous envisagerez le problème dans son ensemble.
Cyrano de Bergerac, au moment où la mort le menace, la brave une dernière fois et, à quelqu'un qui lui fait
remarquer combien son geste de bravade est absurde, il répond : « Oui! mais c'est bien plus beau lorsque c'est
inutile.
»
Le problème apparaît ainsi : le beau et l'utile ne peuvent-ils se conjuguer sans s'affaiblir?
L'ingénieur, l'ouvrier cherchent à réaliser un véhicule, une machine utiles et ne semblent pas se soucier de beauté.
L'artiste cherche à réaliser sa conception de la beauté; mais quelle peut être l'utilité de son tableau, de sa
symphonie? La Vénus de Milo, la Victoire de Samothrace améliorent-elles notre confort? Leur saisissante beauté
nous retient, mais est-elle utile?
A quoi sert le geste du capitaine qui se laisse engloutir avec son bateau? N'est-il pas nuisible puisqu'il prive la
société d'un chef? Cependant, en accomplissant jusqu'au bout ce qu'il croit être son devoir, le capitaine a fait un
beau geste, un geste héroïque.
S'il faut en croire les romantiques et leurs disciples, le beau peut devenir utile.
Hugo a fait, du poète, un mage, un
conducteur de peuples.
M.
Jean-Paul Sartre souhaite que la littérature soit « engagée » dans la lutte quotidienne1
et, par conséquent, éclaire l'homme contemporain dans la solution des problèmes qui se posent à lui.
Nos classiques
prétendaient être des professeurs de morale.
D'autre part, toute l'histoire de l'art nous montre qu'une demeure peut
être utile et belle à la fois, de même qu'un mobilier.
Et, si le geste du lieutenant d'Assas fut beau, il fut aussi utile à
son régiment.
En art, l'utile est intimement lié au beau.
Nous n'admirons pas une fausse fenêtre, car le propre d'une fenêtre c'est
de s'ouvrir; la peinture « en trompe-l'œil » appartient au domaine des curiosités.
« Est laid en art, disait Rodin, tout
ce qui sourit sans motif, tout ce qui se manière sans raison, tout ce qui n'est que parade de beauté et de grâce,
tout ce qui ment.
» Et Jacques Maritain :
« L'utilité dans une œuvre d'art est dans la logique de tous les éléments qui la constituent, par rapport à sa fin.
»
Pensez à la logique des formes d'un avion, ou d'un aqueduc romain que nous admirons autant qu'un temple ou un
portique.
Si vous faites un roman, vous ne faites pas une tragédie.
Si vous faites une pièce de théâtre, vous ne
faites pas un traité de morale (d'où l'erreur de Diderot).
Si vous faites un film, vous ne faites ni du théâtre ni du
roman.
Vers la fin de la pièce, Cyrano, qui a reçu une bûche sur la tête, délire un peu : « Oui, ma vie, ce fut d'être celui qui
souffre et qu'on oublie.
» Pourquoi est-ce plus beau de souffrir lorsque c'est inutile? « Parce qu'on ne se bat pas
dans l'espoir du succès.
» Mais alors, n'en est-il pas de même dans cette bataille qu'est la vie? Que restera-t-il de
Cyrano? « Mon panache! » Les malades incurables qui luttent pour vivre, sans espoir de guérison : panache! Les
Sisyphes de M.
Camus qui poussent leur rocher : panache! Nous sommes tous des incurables puisque la mort nous
attend.
Cependant, nous luttons : d'où notre grandeur, selon Pascal.
Nous sculptons notre statue, comme le voulait
Nietzsche.
Nous hissons notre rocher sans espoir de le poser sur le sommet...
Mais il serait bon de ne pas penser
qu'à nous.
Il serait bon de penser aussi à « la grande résultante » et, sinon de nous rendre utiles dans le sens
absolu du mot (aucune notion ne résiste à la réflexion métaphysique), du moins de nous rendre utiles au sens
humain du mot..
»
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