Que pensez-vous de ce jugement porté en 1859 par Baudelaire sur le réalisme : « Dans ces derniers temps nous avons entendu dire de mille manières différentes : « Copiez la nature; ne copiez que la nature. Il n'y a pas de plus grande jouissance ni de plus
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• un « Salon » qui l'a déçu par le réalisme quasi photographique de trop de peintures. • Les progrès de la photographie ne sont qu'un aspect des progrès économiques et industriels si « voyants » sous le Second Empire : démolition du vieux Paris, que Baudelaire déplore dans Le Cygne. usines à vapeur qui noircissent la ville à la périphérie, prolétariat surmené et alcoolique (cf. in Fleurs du Mal, Le Crépuscule du Matin, Le Vin de l'Assassin, etc.), lueurs blafardes du gaz qui donnent à toutes choses un nouvel éclairage d'une modernité infernale, art industriel qui prétend substituer à l'antique artisanat une production en série d'imitation et de pacotille. Quand Baudelaire parle de la nature laide, nul doute qu'il ne songe à ce nouvel aspect des choses à côté de son hostilité fondamentale à la nature au sens traditionnel du terme. • Baudelaire trouve donc singulier que, devant une pareille montée de trivialité et d'inhumanité, ce soit le moment que choisissent les Champfleury et les Courbet (qu'il admire par ailleurs comme écrivain et comme peintre) pour développer des théories où le Beau doit provenir d'une soumission de principe à cette trivialité. Certes il comprend bien contre quel romantisme, et surtout contre quel idéalisme bourgeois veulent réagir ces réalistes: il saisit bien ce qu'il a de poésie forte et concrète chez eux, mais il refuse l'idée que l'art soit fondamentalement au niveau des choses, il affirme la supériorité de l'imagination, c'est-à-dire de l'esprit humain et de sa puissance à réorganiser le réel par l'œuvre d'art.
«
Que pensez-vous de ce jugement porté en 1859 par Baudelaire sur le réalisme : « Dans ces derniers temps nous
avons entendu dire de mille manières différentes : « Copiez la nature; ne copiez que la nature.
Il n'y a pas de plus
grande jouissance ni de plus beau triomphe qu'une copie excellente de la nature.
» Et cette doctrine, ennemie de
l'art, prétendait être appliquée non seulement à la peinture, mais à tous les arts, même au roman, même à la poésie.
A ces doctrinaires si satisfaits de la nature un homme imaginatif aurait certainement eu le droit de répondre : « Je
trouve inutile et fastidieux de représenter ce qui est.
parce que rien de ce qui est ne me satisfait.
La nature est
laide, et je préfère les monstres de ma fantaisie à la trivialité positive.
» (Salon de 1859.)
I Explication du mot de Baudelaire
1 Les circonstances immédiates :
• un « Salon » qui l'a déçu par le réalisme quasi photographique de trop de peintures.
• Les progrès de la photographie ne sont qu'un aspect des progrès économiques et industriels si « voyants » sous le
Second Empire : démolition du vieux Paris, que Baudelaire déplore dans Le Cygne.
usines à vapeur qui noircissent la
ville à la périphérie, prolétariat surmené et alcoolique (cf.
in Fleurs du Mal, Le Crépuscule du Matin, Le Vin de
l'Assassin, etc.), lueurs blafardes du gaz qui donnent à toutes choses un nouvel éclairage d'une modernité infernale,
art industriel qui prétend substituer à l'antique artisanat une production en série d'imitation et de pacotille.
Quand
Baudelaire parle de la nature laide, nul doute qu'il ne songe à ce nouvel aspect des choses à côté de son hostilité
fondamentale à la nature au sens traditionnel du terme.
• Baudelaire trouve donc singulier que, devant une pareille montée de trivialité et d'inhumanité, ce soit le moment
que choisissent les Champfleury et les Courbet (qu'il admire par ailleurs comme écrivain et comme peintre) pour
développer des théories où le Beau doit provenir d'une soumission de principe à cette trivialité.
Certes il comprend
bien contre quel romantisme, et surtout contre quel idéalisme bourgeois veulent réagir ces réalistes: il saisit bien ce
qu'il a de poésie forte et concrète chez eux, mais il refuse l'idée que l'art soit fondamentalement au niveau des
choses, il affirme la supériorité de l'imagination, c'est-à-dire de l'esprit humain et de sa puissance à réorganiser le
réel par l'œuvre d'art.
2 L'esthétique baudelairienne.
Il ne s'agit sans doute pas de fuir ce réel malgré l'expression « monstres de ma
fantaisie » (cf.
Réflexions préliminaires), mais de donner constamment à ce réel des dimensions, une profondeur qu'il
ne peut tenir que de l'ordre spirituel que lui impose l'artiste.
En fait, Baudelaire s'éloigne ici de toute une orientation de la littérature qui, depuis le romantisme, avait cherché à
coïncider avec les forces de vie et d'énergie du réel (même dans le romantisme le plus « échevelé », il y a toujours
cette volonté d'être dans le devenir du monde: le romantisme est fondamentalement hégélien).
L'art est avant tout
un approfondissement de la spiritualité, ce qui ne veut pas dire, bien sûr, de la subjectivité vague et affective.
Mais
Baudelaire estime qu'au centre de l'œuvre d'art il y a une image purement intérieure, une intuition de la conscience :
cette image devient dominante, s'impose et se rattache progressivement à d'autres images avec lesquelles elle
constitue un réseau qui va s'imposer au réel dont elle a tiré du reste ses principaux éléments.
Exemple : Le Cygne;
tout part de deux images qui vont se superposer en une seule : une image mentale, celle d'Andromaque, une image
banale et quotidienne, un cygne échappé d'une baraque de foire.
Le thème de l'eau va les rejoindre dans la
conscience (le Simoïs d'Andromaque, la Seine de Paris et l'eau dont le cygne est privé) : l'eau c'est le désir et la
nostalgie, c'est aussi le destin, eau de la pluie, de l'orage, eau de tous ceux qui sont venus ou partis sur l'eau, la
négresse, les matelots.
Par une image contrastée l'eau appelle les rochers, les blocs, les rocs du nouveau Paris qui
se bâtit, le sol raboteux: d'où une nouvelle division des images dans cet univers, eau et rochers, fuite et obstacles
rudes auxquels on se déchire, etc.
On peut pousser aussi loin que l'on veut ce genre d'analyse et montrer que.
dans
ce poème des chantiers du Paris de 1860 en démolition et en reconstruction (en apparence quoi de plus réaliste?),
c'est avant tout l'imagination au sens propre du terme, c'est-à-dire la dynamique des images organisatrices, qui
domine.
II La richesse de la méthode baudelairienne
1 Elle attire l'attention sur l'inutilité absolue d'un art qui double la nature : pourquoi refaire ce que la nature a fait?
Même si tout n'est pas laid dans la nature, celle-ci est par essence répétition, tandis que l'œuvre d'art est unique,
ou du moins tend à exprimer une position unique en face d'un moment et d'un secteur de la nature.
En fait, nul n'a
sérieusement soutenu, pas même Champfleury, qu'il faille copier la nature (et un Maupassant dans la Préface de
Pierre et Jean soutient nettement le contraire), mais il y a quand même bien l'intention, chez toute une lignée
d'artistes, dé Champfleury aux modernes populistes, de croire que le plus insignifiant est le plus significatif.
Baudelaire, épris de l'idée de modernité, observateur aigu de la rue parisienne et de ses menus spectacles, ne le nie
certes pas tout à fait, mais pense que si une circonstance banale (par exemple la rencontre de sept clochards
inquiétants et semblables dans le poème Les sept Vieillards) fait surgir l'œuvre poétique, ce n'est pas avant tout par
son côté pittoresque et folklorique, mais parce qu'elle va rejoindre un rêve profond dans l'âme du poète : ainsi ces
Sept Vieillards retrouvent l'archétype du Juif errant, le mythe du vieux vagabond infernal, la légende du sinistre et
éternel voyageur venu d'on ne sait quel monde (thème qui réapparaîtra chez Apollinaire).
2 C'est que la méthode baudelairienne met en réalité l'accent sur les puissances architecturales de l'esprit : les.
»
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