Que penser de ce jugement de Claude Bernard: "on expérimente avec sa raison" ?
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«
Termes du sujet:
Expérimenter : contrôler une idée par un fait ; l'expérimentation désigne une activité destinée à mettre à l'épreuve et à contrôler par des faits la validité d'une idée ou d'une hypothèse.
L'expérimentation est totalement
différente de la simple observation passive.
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RAISON: Du latin ratio, « calcul », « faculté de calculer, de raisonner » (en grec logos).
Au sens subjectif : mode de penser propre à l'homme (lui-même défini comme « animal raisonnable »).
Par opposition à l'intuition : faculté de raisonner, c'est-à-dire de combiner des concepts et des jugements, de déduire des conséquences.
Par opposition à la passion ou à la folie : pouvoir de bien juger, de distinguer le vrai du faux, le bien du mal.
Par opposition à la foi : la « lumière naturelle », naturellement présente en tout homme.
Par opposition à l'expérience : faculté de fournir des principes a priori (c'est-à-dire indépendants de l'expérience)
Au sens objectif : principe d'explication, cause (exemple : les raisons d'un phénomène).
Argument destiné à légitimer un jugement ou une décision (exemple : donner ses raisons).
La science tourne le dos aux apparences sensibles
Il semblerait que la perception soit une science commençante.
C'est, toutefois, en contredisant l'expérience première délivrée par les sens que la science, généralement, découvre de nouvelles vérités.
«Finalement, écrit cependant Bachelard, à suivre la science dans les efforts qui la constituent, on s'aperçoit qu'elle ne progresse que par une critique très serrée, très méfiante, des sensations immédiates.»
Bachelard considérait l'expérience immédiate comme le premier obstacle à la connaissance scientifique.
Les informations fournies par les sens, le vécu sont source d'erreurs.
Ainsi, par
exemple, de ce que cette pierre tombe plus vite que ce morceau de liège, j'en viendrai à établir une distinction entre «lord» et «léger» et à conclure que la vitesse de la chute des corps est liée
à leur masse.
Or les scientifiques ont établi que, dans le vide, tous les corps tombent à la même vitesse.
La formule scientifique par Galilée de la loi de la chute des corps e= ½ gt2 contredit
les données communes de la perception.
L'épistémologie de Bachelard réactualise l'idée essentielle du platonisme : la science se constitue par ce geste intellectuel qui récuse l'expérience.
Pour Bachelard (comme pour Platon) le
savoir scientifique commence par une rupture avec l'expérience ; par se méfier des synthèses spontanées de la perception.
Car l'expérience première est un obstacle et non une donnée.
C'est
même le premier obstacle que la science doit surmonter pour se construire.
C'est que la science est ennuyeuse : le réel auquel elle a affaire est filtré, classé, ordonné selon des relations
intelligibles, quantifié, prêt à la mesure.
Au contraire, l'expérience première, spontanée, parle à l'imaginaire.
L' « observation première se présente comme un libre d'images : elle est
pittoresque, concrète, vivante, facile.
Il n'y a qu'à la décrire et s'émerveiller ».
Devant elle, nous sommes au spectacle.
Entre l'expérience spontanée du feu par exemple et la connaissance
des lois de la combustion, quel écart ! D'un côté un univers qualitatif et affectif : le feu qui crépite dans l'âtre, le bien-être, les couleurs, la fascination, le feu qui « chante » et qui « danse » ;
de l'autre un processus physico-chimique dépouillé de toute poésie, une simple modification quantitative des éléments.
La première leçon de l'épistémologie de Bachelard est donc bien platonicienne : l'anti-empirisme.
L'expérience est d'abord du domaine du préscientifique.
L'esprit scientifique doit se
constituer contre elle, contre la nature et ses enseignements immédiats.
L'empirisme est la pente la plus naturelle et la plus paresseuse de l'esprit ; son axe et celui de la science sont
inverses l'un de l'autre.
Cela suppose bien, chez Platon, une conversion intellectuelle, un détournement des habitudes spontanées de l'âme, une pédagogie de la rupture : « L'esprit
scientifique ne se forme qu'en se réformant ».
La connaissance objective mérite une psychanalyse au cours de laquelle l'esprit scientifique pourra se constituer en inhibant et en refoulant les
pulsions expansives de l'observation spontanée.
Pour parvenir à l'esprit scientifique, il est donc indispensable d'éliminer de la connaissance les projections psychologiques spontanées et inconscientes, d'opérer ; comme le dit
Bachelard une « psychanalyse de la connaissance ».
Cette psychanalyse est bien difficile, peut-être jamais achevée.
Elle est en tout cas l'œuvre des siècles et nous ne devons jamais oublier que la science est une aventure récente.
Il y a des ho sur terre depuis plusieurs
centaines de milliers d'années et la physique scientifique date de XVII ième, la chimie du XVIII ième, la biologie du siècle dernier.
En effet, la connaissance spontanée du réel est antiscientifique.
C'est une connaissance « non psychanalysée » où nous projetons nos rêves et nos passions.
C'est ainsi que la « physique » d'Aristote est encore toute mêlée
de psychologie.
La cosmologie céleste fait appel à la psychologie de l'âme bienheureuse, la physique terrestre d'Aristote s'éclaire par la psychologie de l'âme inquiète.
Aristote distingue deux sortes de corps, les lourds et les
légers.
Les corps légers (la fumée) vont spontanément vers le haut alors que les graves (une pierre) se meuvent d'eux-mêmes vers le bas.
Le haut et le bas représentent respectivement le « lieu naturel » des corps légers et des
graves.
Les corps inertes sont donc involontairement assimilés à des hommes qui s'efforcent de retrouver leur « chez-soi ».
L'accélération de la pesanteur s'explique par le fait que le pierre « désire le bas » et presse son
mouvement comme les chevaux qui, dit-on, vont plus vite lorsqu'ils « sentent l'écurie » .
En langage psychanalytique, on pourrait dire qu'Aristote projette sur sa dynamique un « complexe du home », autrement dit qu'il prête
aux corps inertes un goût particulier pour leur domicile pour leur domicile d'élection.
« Il ne faut pas voir la réalité telle que je suis » dit Eluard.
Mais précisément je vois spontanément le monde comme je suis, et il faut tout un travail pour le voir comme il est ; ce travail est le travail de la science.
L'idéal
est de parvenir à poser des relations objectives qui ne soient plus le reflet de mes dispositions subjectives.
Pour la science, le ciel cesse d'être un sujet grammatical, une substance dont le bleu serait l'attribut : le bleu du ciel n'est
que l'effet de l'inégale diffusion des rayons du spectre solaire.
Ce qui complique la tâche de l'activité scientifique et de l'éducation scientifique, c'est que je ne projette pas seulement sur le monde mes sentiments personnels mais encore toutes les dispositions que je tiens de la tradition
sociale.
« L'esprit naïf n'est pas jeune, il est même très vieux » (Bachelard) Nous projetons spontanément sur le monde tout ce que qu'on nous a enseigné.
C'est ainsi que les gens du moyen-age voyaient des diables cornus à tous
les détours de chemins.
Aujourd'hui nous projetons sur le ciel une culture pseudoscientifique mal assimilée : nous voyons des « OVNI ».
Comment parvenir à l'objectivité scientifique ? Si nous n'avons aucune vraie culture scientifique, nous serons tentés de répondre ; il suffit d'éliminer ce qui vient de nos passions, de la tradition, de l'imagination.
Il faut
revenir à une perception originelle des choses, laisser parler les faits tels qu'ils sont.
Mais, c'est précisément la perception spontanée, originelle qui est chargée de subjectivité, tandis que la réalité scientifique, objective, doit être
péniblement construite à partir d'un travail fort complexe.
Ce qui est immédiatement perçu est subjectif ; ce qui est objectif est au contraire « médiat », construit par détours et artifices.
L'erreur est première, la vérité est
toujours seconde disait Bachelard.
L'expérimentation n'est pas une simple observation
L'observateur constate purement et simplement le phénomène qu'il a sous les yeux.
«Il n'est guère que le photographe des phénomènes», comme le dit Claude Bernard.
L'expérimentateur est celui qui, en vertu d'une interprétation plus ou moins probable des phénomènes observés, se livre à une expérience déterminée qui – il l'espère – confirmera son hypothèse de travail.
L'observation scientifique «confirme ou infirme toujours une thèse antérieure, un schéma préalable, un plan d'observation», déclarait Bachelard, en ce sens (Le Nouvel esprit scientifique, 1934).
«C'est toujours la théorie qui a le premier mot»
C'est que la science n'en est plus au temps où Bacon (1561-1626) considérait que le savant doit pratiquer la «cueillette de Pan», c'est-à-dire glaner, au hasard de ses promenades, une multitude de curiosités.
«Dans la démarche scientifique, c'est toujours la théorie qui a le premier mot», affirme le biologiste François Jacob («Sexualité et diversité humaine», in Le Monde, fév.
1979).
La science contemporaine n'a pratiquement jamais affaire au fait brut, perceptible dans l'expérience commune par le simple profane.
SUPPLEMENT
« ...
Devant le réel le plus complexe, si nous étions livrés à nous-mêmes c'est du côté du pittoresque, du pouvoir évocateur que nous chercherions la connaissance; le monde serait notre représentation.
Par contre si
nous étions livrés tout entiers à la société, c'est du côté du général, de l'utile, du convenu que nous chercherions la connaissance; le monde serait notre convention.
En fait la vérité scientifique est une prédiction,
mieux une prédication.
Nous appelons les esprits à la convergence en annonçant la nouvelle scientifique, en transmettant du même coup une pensée et une expérience, liant la pensée à l'expérience dans une
vérification: le monde scientifique est donc notre vérification.
Au-dessus du sujet, au delà de l'objet immédiat la science moderne se fonde sur le projet.
Dans la pensée scientifique la méditation de l'objet par le sujet
prend toujours la forme du projet.
[...] Déjà l'observation a besoin d'un corps de précautions qui conduisent à réfléchir avant de regarder, qui réforment du moins la première vision de sorte que ce n'est jamais la première observation qui est la
bonne.
L'observation scientifique est toujours une observation polémique; elle confirme ou infirme une thèse antérieure.
Naturellement dès qu'on passe de l'observation à l'expérimentation, le caractère polémique de la connaissance devient plus net encore.
Alors il faut que le phénomène soit trié, filtré, épuré, coulé dans le moule des
instruments...
Or les instruments ne sont que des théories matérialisées.
Il en sort des phénomènes qui portent de toute part la marque théorique..
»
Gaston BACHELARD.
La science, écrit Bachelard, « crée de la philosophie ».
Elle représente en effet la pensée vivante, dynamique.
Elle « instruit la raison » car la raison ne s'apparaît à elle-même telle qu'elle est et telle qu'elle devient,
que dans son activité réelle, actuelle, qui est l'activité scientifique.
Le problème est alors de savoir quelle philosophie de la connaissance la science peut suggérer.
A l'époque où écrit Bachelard les avis divergent.
Emile Meyerson pense que la science accrédite avant tout un réalisme : « Les concepts crées par la science tels l'atome, la masse ou l'énergie...
sont...des choses...
participant au caractère de la chose en soi ».
Pour Brunschvicg, la science qui substitue à l'épaisseur énigmatique du monde un réseau translucide de relations mathématiques, justifierait plutôt l'idéalisme.
Ne transforme-t-elle pas la matière en idées, en
formules algébriques transparentes pour l'esprit ? Pour Bergson, la science représente un ensemble de conventions commodes mais artificielles qui permettent plutôt de manipuler le monde que de le comprendre.
Merleau-Ponty, plus proche de Bergson qu'il ne le pense, écrit dans cet esprit que « la science manipule les choses et renonce à les habiter ».
C'est là une interprétation nominaliste de la science.
La philosophie
de Bachelard n'est pas une réflexion a posteriori sur la science déjà faite.
Elle veut tirer des enseignements du travail lui-même, de la science en train de se faire.
C'est pourquoi elle apparaît plus complexe et plus
nuancée.
Elle ne saurait être unilatérale et retient quelque chose tout à la fois du réalisme, de l'idéalisme, du nominalisme.
·
« Si nous étions livrés à nous-mêmes, c'est du côté du pittoresque, du pouvoir évocateur que nous chercherions la connaissance ; le monde serait notre représentation.
»
La connaissance immédiate, préscientifique n'est pas une connaissance objective.
Elle est au contraire chargée de subjectivité car nous nous projetons inconsciemment sur le monde.
« Je vois le monde comme je
suis avant de le voir comme il est » disait Eluard, cité par Bachelard.
Le monde de la connaissance immédiate coloré et divers, bruyant, pittoresque est « notre représentation ».
Il sourit de nos joies et grimace
de nos angoisses.
Le spectacle de la flamme aux formes bizarres, aux couleurs éclatantes, à la morsure cruelle ne nous dit pas ce qu'est vraiment une combustion.
Il ne nous parle que de nous-mêmes, sollicite nos
rêveries, réveille et nourrit nos désirs inconscients.
Il tourne le dos à la connaissance objective.
L'édification de la science exigera que nous « psychanalysions » cette connaissance immédiate qui n'est que notre
représentation.
Pour parvenir au savoir scientifique il sera indispensable d'éliminer de la connaissance les projections psychologiques spontanées & inconscientes, d'opérer une psychanalyse de la connaissance.
Devant le monde des choses nous devons « arrêter toutes les expansions, nous devons brimer notre personne ».
Le monde qui est notre représentation c'est le monde subjectif du poète, aux antipodes du monde
objectif du savant : « les axes de la poésie et de la science sont inverses » Bachelard, dans ses ouvrages poétiques explore ce monde subjectif.
Dans ses ouvrages d'épistémologie, il lui tourne le dos.
L'expression :
« le monde est notre représentation » qui définit le subjectivisme involontaire de la connaissance immédiate est empruntée, semble-t-il, au titre célèbre de l'ouvrage de Schopenhauer : «Le monde comme
volonté et comme représentation ».
·
« ...
Si nous étions livrés tout entiers à la société c'est du côté du général, de l'utile...
que nous chercherions la connaissance ; le monde serait notre convention...
»
Pour Bergson, l'intelligence scientifique est celle de l'homo faber et de l'homo politicus.
Elle découpe le monde en vue de l'utilité collective.
Elle est un ensemble de conventions qui réussissent.
Bachelard ne nie
pas, loin de là cet aspect social de la recherche scientifique.
Le savant travaille en équipe, c'est un citoyen de la « cité scientifique », cité qui exige tout à la fois des travailleurs de plus en plus spécialisés, et en
même temps la solidarité de tous ces spécialistes qui forment ce que Bachelard nomme magnifiquement « l'union des travailleurs de la preuve ».
mais la dimension sociale de la science ne nous livre pas la clef du
travail scientifique lui-même.
« La vérité scientifique est une prédiction, mieux une prédication ».
Voilà une très belle formule, caractéristique du style dense et brillant de Bachelard.
La science est prédiction car le moteur de la découverte c'est
l'hypothèse, définie par Bernard comme « explication anticipée et rationnelle des phénomènes ».
Le savant ne répond pas directement et définitivement à la question « pourquoi » par une proposition affirmative.
Mais il procède par le détour d'une nouvelle question.
Il demande, selon Bachelard : « pourquoi pas ? ».
C'est le savant qui va au-devant de la nature, qui risque une explication audacieuse, qui propose une
hypothèse imprévue et qui demande à la nature : « Pourquoi pas ? ».
La science est prédication car elle annonce la bonne nouvelle d'une explication rationnelle des phénomène ; elle invite par là disait Lalande à l'
« assimilation des esprits entre eux », tout ce qui est rationnel étant universel, susceptible d'être librement accepté par tous les esprits.
La science est principe d'union : ma preuve une fois comprise par toi devient
ta preuve.
La preuve marque à la fois la règle d'or de l'intelligence et la forme la plus haute de l'altruisme puisqu'elle implique le désir de s'accorder avec autrui sur les choses essentielles et le désir que cet accord ne.
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