Que gagne-t-on a perdre ses illusions ?
Extrait du document
«
Cette question pose le problème de la fonction de l'illusion et de ses rapports avec la vérité, problématique
souvent proposée sous des formulations diverses comme : « En quel sens peut-on dire que l'homme a besoin
d'illusion ? », « Pensez-vous que c'est l'illusion et non le savoir qui rend heureux ? », ou encore « Lorsque la vérité
dérange, faut-il lui préférer l'illusion qui réconforte ? ».
En effet, l'illusion est une « opinion fausse, une croyance
erronée qui abuse l'esprit par son caractère séduisant » (Petit Robert).
L'illusion est donc une chose agréable, qui
nous procure une certaine satisfaction, un certain bonheur.
On pourra ainsi axer sa réflexion sur les rapports
qu'entretiennent la vérité et l'illusion avec certaines formes de bonheur.
On évitera naturellement de multiplier les
exemples anecdotiques : il s'agit de construire une analyse philosophique.
Un constat : On dit « se bercer d'illusions », « dire adieu à ses illusions » ; on parle d'illusions « agréables », jamais
d'illusions « désagréables ».
En revanche, on parle de « dure vérité » et on dit que « la vérité blesse », que « toute
vérité n'est pas bonne à dire ».
Ainsi, pour le langage ordinaire comme pour la sagesse des nations, l'illusion est
perçue comme une certaine forme de bonheur, que détruit la vérité.
n Le problème se pose alors de savoir ce que l'on gagne à perdre ses illusions, pourquoi il faudrait préférer la vérité
qui dérange à l'illusion qui nous rend heureux.
1.
Le bonheur par la vérité
La thèse du sophiste Calliclès
On pourrait penser que la quête du bonheur n'a aucun rapport avec le savoir.
Dans le Gorgias de Platon, le sophiste
Calliclès soutient les deux thèses suivantes :
— être heureux, c'est donner satisfaction à tous ses appétits, désirs, passions ;
— philosopher, chercher la vérité, ne donne « aucune expérience des plaisirs » et est donc inutile.
« Pour bien vivre, il faut laisser prendre à ses passions tout l'accroissement possible, au lieu de les réprimer, et
quand elles ont atteint toute leur force, être capable de leur donner satisfaction par son courage et son intelligence
et de remplir tous ses désirs à mesure qu'ils éclosent » (Gorgias, G.
F., trad.
Chambry, p.
235).
La réponse de Socrate
Socrate conteste ces perspectives et ses arguments inaugurent une longue tradition qui associe bonheur et quête
du vrai.
Pour lui :
Il existe des plaisirs qui n'apportent qu'un bonheur illusoire.
Pour être vraiment heureux, il faut précisément se méfier des illusions, informations trompeuses qui viennent des
sensations et de l'opinion, et se jouent de nous ; il faut philosopher.
Philosopher, permet d'acquérir la connaissance des vrais biens, de ceux qui apporteront une satisfaction juste à
l'individu et à la Cité.
Le savoir rationnel permet d'orienter l'action en vue du bonheur sans se laisser prendre par des
mirages.
Bien plus, le savoir authentique donne le bonheur suprême dans la mesure où il comble le désir qui définit notre être
essentiel (notre âme), le désir de connaître.
C'est pourquoi la mort ne peut inquiéter Socrate : elle est « un
raccourci qui nous mène au but, puisque, tant que nous aurons le corps associé à l'âme dans notre recherche [...],
nous n'atteindrons jamais complètement ce que nous désirons, et nous disons que l'objet de nos désirs, c'est la
vérité » (Phédon, 66 b).
Des illusions de l'amour à l'amour du vrai
Dans le Banquet, Platon fait dire à Socrate que l'amour qui ne serait dirigé que vers la
beauté des corps serait vite source de souffrance et de déception ; en revanche,
l'amour peut conduire à la félicité si, par une « dialectique ascendante », nous
parvenons à passer de l'amour des beaux corps à celui des belles âmes et enfin à la
contemplation du Beau lui-même, c'est-à-dire à ce Savoir absolu du fondement de
toutes les beautés particulières.
Chercher à connaître l'idée de Beau permet de ne pas
rester prisonnier des illusions que développent les passions aveugles d'ici-bas,
lorsqu'elles se trompent d'objet.
Remarque: Toutes les morales antiques, de façon plus générale, sont des
eudémonismes, ce qui veut dire qu'elles définissent le Bien comme bonheur (eudaïmon,
en grec).
Toutes aussi disent que seul le sage est heureux, parce que seul il connaît la
nature du véritable bonheur en connaissant celle de l'homme.
Ainsi le sage stoïcien ne
désire-t-il que ce qu'il peut obtenir, ainsi le sage épicurien est-il satisfait lorsqu'il limite
ses désirs à ceux qui sont naturels et nécessaires.
Tous, avec des mots différents,
affirment que le bonheur par l'illusion ne serait qu'illusion de bonheur.
Dans la perspective des philosophies classiques, la vérité ne dérange en nous que ce qui mérite d'être dérangé : nos
préjugés, nos opinions reçues, nos passions, nos illusions.
Des illusions peuvent bien sûr réconforter celui qui
souffre, mais non le guérir.
les « remèdes » philosophiques, si l'on peut dire, ne sont pas de simples « réconfortants
» ; ils mettent en présence de la vérité, même cruelle, parce qu'il n'est de bonheur vrai que dans la vérité, ce qui
impose que l'on renonce à l'illusion..
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Que gagne-t-on à perdre ses illusions ?
- Peut-on perdre ses illusions ?
- Faut-il perdre ses illusions ?
- est-ce bien de perdre ses illusions ?
- Faut-il perdre ses illusions ?