Que faut-il entendre par les notions de "barbare", "primitif" et "sauvage" ?
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«
Introduction
Les termes barbare et primitif ont été généralement employés pour désigner des peuples, qui n'auraient pas évolué.
On attribue ainsi
à ces termes l'idée d'individus non éduqués, restés à « l'état sauvage ».
Cependant, il apparaît que le terme barbare, en son acception
péjorative, découle des grecs antiques.
Et celui d e primitif viendrait s e conceptualiser, quand il désigne des peuples, lors d'études
ethnologiques.
Le point commun qui subsiste entre ces deux termes est qu'il y a la plupart du temps un jugement de valeur unilatéral qui
en ressort, dans la mesure où le barbare et le primitif serait une forme de « déchet » de l'évolution humaine, puisqu'ils en restent à un
état selon beaucoup dépassé par notre culture.
Peut-on justifier cette idée qui affirme que des sociétés dont le mode de vie diffère du
nôtre (occidentaux), ou dont les pratiques nous paraissent intrigantes (voire déplacées), soient des sociétés barbares ou primitives ? Un
« regard éloigné » jugera-t-il à notre place de ce qu'il y a de fondamental dans la manière dont les hommes doivent se comporter ?
I.
La notion de barbare
a.
Barbare est le nom que les grecs donnaient par mépris à toutes les nations qui ne parlaient pas leur langue, ou qui ne parlaient pas
aussi bien qu'eux.
Etait donc barbare celui qui au lieu de parler grec – de posséder le logos – faisait du bruit avec sa bouche.
Les peuples
celtiques, germaniques, slaves ou encore asiatiques étaient considérés comme des barbares rustres et peu civilisés.
C'est l'étranger,
l'autre inconnu déjà, qui figurait cette notion péjorative.
Aristote ne montrait-il pas lui-même que tout homme en dehors de la cité, s'il
n'était pas un dieu, était un être dégradé, un monstre ? (Politique, I, 2).
b.
Le terme barbare – et le concept de barbarie qui lui est attaché – ont, de tout temps, eu une
connotation péjorative.
Ils traduisent à la fois le mépris pour l'autre, l'étranger, et la crainte qu'il inspire.
Michel de Montaigne, qui vécut l'époque « barbare » des guerres de religion de la fin du XVIe siècle,
exprime fort bien ce sentiment lorsqu'il écrit dans ses Essais : « Chacun appelle barbarie ce qui n'est pas
de son usage » (I, 31).
Toute l'entreprise colonialiste de l'occident elle aussi a perpétué ce complexe de
supériorité, faisant de l'autre, habitant d e contrées inconnues, un h o m m e à civiliser.
Egalement, le
terme « barbarie » servait à qualifier sous l'Ancien Régime la région considéré aujourd'hui comme le
Maghreb.
Selon l' Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, la barbarie était une « grande contrée d'Afrique,
enfermée entre l'océan Atlantique, la mer Méditerranée, l'Egypte, la Nigritie et la Guinée ».
Hegel luimême se fera prendre par le piège ethnocentriste quand il écrit ceci : « Le nègre représente l'homme
naturel dans toute sa sauvagerie et sa pétulance ; il faut faire abstraction de tout respect et de toute
moralité, de ce que l'on nomme sentiment, si on veut bien le comprendre ; on ne peut rien trouver dans
ce caractère qui rappelle l'homme » (Leçons sur la philosophie de l'histoire).
Il est surprenant d e voir
aujourd'hui comme le génie d'un homme peut s'effondrer à la lumière d'une telle ineptie.
II.
La notion de primitif
a.
Le terme « primitif » et très usuel en sciences humaines.
Tantôt on y appuie sur le sens
chronologique, et tantôt sur le sens qualitatif.
Aussi est-il très difficile de savoir ce qu'entend au juste la
plupart des auteurs quand ils parlent d'un peuple primitif, d'une institution primitive.
Durkheim dira
ceci : « Nous disons d'un système religieux qu'il est le plus primitif qu'il nous soit donné d'observer quand il remplit les deux conditions
suivantes : en premier lieu il faut qu'il se rencontre dans des sociétés dont l'organisation n'est dépassée par aucune autre en simplicité ; il
faut, de plus, qu'il soit possible de l'expliquer sans faire intervenir aucun élément emprunté à une religion antérieure ».
Voilà la conception
durkheimienne d'une société primitive, composée d'un agrégat d'individus primitifs.
Mais il n'en reste pas moins que pour l'auteur, le
terme « primitif » n'est pas arbitraire, il doit répondre à une signification précise (cf.
Les formes élémentaires de la vie religieuse ).
Le primitif
est donc le très archaïque, celui qui appartient au début de l'histoire, et qui présente en m ê m e temps « à l'état le plus dégagé les
éléments essentiels, permanents, qui constituent ce qu'il y a d'éternel et d'humain dans l'ordre des faits considérés ».
L'évolutionnisme
durkheimien implique ainsi un développement des sociétés du simple (primitif) au complexe.
Lévy-Bruhl relativisera avec précaution ce
type de théorie, et montrera que certaines langues parlées dans les sociétés les moins avancées que nous connaissons présentent une
extrême complexité : « Elles sont beaucoup moins simples quoique beaucoup plus primitives que l'anglais ( Les fonctions mentales dans les
sociétés inférieures).
b.
La première tentative d'analyse sociologique vraiment importante des croyances archaïques a été l'œuvre d'une école appelée
animiste et dont les principaux représentants furent Spencer, Tylor e t Frazer.
R a m e n é e à s e s lignes les plus générales, au-delà des
aspects particuliers que lui ont donnés chacun de ces auteurs, l'animisme est une interprétation à la fois rationaliste et évolutionniste de
la pensée archaïque.
Dans cette conception, l'homme primitif aurait élaboré ses premières croyances en cherchant à expliquer par des
raisonnements les phénomènes qui le surprenaient, notamment les visions qu'il avait dans s e s rêves et qui, tout naturellement, lui
semblaient douées d'une réalité objective.
Il en aurait conclu que son existence pouvait être double et qu'il possédait une âme séparable.
Puis, généralisant son interprétation du monde à partir de cette première croyance, il aurait supposé que les phénomènes naturels étaient
également produits par des âmes analogues à la sienne et capables d'agir volontairement.
Ainsi, la causalité se combinant à la similitude,
un raisonnement cohérent aurait conduit les hommes archaïques à peupler l'univers d'esprits, à animer les êtres et les choses.
Focalisée
sur une prétendue « mentalité » et sur des « croyances », la théorie de Tylor n'a retenu qu'une approche psychologique des faits religieux
« animistes », en présupposant un sujet « primitif » qui aurait universellement l'attitude que lui prêtait Tylor, c'est-à-dire qui serait partout
porté à conférer une â m e a u x êtres vivants et aux objets inanimés.
En négligeant que ces faits sont présents dans des sociétés très
diverses, et qu'ils sont intégrés dans des formes d'organisation hétérogènes (royautés ou sociétés sans État, sociétés lignagères ou
villageoises, etc.), Tylor ne pouvait expliquer les conceptions apparemment étranges repérables dans les sociétés traditionnelles que par
des concepts appauvris relevant de la psychologie de l'époque, tandis que parallèlement s'imposaient ceux de l'évolutionnisme : ainsi
attribuait-on une « mentalité enfantine » aux individus appartenant à des cultures animistes non scientifiques, sur la b a s e d'une
équivalence fallacieuse entre ontogenèse et sociogenèse.
Conclusion
Ces deux notions, barbare et primitif, sont représentatives des digressions qu'on pu instaurer des chercheurs en anthropologie.
Ces
d e u x termes recèlent encore ce préjugé qui consiste à voir dans des peuples dont le m o d e d e vie diffère du nôtre, une structure
inorganisée, ainsi que des comportements non civilisés.
L'anthropologie fera un bond essentiel avec Lévi-Strauss qui montrera que parler
de peuples barbares ou primitifs reste une conception ethnocentriste, qui n'attribue de valeurs qu'au regard de l'image qu'elle se donne.
Désormais l'adjectif « archaïque » est de plus en plus employé pour qualifier un état de civilisation qu'on appelait autrefois « primitif »,
parce que ce dernier terme semblait impliquer, d'une part un certain jugement d e valeur, et d'autre part une conception évolutive
déterminée.
Au sens strict, l'archaïsme serait propre aux temps préhistoriques.
Mais, en règle générale et par extension, on appelle
populations archaïques celles qu'étudient les ethnographes et qui sont restées plus ou moins en dehors du progrès technique et culturel,
caractéristique de notre propre civilisation..
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