Prétendre distinguer l'homme de l'animal, est-ce légitime ?
Extrait du document
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Le terme « animal » s'emploie en un sens large, où il désigne tout ce qui dans l'ensemble du vivant s'oppose au
règne végétal, et en un sens restreint, où il désigne tout ce qui appartient au règne animal à l'exception de l'espèce
humaine.
Ce double sens est révélateur de l'ambiguïté qui caractérise les rapports de l'homme et de l'animal : l'homme
peut être compris comme une sous-classe de la classe plus large « animal », ou comme un ensemble opposé à un autre
ensemble constitué par les animaux.
« Distinguer » peut donc signifier opposer l'humanité à l'animalité, ou accorder à
l'homme une place particulière au sein du monde animal.
De la manière dont on conçoit ce rapport dépend alors la
conception et la définition de l'humanité.
Qu'est ce qui peut rendre légitime que l'espèce humaine se définisse contre son
appartenance au règne animal, que cette définition repose sur ce qui est le propre de l'homme à l'exclusion de toute autre
espèce ? Cette démarche n'est-elle pas le fruit d'une prétention qui coupe l'homme de son origine et de son appartenance
biologiques ? Nous verrons dans un premier temps que nous pouvons accorder une légitimité à la distinction, au sein du
règne animal, entre l'essence de l'homme et celle des autres animaux, avant de montrer en quoi il peut être légitime de
définir l'homme en dehors du règne animal.
Nous nous interrogerons alors sur le fondement de la légitimité morale de
cette distinction.
1° L'homme est un animal dont l' essence rend légitime de l'opposer aux autres animaux
On peut supposer, en opposant les deux acceptions du terme animal, qu'il est légitime de distinguer l'homme des
autres animaux, dans la mesure où le développement de ses facultés lui donnent accès à une organisation sociale et à
une connaissance auxquelles les animaux ne peuvent pas prétendre : il en découle que l'homme est le seul animal à
posséder une culture et une histoire.
Mais il ne semble pas légitime de distinguer l'homme du règne animal en tant que tel,
et de nier l'appartenance de l'homme à ce règne.
Aristote a étudié, dans une perspective anatomique et biologique, le
vivant en tant qu'un ensemble cohérent d'êtres s'opposant aux choses inanimées.
Ces
études sont basées sur une anatomie comparée, qui met l'accent sur l'appartenance
de l'homme à ce règne : on comprend à quoi sert la pince du crabe par analogie avec
la main de l'homme.
Mais Aristote insiste moins sur le genre animal que sur sa
différence spécifique, qui rend légitime de faire à l'homme une place à part : l'homme
est un animal politique, doué de pensée.
Il existe des degrés de perfection au sein du
vivant, et l'homme, par son âme rationnelle, se distingue des autres animaux qui n'ont
qu'une âme nutritive, sensitive et motrice.
Seul parmi le règne animal, il peut ainsi
accéder à une connaissance et à une organisation sociale basées sur le Bien et la
sagesse.
2° L'humanité doit se définir en rupture avec l'animalité
La conception dualiste de Descartes, entre
substance pensante, qui est l'âme, et substance
étendue, qui est la matière, l'amène à définir
l'homme contre le reste du vivant : il n'est pas un
animal.
L'homme se définit par la pensée, alors
que son corps, et les animaux, qui n'ont pas
d'âme, peuvent donc être assimilés à des
machines ou automates.
Il est donc légitime à la
fois de couper l'homme de son appartenance avec le règne animal, dans la mesure où
l'humanité de l'homme ne repose que sur son âme, le corps n'étant que de la matière.
Il n'y a donc pas, comme chez Aristote, une spécificité des êtres vivants fondée sur des
âmes plus ou moins parfaites.
En ce sens, on peut dire que distinguer l'homme de
l'animal amène à fonder une conception humaniste, où l'homme, comme être de
morale, se définit contre ce que représente le règne animal, à savoir les instincts, les
rapports de force, l'absence de norme.
3° L'homme a-t-il le droit de refuser tout sentiment de communauté avec les
animaux ?
Il semble possible de ne pas remettre en cause la particularité de l'espèce
humaine au sein du vivant, tout en s'interrogeant sur la légitimité morale de cette
distinction, qui nie l'appartenance biologique de l'homme, et donc la communauté de
certaines de ces caractéristiques avec les autres animaux.
Que l'homme se définisse contre les caractéristiques des autres
animaux revient pour lui à se définir comme ayant des droits sur eux.
Si la légitimité de ce droit repose sur une spécificité
de la morale humaine, qui donc ne s'appliquerait qu'aux hommes, on peut s'appuyer sur la conception utilitariste de la
morale pour mettre en doute cette hypothèse.
Selon cette conception, le critère d'une action morale repose sur la
maximisation du bien être, c'est-à-dire la minimisation du déplaisir et de la souffrance.
Dans la mesure où ces notions ne
sont pas spécifiques à l'homme mais à l'ensemble du règne animal, on peut inclure les actions sur les animaux dans la
moralité, et penser que même si les animaux n'ont pas de morale, l'homme ne peut légitimer par ce fait la prétention
d'user des animaux en légitimant la souffrance qu'il leur inflige.
Conclusion
Distinguer l'homme de l'animal peut signifier accorder à l'homme une essence particulière au sein du règne animal :
la légitimité de cette distinction repose sur la qualité rationnelle de l'âme humaine.
Il est alors possible de radicaliser cette
idée en affirmant que cette spécificité de la pensée humaine légitime une rupture radicale entre l'homme et le reste du
vivant : ceci est au fondement d'un humanisme qui oppose la moralité et la culture humaines à l'animalité, qui ne connaît
pas de normes et est soumise aux instincts.
Cependant, mettre en doute le fondement de cette moralité dans un bien qui
serait proprement humain amène à douter du fait que la spécificité de homme doive le conduire à ne se reconnaître
aucune appartenance, et donc aucun sentiment de communauté, avec le règne animal..
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