Prendre soin du langage, n'est-ce que pur conformisme ?

« [ Vouloir conserver la pureté de la langue est une aberration. La langue est vivante: elle évolue et se transforme sans cesse au gré de l'usage populaire.

On ne peut pas la fixer dans un carcan de règles immuables.] La langue est vivante La langue évolue et s'adapte aux besoins de l'époque.

Il est donc illusoire de vouloir la figer dans un modèle immuable décidé par l'Académie.

La «bonne» langue, c'est celle que tout le monde comprend et parle, celle qui est déterminée par l'usage populaire, non celle que l'on parlait il y a trois siècles. Le langage est libre a grammaire est l'art de lever les difficultés d'une langue; mais il ne faut pas que le levier soit plus lourd que le fardeau», dit Antoine de Rivarol.

Les puristes ne s'attachent aux règles de grammaire que par conservatisme et par snobisme.

Le rôle du langage, c'est de communiquer des idées, de manière créative et en toute liberté.

Ce n'est pas de s'attacher à des règles formelles et creuses par simple goût de l'ordre. Le langage a ses propres règles Comme le dit Claude Lévi-Strauss dans La Pensée sauvage: «La langue est une raison humaine qui a ses raisons, et que l'homme ne connaît pas.» S'inspirant du structuralisme, des linguistes comme Noam Chomsky ont tenté d'élaborer des grammaires qui ne soient pas fondées sur des normes arbitraires, comme les grammaires classiques, mais qui reflètent le fonctionnement naturel, spontané du langage tel qu'on le parle. [La langue est la dépositaire de notre culture. Ne pas la respecter, c'est se conduire en ignorant. Il ne peut pas y avoir de pensée claire sans une langue claire. Celui qui parle mal ne peut pas penser correctement.] Les idées, même les plus sublimes, ne sont jamais à inventer, et elles se trouvent inscrites dans le vocabulaire consacré par l'usage», dit Alain dans Histoire de mes pensées.

La langue n'est pas un simple outil de communication.

Elle charrie tout notre héritage culturel, elle est la mémoire de tout ce que l'esprit a produit depuis des siècles.

Prendre soin du langage, c'est vouloir préserver cet héritage. Comme le dit Simone Weil dans Leçons de philosophie: «On peut, si on veut, ramener tout l'art de vivre à un bon usage du langage.» Bien parler, c'est démontrer sa culture et son intelligence, c'est prendre en compte des idées que d'autres ont eues avant nous, c'est montrer sa capacité à sortir de soi pour accéder à une culture universelle.

Celui qui ne se soucie pas de respecter la langue restera toute sa vie inculte et ignorant. Le langage n'est que le reflet de la pensée.

Qui parle mal pense donc mal.

L'individu qui structure mal ses phrases et ses discours, qui est incapable d'exprimer clairement ses idées, qui utilise un mot pour un autre ne fait que prouver la pauvreté et la confusion de sa pensée. Il y a quelques années, on a renoncé à réformer l'orthographe de la langue française en raison des nombreuses résistances que ce projet avait soulevées.

Malgré les intentions louables des linguistes qui avaient promu la réforme - il s'agissait de simplifier un certain nombre de règles de grammaire en les rationalisant - cet échec montre bien que l'on ne touche pas impunément à la langue.

La langue, en effet, n'est pas un simple outil de communication, elle est le sédiment de toute notre tradition culturelle et intellectuelle.

Par ailleurs, les règles de grammaire ne sont pas imposées arbitrairement par les grammairiens: elles ne sont que la ratification, par des instances officielles, de ce qui a été prescrit de manière spontanée par l'usage.

Les nouveautés de langage finissent toujours par être intégrées pour ainsi dire démocratiquement, quand il apparaît que tout le monde les utilise et que cela ne gêne personne.

Il n'y a pas de raison de refuser les modifications quand elles améliorent la commodité, la clarté, l'expressivité de la langue.. »