Pouvons-nous penser la matière ?
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Problématique : La matière d'une chose désigne le « ce en quoi » cette chose est faite ; l'ensemble de ses constituants, son
« matériaux ».
Ainsi définie, la matière est ce qui demeure par-delà les variations sensibles d'un être ; exemple : la tasse
(objet) et la porcelaine (matière).
La matière est aussi un principe d'explication de la réalité : elle s'oppose à tout ce qui est
d'ordre spirituel, intellectuel ou émotionnel ; elle est par opposition aux phénomènes mentaux, ce qui se donne dans
l'extériorité du monde senti sur le mode indubitable du fait.
D'où le problème : en tant qu'en-deçà des phénomènes, la
matière n'est pas sentie mais postulée ou spéculée, et elle peut être pensée ; mais en tant que manière d'être sensible de
l'objet, la matière s'éprouve (selon le paradigme commun du toucher) : elle est irréductible à la pensée que j'en ai.
C'est cette
double dimension de la notion de matière qu'il convient de prendre en charge et d'éclairer : pouvons-nous penser la matière
(sans contradiction) ?
1- NOUS POUVONS PENSER LA MATIÈRE COMME SUBSTRAT
a) Qu'est-ce que la matière ?
La matière désigne le substrat des choses : une tasse se brise, sa matière (la porcelaine par exemple) demeure malgré la
dissolution de l'individualité phénoménale de l'objet.
De ce fait, la matière n'est-elle pas, au lieu d'être empiriquement
constatée, toujours spéculée, pensée ?
b) La matière et l'esprit
Dans les Méditations métaphysiques, Descartes entreprend de mettre au jour ce que
nous connaissons distinctement dans ce qui se donne à nous sous le terme
générique de corps matériel et à cette fin, analyse l'expérience ordinaire d'un objet
particulier : un morceau de cire.
Or ce qui apparaît ici comme matière (la cire) ce
n'est pas ce que les sens ou l'imagination en perçoivent, mais cela est fonction
d'une opération de l'entendement.
En effet, le morceau de cire u point de vue des
sens varie (solide/liquide, froid/chaud, sonore/ sourd etc.) et cette variation n'est
aucunement saisissable par l'imagination (variation est infinie, l'imagination figure
du déterminé).
Du coup, c'est de l'esprit seul que nous pouvons percevoir qu'il s'agit
bien du même objet (sous sa forme solide et liquide).
Dans la deuxième Méditation, Descartes observe un morceau de cire "qui vient
d'être tiré de la ruche, il n'a pas encore perdu la douceur du miel qu'il
contenait, il retient encore quelque chose de l'odeur des fleurs d'où il a été
recueilli ; sa couleur, sa figure, sa grandeur sont apparentes : il est dur, il est
froid, on le touche, et si vous le frappez, il rendra quelque son".
Connaître un
corps, c'est apparemment le connaître par les caractères que nous percevons
: son odeur nous renseigne sur son origine, ainsi que sa couleur, sa
consistance, sa température, le son qu'il rend, sa forme et sa taille.
Approchant ce bloc de cire d'une flamme, sa "saveur s'exhale, l'odeur
s'évanouit, sa couleur se change, sa figure se perd, sa grandeur augmente, il
devient liquide, il s'échauffe, à peine le peut-on toucher, et quoiqu'on le
frappe il ne rendra plus aucun son".
S'agit-il de la même cire ? Tous les caractères distinctifs par lesquels on le
connaissait ont disparu, mais "il faut avouer qu'elle demeure, et personne ne le peut nier".
Les organes des sens ne
peuvent donc rien nous apprendre de stable ni de certain.
Ce que nous percevons de la cire ne nous apprend rien
d'elle.
Fondue, il ne demeure d'elle que quelque chose de flexible, d'étendu et de muable.
Imaginant la cire je ne
connaîtrai rien de plus d'elle ; flexible et malléable, elle pourrait prendre une infinité de figures que mon imagination
ne peut se représenter.
Par conséquent, il reste qu'il n'y a que "mon entendement seul qui conçoive ce que c'est
que cette cire".
Conçue par l'entendement ou l'esprit, cette cire n'est pas une autre cire que celle dont je fais
l'expérience sensible, mais seule une inspection de l'esprit me permet de la connaître, et non pas la vue, le toucher
ou l'imagination.
Conséquence : la matière est un concept de l'entendement ; nous ne pouvons que la penser.
Transition :
La matière n'est pas l'autre de l'esprit ou de la pensée, mais un concept de l'entendement.
Kant dira après Descartes, qu'elle
est condition de possibilité de l'expérience pour les sciences de la nature.
Toutefois, que la matière soit un « en-deçà » des choses irréductible aux variations phénoménales, changements de la chose,
nous permet-il d'affirmer qu'il est en notre pouvoir de la penser ? En effet, cette conception de la matière (comme substrat
pensé séparément du phénomène de l'objet, de l'objet donné au sens externe) est obtenu au terme d'une régression
analytique descendant vers le constituant ultime de la chose.
Or ce constituant indécomposable, élément simple, est-il
pensable ?.
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