Pouvons-nous penser autrui autrement qu'a partir de nous-mêmes ?
Extrait du document
«
ÉLÉMENTS DE RÉFLEXION
• Article « autrui » du Littré :
« Autrui de alter-huic, cet autre, à un cas régime : voilà pourquoi autrui est toujours au régime, et pourquoi autrui
est moins généra) que les autres.
»
• Lévinas : « Autrui, en tant qu'autrui, n'est pas seulement un alter ego (un autre moi-même).
Il est ce que moi je
ne suis pas.
» L'autre ne serait-il pas absolument autre qu'en étant un ego c'est-à-dire, d'une certaine façon, le
même que moi ?
• Reconnaître le semblable dans la différence ne serait-ce pas la condition de toute éthique et de tout « respect »
de « la personne »?
La reconnaissance de l'essence de l'étant (quelqu'un étant comme autre, comme autre soi), la reconnaissance «
d'autrui » ne conditionnerait-elle pas le respect de l'autre comme ce qu'il est : autre.
Sans cette « reconnaissance », sans ce « laisser-être » d'un autrui comme existant hors de moi dans l'essence de
ce qu'il est (est d'abord dans son altérité), une éthique est-elle possible ?
• « L'autre » et le moi de l'enfant.
La psychologie de l'enfant nous indique qu'il n'y a pas d'abord opposition entre le
moi et autrui.
L'enfant part d'un syncrétisme ou, si l'on veut d'un confusionnisme.
C'est précisément le rapport avec
autrui qui l'amènera à un changement de perspective.
• L'évolution de là personnalité de l'enfant s'accomplit à tous les stades, en fonction d'autrui :
— opposition à autrui,
— se donner en spectacle à autrui,
— jouer le rôle de l'autre, puis de l'autre généralisé (Cf.
l'ethnologie G.-H.
Mead),
— la crise dite d'originalité juvénile.
• Se demander si ce qui est donné en second lieu, ce ne serait pas le moi; si la connaissance du moi (et l'évolution
de la connaissance du moi) ne serait pas dépendante et en tout cas seconde par rapport à la connaissance d'autrui
(et l'évolution
de la connaissance d'autrui).
• S'interroger sur ce qui amène l'adulte à penser que le « moi » est premier.
L'adulte peut-il penser autrui autrement
qu'à partir de lui-même?
TRAITEMENT
Quand nous rencontrons un ami, nous nous comportons immédiatement comme si nous avions affaire à une personne
intelligente, raisonnable, capable de sensations et de sentiments, en tous points semblables à nous-mêmes.
Autrement dit, immédiatement, nous voyons en lui un autre moi, en latin un alter ego.
Pourtant, comment puis-je
savoir qu'autrui est un autre moi? La réponse la plus simple est la suivante je me représente autrui à partir de moimême, autrement dit j'imagine la pensée et les sentiments d'autrui sur le modèle de ma propre pensée et de mes
propres sentiments.
Mais une telle réponse n'est peut-être pas satisfaisante : elle semble impliquer l'existence d'un
raisonnement incompatible avec l'immédiateté avec laquelle je reconnais autrui comme un autre moi.
Y a-t-il une
autre manière de penser autrui, plus proche de notre expérience ordinaire? Pour répondre à ce problème, nous
examinerons tout d'abord la connaissance que nous semblons avoir d'autrui à partir de nous-mêmes, pour soumettre
ensuite cette analyse à une critique sévère.
Il nous restera à déterminer alors s'il peut exister une alternative à
cette manière de connaître autrui.
Par quel moyen pouvons-nous connaître autrui? Pour répondre à cette question, il faut auparavant déterminer ce
que signifie l'expression « connaître autrui », en d'autres termes, il nous faut savoir ce que l'on connaît lorsque l'on
connaît autrui.
Autrui est un autre moi.
Cela signifie qu'autrui est un être intelligent, capable de sensations et de sentiments, qui
manifeste dans son comportement sa rationalité, autrement dit, un être dont les caractères essentiels sont en tous
points semblables aux miens.
Ainsi, comprenons-nous les actions d'autrui en lui attribuant des désirs, des croyances
et une manière rationnelle de satisfaire ses désirs en fonction de ses croyances.
Par exemple, si un cycliste tend le
bras vers la droite à l'approche d'un carrefour, nous comprenons son acte en lui attribuant le désir de tourner à
droite et la croyance selon laquelle, en tendant son bras vers la droite, il indique aux automobilistes sa volonté de
tourner prochainement à droite.
D'autres phénomènes sont liés au fait qu'autrui est un autre moi : ainsi ai-je
spontanément à son égard une forme de respect que je ne manifeste pas pour les objets que j'utilise.
Or, une seule chose m'est donnée d'autrui, ce que je peux en percevoir par mes sens.
Je ne peux voir que son corps
et son comportement, c'est-à-dire les divers mouvements que son corps accomplit, je n'entends que les sons qu'il
peut émettre...
Mais rien de tout cela ne me fait connaître un être semblable à moi-même, puisque je ne suis pas un
corps accomplissant des mouvements dans l'espace, mais un être intelligent agissant de manière rationnelle en vue
de satisfaire mes désirs.
Et je sais que je suis essentiellement un être intelligent parce que, par introspection, c'està-dire par l'examen de mon intériorité, j'accède immédiatement à mes pensées et à mes sentiments.
Mais les
pensées et les sentiments d'autrui me sont inconnus.
Ainsi Descartes soutenait-il que s'il regardait la vue du haut de
sa fenêtre, il ne voyait que des chapeaux et des manteaux : il ne pouvait être certain qu'ils fussent portés par des
hommes et non par des spectres.
Pareillement puis-je être sûr que mon voisin n'est pas un robot?.
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