Pouvons-nous etre sûrs d'avoir compris autrui ?
Extrait du document
«
Remarques sur l'intitulé du sujet :
« Pouvons-nous » implique de déterminer ce qui est possible soit 1) comme ce qui est réalisable, ce qu'on a
les moyens de ...
ce que nous pouvons = ce dont nous sommes capables, soit 2) comme ce qui est permis, ce qu'on
a le droit de ...
ce que nous pouvons = ce qui est légitime
Ici, la question du droit ne semble pas se poser : comment interdire une compréhension certaine d'autrui ?
Alors que tant de méprises ou de mésentente sont sources de conflits, on tend davantage à faire de la
compréhension d'autrui un devoir
Ainsi, la question du fait sera première : si autrui se définit par son altérité, comment être sûr de le
comprendre comme nous nous comprenons nous-mêmes ? Il s'agira d'examiner si l'on peut combler la distance qui
nous sépare d'autrui : avons-nous les moyens de rapporter du subjectif à de l'objectif ?
Problématique : Si Autrui se définit par son altérité, pouvons-nous être sûrs de le comprendre ? En effet, qu'estce que comprendre autrui avec certitude sinon rendre son intériorité transparente ? Une telle entreprise semble
difficile.
Et pourtant on ne saurait se résoudre à ne jamais s'entendre avec autrui.
Par conséquent, peut-on, sans
nier ce qui fait la spécificité d'autrui, parvenir à le comprendre ou bien sommes-nous condamnés à des
interprétations plus ou moins juste le concernant ?
1-
NOUS NE POUVONS PAS ÊTRE SÛRS D'AVOIR COMPRIS AUTRUI
a)
Qu'est-ce que comprendre ?
Comprendre = savoir pourquoi ; donc « Comprendre autrui » = saisir les mobiles ou les motifs de ses actes et de
ses paroles, leur donner un sens en les rapportant à leur fin.
En un mot, il s'agit de cerner les intentions rendant
compte de son comportement.
Or, la difficulté tient à ce que l'intelligibilité produite n'a pas affaire à des causes au
sens strict [voir dans les « repères » la différence entre « expliquer/comprendre »] mais à des intentions, à une
visée, quelque chose d'éminemment subjectif.
En un mot, la compréhension de l'autre implique de saisir une partie de
son intériorité, c'est-à-dire de ce à quoi je n'ai pas directement accès.
D'où le risque possible d'erreur ; nous ne pouvons donc pas être sûrs d'avoir compris autrui dans la mesure où
nous devons toujours nous en remettre à des suppositions concernant son intériorité.
Voyons pourquoi.
b)
les phénomènes mentaux ne sont observables que d'un point de vue individuel
Ce qui est donné à chacun avec certitude, sans doute possible, c'est ce qu'il pense : Descartes dit ainsi qu'on
peut douter de tout sauf du fait même que l'on doute et en cela que l'on pense.
Autrement dit, la pensée est « ce
qui se fait immédiatement en nous de telle sorte que nous l'apercevons immédiatement par nous-mêmes ».
On voit
donc que tout mobile ou motif d'une action n'est saisissable que par le sujet de cette action.
Pour être sûr d'avoir compris autrui, il faudrait donc que nous disposions des moyens de rendre sa pensée aussi
claire et distincte que l'est la nôtre.
Or on sait bien que personne ne peut dire à ma place à qui ou à quoi je pense à
tel instant.
Ainsi nous pouvons comprendre autrui, donner des raisons à ses actes ou ses paroles, mais néanmoins,
nous ne pouvons être sûr que notre compréhension correspond bien à ce qu'autrui a voulu faire ou dire.
Pour qu'une
telle adéquation se produise, il faudrait en quelque sorte qu'autrui ne soit plus alter ego mais ego tout court.
En
effet, seul le « Je » connaît avec certitude ce qu'il veut, sent, pense, conçoit...
Transition
Parce que Comprendre = rapporter une série d'évènements (paroles et actes d'autrui) au principe qui a
présidé à leur apparition (les intentions d'autrui), nous ne disposons donc pas des moyens nécessaires pour être sûrs
d'avoir compris autrui : il faudrait pour cela « pénétrer » son intériorité – ce qui est impossible.
Cependant, une telle thèse rend-elle parfaitement compte de l'expérience ? Il semble qu'au quotidien,
comprendre autrui ne passe par aucun raisonnement.
Comme le dit Merleau-Ponty, la compréhension que j'ai d'autrui
n'est pas postérieure mais bien contemporaine à la perception que j'ai de son corps et donc de ses gestes et de ses
paroles.
Problème : thèse semble valide théoriquement mais non empiriquement : de fait, nous sommes sûrs d'avoir
compris autrui.
Dès lors, demander si nous pouvons être sûrs d'avoir compris autrui est moins une question d'ordre
factuel (nous constatons que nous sommes sûrs de savoir pourquoi autrui fait ou dit ceci et cela) que d'ordre
critique : de quel droit pouvons-nous être sûrs d'avoir compris autrui, ou plutôt, quelles sont le conditions de
possibilité de cette certitude quotidienne que nous avons concernant le sens des actions d'autrui ?
2a)
NOUS POUVONS ÊTRE SÛRS D'AVOIR COMPRIS AUTRUI
Autrui est une totalité psychophysique ...
Ce qui nous amène à rendre problématique la compréhension que nous pensons quotidiennement avoir
d'autrui tient à ce qu'autrui est pensé comme étant pour soi ce que je suis pour moi : ses actions sont les
manifestations d'une intériorité à laquelle lui seul (en tant que sujet pensant) à accès avec certitude.
Ainsi, le corps
de l'autre (son être « en soi » par opposition au « pour-soi ») n'est pour nous qu'un moyen, un intermédiaire entre
ce qui est visible et ce qui donne une structure à ce visible (les intentions d'autrui).
Telle est la thèse que récuse
Max Scheler, dans Nature et forme de la sympathie (1928).
Pour cet auteur, nous percevons autrui, non comme un corps, mais comme une unité psychophysique : ce qui
nous est donné primitivement, ce ne sont pas des caractéristiques extérieures ou matérielles, mais une structure
d'ensemble pourvue d'un sens.
Pour le dire autrement, les mouvements du corps d'autrui sont toujours déjà
signifiants.
Citation : «Il est certain que nous croyons percevoir dans le sourire d'un autre sa joie, dans ses larmes.
»
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