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Pourquoi un fait a-t-il besoin d'être établi ?

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« A - Forme de l'énoncé. Énoncé simple, sous forme directement interrogative.

En réalité, pour poser une pareille question, il a fallu savoir (et admettre) qu'un fait avait besoin d'être établi.

Nous avons donc le droit et le devoir de nous demander d'abord si un fait a besoin d'être établi, ou mieux, si tous les faits ont besoin d'être établis, ou encore, quand un fait a besoin d'être établi; enfin, question encore plus « primitive », ce que c'est qu'établir un fait.

L'expression est usuelle; nous devons nous demander ce qu'elle signifie. L'ordre des questions à poser serait donc : 1° Qu'est-ce qu'« établir un fait »? C omment établir un fait ? N 'y a-t-il pas différentes façons d'établir un fait? 2° Un fait a-t-il besoin d'être établi? T ous les faits ont-ils besoin d'être établis ? Sinon, quels faits ont besoin d'être établis ? 3° Pourquoi ? En réalité, il serait s ans doute inutilement minutieux de traiter une à une, séparément, ces différentes questions; mais vous devrez vous rappeler qu'elles se posent et vous demander, une fois votre dis sertation achevée, si vous avez bien répondu à toutes, et dans un ordre logique. Nous allons examiner tous les exemples que nous pourrons trouver en les choisis sant aussi variés que possible, et sans nous préocc uper pour l'instant de les ordonner. B - Discussion. 1° Dans une cour de justice, le juge ou le ministère public pourront être amenés à dire, par exemple, que les débats ont « établi » qu'un accusé a été complice d'un vol, parce qu'il a aidé le voleur à trans porter et à cacher le produit de son vol.

C 'est un fait qu'il est complic e, mais il a fallu établir ce fait. C omment ? Par l'interrogatoire de l'accusé qui a nié, qui s'est contredit, qui s'est rétracté, par les dépositions des témoins qui ne s'ac cordent pas toujours entre elles, par l'examen que des experts ont fait des pièces à convic tion, etc.

La culpabilité de l'accusé apparaît donc comme la conc lusion de toutes sortes de raisonnements et de dis cussions.

Si le tribunal avait pu voir l'accusé au moment où il transportait le portefeuille et le cachait dans un meuble de son appartement, le fait aurait été beaucoup plus facile à établir.

Mais ce n'es t là qu'une différenc e de degré. D'une façon générale, n'importe quel fait historique est reconstitué avec plus ou moins de facilité, avec une probabilité plus ou moins grande, au moyen des documents que nous pos sédons, documents d'ailleurs innombrables, car on ne sait jamais d'avance tout ce qu'on pourra tirer d'un texte, d'une inscription, de la découverte d'une tombe ou d'un édifice en ruines. 2° Q uand il s'agit de faits auxquels nous assistons, que nous voyons , ne peut-il nous arriver de nous tromper ? I l nous arrive maintes fois de nous méprendre sur l'identité d'une pers onne ou d'une chos e, sur une couleur, une forme, une distance, un mouvement.

Les erreurs de perception sont fréquentes; nous ne pouvons nous fier à une première impression, nous devons s a n s c e s s e c orriger, rectifier; même lorsqu'il ne s'agit pas proprement d'erreurs , nous pouvons n'avoir aperçu l'événement que partiellement, sous un certain angle, nous avons été attirés par certains caractères, et les autres s ont passés inaperçus .

O n sait qu'en général nous ne voyons que c e qui nous intéresse, c 'est-à-dire ce que nous cherchons à voir; perc evoir, c'est attendre une réponse à une ques tion que l'on pose, c e n'est pas recevoir passivement des impressions variées.

Il nous arrive parfois même d'être de mauvaise foi, de ne pas voir c e qui crève les yeux à d'autres , d'ac cueillir c ertaines informations avec complaisance, et de « fermer les y e u x » s ur certains détails.

P our toutes c e s rais ons, un fait a besoin d'être établi, c'est-à-dire que nous devons contrôler, compléter, rectifier, préciser au moyen d'instruments peut-être ou en fais ant appel au témoignage d'autrui, ce que nous avons pu observer nous-mêmes. 3° C es analyses ne se rapportent qu'à la manière dont nous exécutons bien ou mal, sommairement ou attentivement, à l'étourdie ou avec soin, l'opération que l'on appelle perception.

C 'est en effet par la perc eption que nous établis sons un fait, à condition de bien voir.

M ais il y a plus ; l'expres sion « établir un fait » prend un sens plus intéress ant encore si nous interrogeons la perception dans son fonctionnement même.

U n fait n'est pas « donné »; c'est-à-dire qu'il n'existe pas comme tel dans la réalité, pour être ens uite présent dans notre pens ée.

C e qui est donné, c'est l'impression sensible; si je perçois l'arbre qui es t devant ma fenêtre, c'est bien parce que j'éprouve certaines sensations, mais je n'éprouve pas «la sensation d'un arbre ».

P ercevoir, c'es t penser un objet ou un fait, c'est-à-dire me servir de concepts.

Le concept es t ce qui « donne forme » au donné sensible.

A us si bien un fait n'existe que parce que je puis l'énoncer, l'exprimer par la parole : « Une voiture est passée dans la rue », « L'horloge a sonné six coups », « V oici le facteur », « L'hiver approche ».

Le fait est prés ent dans un discours qui a un sens, et il a un s ens parce qu'il est formé de concepts .

Que je me trompe ou non en décrivant un fait, je ne puis déc rire un fait qu'au moyen de concepts.

O r, les concepts sont des ins truments de pensée dont je dispose, que je forge moi-même selon mes besoins et mes moyens, dont je choisis, selon les circonstances, l'un ou l'autre.

Par exemple, pour énoncer le même fait, je puis dire : « La lampe s'allume» ou : «Le courant passe ».

De là naît l'idée qu'il y a une différence entre le fait sc ientifique et ce qu'on a appelé « le fait brut », à tort d'ailleurs , puisque le fait brut est lui aussi la mise en forme d'un donné par un concept, seulement par un concept différent des concepts sc ientifiques. S'agit-il là, à proprement parler, de « l'établissement » des faits ? Le cas n'est pas le même que précédemment.

certes; mais il est bien plus remarquable, car il s'agit ic i véritablement de la constitution, de la construction d'un fait.

Un fait est caractérisé par sa structure; cette structure lui est conférée par une opération de l'entendement, et, encore une fois , une opération dans laquelle l'entendement dispose d'une liberté de choix.

P our prendre un exemple simple, des arbres plantés en quinconc e, on peut les voir comme des alignements longitudinaux, ou des alignements transversaux, ou des alignements obliques soit vers la gauche, soit vers la droite. 4° L'analyse des différentes struc tures peut nous conduire, notamment, à distinguer le « fait sc ientifique » et le « fait historique », qu'il serait intéressant d'étudier en détail. Le fait scientifique est l'énoncé d'une loi.

C 'est un fait que les corps s'attirent en raison directe du produit de leurs masses et en raison inverse du carré de leur distance; or, c 'est là la loi de la gravitation.

L'eau bout à 1 0 0 ° à l a p r e s s i o n ordinaire; le phosphore fond à 44°; le rapport du sinus de l'angle de réfraction au sinus de l'angle d'incidence est constant, ce sont là des faits, et ce sont des lois.

Or ces lois sont des relations abs traites entre les concepts abstraits que s ont la masse, la force, l'angle, le sinus de l'angle, l'eau (H2O), le phosphore, etc.

Et ces concepts sont ou ne sont pas utilisés s elon qu'on a décidé de se référer à telle théorie scientifique ou à telle autre.

Selon qu'on admet la théorie corpusculaire de la lumière ou la théorie ondulatoire, on rend compte des mêmes apparences visuelles au moyen de concepts et de lois différentes .

Mais les formules dont on s e sert constituent toujours des énonc és de faits.

La gravitation est un fait, mais un fait que l'on constate chaque fois qu'un voit un corps tomber, ou que l'on observe le mouvement de la Lune et des P lanètes; c'est pourtant un fait bien différent de celui que représente un enfant qui traverse une rue, ou une balle qui es t renvoyée par une raquette, ou une feuille morte qui tombe de la branche; on dira que c'est un «fait général », « un fait qui se répète »; en réalité ce qui est général (et que nous répétons ) c'est l'énoncé de la loi de la chute des corps, ou des lois de la balistique; on dira encore « fait théorique », le « fait pratique » étant justement l'événement singulier de la chute de c ette feuille de platane.

De quelque nom qu'on le dés igne, il res te que c'est s ans c ontestation possible un fait, et qu'on est amené à concevoir l'existenc e de cette classe de faits parce que l'entendement humain est ains i fait qu'il saisit le donné par le concept, le conc ret par l'abstrait. 5° L e s faits historiques ont une autre structure; i l s s ont toujours, s i mesquins ou s i vas tes soient-ils, singuliers, c'est-à-dire datés et localisés. L ' a s s a s s i n a t de Henri I V par Ravaillac es t un fait historique, la guerre de C ent A ns en est un autre, ou l e s C roisades, ou la Révolution de 89.

Or, la Révolution de 89, par exemple, bien que constituant un fait hist9rique contient, ou domine, une infinité de faits historiques : la réunion des États -Généraux, le serment du Jeu de P aume, la fuite du roi, la levée en masse, l'émigration, etc.

Et chacun de c es faits, à son tour, contient ou domine une infinité d'autres faits; et pourtant on ne peut conc evoir qu'un « fait d'ensemble » — appelons-le ainsi — soit simplement la succession et la somme de plusieurs faits de détail.

A chaque éc helle, nous sommes en présence de faits dont chacun a s on unité et sa struc ture; et la structure propre à une certaine échelle n'est pas l'analogue, l'homothétique de celle d'une autre échelle.. »

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