Pourquoi parle-t-on de moins en moins de savants et de plus en plus de chercheurs ?
Extrait du document
«
Analyse du sujet:
Le sujet nous suggère que la figure du savant est désuète.
Le scientifique n'est plus tant celui qui sait que celui qui cherche, et donc qui sait que son savoir
n'est pas
complet voire n'est pas sûr.
Mais, ce changement de vocabulaire est-il anodin, ne nous enseigne-t-il pas quelque chose sur la science contemporaine par
rapport à une conception ancienne.
La formulation de la question suggère, en outre, que ce processus est encore en cours.
Le terme de savant disparaît peu à peu.
Comment l'expliquer?
Il faut commencer par bien distinguer la figure du savant de celle du chercheur.
Si les deux termes désignent les mêmes personnes: les
scientifiques ; chacun d'eux en dresse une vision particulière
Le savant c'es t celui qui sait, qui détient un savoir.
Il se distingue du profane, de
celui qui ignore.Or, le savoir se caractérise par son étendu, être savant c'est savoir beaucoup de choses dans de nombreux domaines.
Le chercheur, comme son nom l'indique est celui qui ne sait pas t out, celui dont la savoir est incomplet.
Cela nous indique un aut re rapport
du scientifique à son savoir qu'il nous faudra interroger.
Ainsi c'est la science qui change de nature entre une science pensée sur le mode de la recherche et une science pensée sur celui d'un savoir toujours
croissant.
La science est de plus en plus spécialisée, la façon dont le scientifique appréhende son travail et les connaissances acquises évolue.
Enfin, il ne faut pas occulter que la dénomination de savant ou de chercheur ne qualifie pas seulement le travail scientifique mais la situation des
scientifiques par rapport à une société.
Le chercheur n'est plus savant car il n'est plus à même de tenir ce rôle par rapport aux profanes.
Problématisation:
De plus en plus des chercheurs se substituent au savant.
Ne faut-il voir dans ce processus qu'un changement de terme par lequel nous appellerions les mêmes personnes
par un nom différent? Ou cela engage-t-il une différence profonde sur la réception de la science par les profanes et les scientifiques eux-mêmes?
1.
Le statut du savoir scientifique.
a)
Le savant est celui qui est réputé détenir un savoir très étendu.
La science que le savant possède est positive, il peut savoir davantage mais ce qu'il sait est
incontestablement vrai.
C'est bien ce qui sépare la science des préjugés qui procèdent d'une ignorance.
La science, dans une telle conception, est plus quelque chose de fixe, que
l'on peut posséder, que quelque chose qui est en train de se faire, qui est dans une remise en cause perpétuelle.
b)
Le savant est celui qui détient le savoir scientifique, et il est d'autant plus savant que sa science s'étend à plusieurs domaine.
Au XIX ème siècle, le progrès
scientifique consiste dans l'application de la méthode scientifique à tous les domaines.
Cela n'est par ailleurs pas nouveau, nombre de philosophes ont voulu étendre la rigueur
scientifique à tous les domaines que ce soit Descartes, Hobbes ou Kant.
L'unité de la science repose sur une conception de la nature comme ordonnée par la raison.
Toute la
réalité peut être connue par la science parce qu'il n'y a pas de spécificité de certains domaines.
Par exemple, le mécanisme de Hobbes est un refus de la dualité cartésienne âme
et corps.
c)
A cela s'oppose un science qui n'est pas sûre de ses propres fondements, qui est envisagée par les scientifiques comme des hypothèses provisoires.
La science
conserve de moins en moins un caractères dogmatique et, de ce fait, le travail sicentifique est plus dynamique.
Le scientifique est un chercheur car il ne sera jamais savant au
sens où il accumulerait par sont travail de plus en plus de savoir.
Il ne peut avoir plus de connaissance mais une connaissance plus juste plus conforme à la réalité et à
l'observation.
Popper fait du critère de scientificité d'une théorie sa falsifiabilité.
Il écrit : «Un système faisant partie de la science empirique doit pouvoir être réfuté par l'expérience.» De cette manière, elle ne peut être un dogme, elle est même le contraire
du dogme.
L'histoire des sciences physiques est celle de leur révolution permanente.
Les théories n'ont qu'une valeur provisoire.
Des faits « polémiques » surgissent qui les contredisent, qui obligent à des révisions.
Tout succès
scientifique ouvre plus de questions qu'il n'en clôt.
Faut-il pour autant sombrer dans le scepticisme et affirmer qu'il n'y a rien qui vaille vraiment ? Comment distinguer, dès lors, la véritable science de la métaphysique ou des
pseudo-sciences comme l'alchimie ou l'astrologie ? Et que penser des sciences humaines ? La psychanalyse, la théorie de l'histoire de Marx peuvent-elles prétendre légitimement à la scientificité ? Popper, dans « Logique de
la découverte scientifique » propose un critère de démarcation, capable d'établir, de manière concluante, la nature ou le statut scientifique d'une théorie.
Il écrit : «C'est la falsifiabilité et non la vérifiabilité d'un système qu'il
faut prendre comme critère de démarcation.
En d'autres termes, je n'exigerai pas d'un système scientifique qu'il puisse être choisi, une fois pour toutes, dans une acception positive mais j'exigerai que sa forme logique soit telle
qu'il puisse être distingué, au moyen de tests empiriques, dans une acception négative : un système faisant partie de la science empirique doit pouvoir être réfuté par l'expérience.
»
A l'époque de Popper, on affirmait généralement que ce qui distinguait la science des autres disciplines, c'était le caractère empirique de sa méthode.
Autrement dit, en multipliant les observations et les expériences, le
savant en tirait, en vertu du fameux principe d'induction, des lois qu'il considérait comme nécessaires et universellement valides.
Partant de là, les néopositivistes soutenaient que tout ce qui n'est pas vérifiable est
« métaphysique » et doit être éliminé de la science.
Or, comme le souligne Popper, l'induction, qui consiste à inférer une règle universelle à partir d'une multitude de cas particuliers et donc des théories à partir d'énoncés
singuliers vérifiés par l'expérience, est une démarche logiquement inadmissible : « Peu importe le grand nombre de cygnes blancs que nous puissions avoir observé, il ne justifie pas la conclusion que tous les cygnes sont blancs.
»
Aussi Popper affirme-t-il qu'aucune théorie n'est jamais vérifiable empiriquement et il distingue trois exigences auxquelles devra satisfaire ce qu'il appelle un « système empirique » ou scientifique : « Il devra, tout
d'abord, être synthétique, de manière à pouvoir représenter un monde possible, non contradictoire.
En deuxième lieu, il devra satisfaire au critère de démarcation, c'est-à-dire qu'il ne devra pas être métaphysique mais devra
représenter un monde de l'expérience possible.
En troisième lieu, il devra constituer un système qui se distingue de quelque autre manière des autres systèmes du même type dans la mesure où il est le seul à représenter notre
monde de l'expérience.
»
La troisième exigence est la plus décisive.
Comment, en effet, reconnaître le système qui représente notre monde de l'expérience ? La réponde de Popper est la suivante : par le fait qu'il a été soumis à des tests et qu'il y a
résisté.
Cela signifie qu'il faut appliquer une méthode déductive.
En d'autres termes, si nous ne pouvons exiger des théories scientifiques qu'elles soient vérifiables, nous pouvons exiger d'elles qu'elles soient mises à l'épreuve.
Il
s'agit pour cela de déduire de la théorie examinée des énoncés singuliers ou « prédictions » susceptibles d'être facilement testés dans l'expérimentation.
Une théorie qui ne résiste pas aux tests sera dite « falsifiée » ou
« réfutée » par l'expérience.
Si elle passe l'épreuve des tests, elle sera considérée comme provisoirement valide jusqu'à ce qu'elle échoue à des tests ultérieurs ou qu'une théorie plus avantageuse apparaisse.
Ainsi alors que, jusqu'ici, une théorie était considérée comme vraie parce qu'elle était confirmée par de nombreuses observations et expérimentations, c'est aux yeux de Popper la « falsifiabilité » ou la possibilité d'être
falsifié par l'expérience, qui permettra de faire le tri entre les énoncés scientifiques et ceux qui ne le sont pas : « Un système faisant partie de la science empirique doit pouvoir être réfuté par l'expérience.
»
Ainsi l'énoncé « Il pleuvra ou il ne pleuvra pas ici demain », étant infalsifiable, sera considéré comme non empirique, puisqu'aucune expérience ne peut l'invalider et comme non scientifique.
Autrement dit, l'irréfutabilité
n'est pas vertu mais défaut.
Et c'est au nom de ce critère de falsifiabilité que Popper peut exclure de la science des théories comme le marxisme et la psychanalyse, théories qui sont totalisantes, qui couvrent la totalité des
phénomènes qui se produisent dans leur domaine d'attribution, qu'aucun fait ne pourra jamais contredire.
Prenons l'exemple de la psychanalyse.
N'est-ce pas une théorie qui échappe à toute épreuve qui pourrait la réfuter ? Le refus de la réalité de l'inconscient ou encore de la sexualité infantile n'est-il pas, au fond, pour le
psychanalyste, une manifestation même de résistance ? Quelle que soit la critique qu'on adresse à la psychanalyse, ne peut-elle pas être interprétée par le médecin en termes de résistance ? C'est précisément parce qu'elle
n'exclut aucun fait de son domaine, même ceux qui pourraient la contredire, que Popper relègue la psychanalyse au rang de fausse science, aux côtés de la cartomancie ou encore de l'astrologie.
Il est donc possible de décider de la vérité ou de la fausseté d'une théorie ou d'un énoncé, et ce de manière concluante.
Dire qu' « un système faisant partie de la science empirique doit pouvoir être réfuté par l'expérience »,
cela signifie bien que, paradoxalement, « c'est la falsifiabilité et non la vérifiabilité d'un système qu'il faut prendre comme critère de démarcation ».
Est vrai ce qui peut être falsifié.
On accordera à Popper que dans le domaine des sciences physiques ou plus généralement des sciences de la nature, démontrer une théorie, c'est tenter de la falsifier, autrement dit, élaborer les conditions de la
découverte des faits capables de l'infirmer.
L'histoire de ces sciences nous montre qu'aucune théorie, même parfaitement établie dans la communauté scientifique, n'est jamais définitive.
Les progrès se font par erreurs, par
conjectures et réfutations.
On ne peut jamais souscrire à une théorie que provisoirement, c'est-à-dire tant qu'elle survit aux tests destinés à l'invalider.
On constate aussi qu'une nouvelle théorie n'annule pas toujours
complètement l'ancienne.
Elle peut, tout en la contredisant, la contenir comme bonne approximation, lorsqu'un paramètre tend vers une valeur limite.
Par exemple, la théorie de l'attraction universelle de Newton est englobée
dans la théorie de la relativité généralisée de Einstein.
On peut même conjecturer que, sans être vraies, les théories nouvelles sont plus proches du vrai que celles qu'elles ont dépassées.
Autrement dit, les rapports polémiques
entre les constructions théoriques et les faits nouveaux sont à la source d'une plus grande rationalisation du réel et de progrès de la raison elle-même.
Toutefois ce n'est pas parce que certaines théories ne répondent pas à ce critère de falsifiabilité qu'il faut nécessairement les ravaler au rang de pseudo-sciences.
Il y a là une affirmation d'autant plus dogmatique que savoir
ce qu'est une science n'est pas décidable scientifiquement.
Il y a là aussi ce préjugé tenace que les sciences physiques sont le modèle de toute science, préjugés qui a freiné l'évolution des sciences humaines.
Voyons la critique de
la psychanalyse : elle est certes séduisante, mais elle oublie le statut particulier de cette théorie qui vise à formuler des « vérités » sur un objet qui est l'inconscient, objet qui ne fait pas sens dans le sens du discours que la
conscience tient sur elle-même.
La théorie freudienne est liée à la découverte, par Freud, de son propre inconscient et de certaines dimensions qui se retrouvent dans l'inconscient de tout homme.
Comme le souligne Laplanche,
« la psychanalyse personnelle est la voie royale pour accéder à quelque part de la vérité psychanalytique.
»
d)
De plus, la recherche scientifique est devenu spécialisée.
Un chercheur en électromagnétisme peut ignorer des choses concernant d'autres domaines.
La division
des spécialités contribue à faire de la science quelque chose qui ne peut pas être possédée dans sa globalité.
L'unification des connaissances est aujourd'hui quelque chose qui ne
peut plus se faire par quelques figures savantes mais par un travail collectif.
2.
Le statut du scientifique.
a)
Puisque le chercheur n'est plus nécessairement celui qui sait, il ne peut pas répondre à toutes les questions.
Il n'est pas, comme le savant, celui qui a réponse à tout
ou du moins à beaucoup de choses.
Le statut de scientifique vis à vis du scientifique lui-même mais aussi de la société ne peut plus remplir le rôle de temple vivant du savoir.
La
science peut de moins en moins être accumulée dans des temples vivants de la connaissance parce que, par son travail incessant, toute théorie peut s'avérer être réfutée.
b)
Vis à vis du scientifique lui-même, il ne peut plus se prétendre savant puisqu'il n'est plus sûr que ses connaissances soient en réalité telles qu'il les connaît.
La remis
en cause permanente des théories scientifiques, ce que Kuhn appelle les paradigmes ne permet pas d'avoir une stabilité.
Le chercheur ne remet-il par ailleurs pas en question cette
notion de paradigme? En effet, puisque le chercheur a vis à vis de son travail un doute sur le paradigme et que ce doute s'avère par ailleurs un élément essentiel de la science
contemporaine, il n'y a plus ou semble de moins en moins avoir de connaissances certaines.
Celles-ci sont de plus en plus fondés sur un but pratique.
LA NOTION DE PARADIGME SELON KUHN
L'histoire des sciences, pour Kuhn, n'est pas constituée par un progrès continu et cumulatif, mais par des sauts, par des crises qui voient des paradigmes se substituer soudainement à d'autres.
Un paradigme, c'est un modèle
dominant, faits de principes théoriques, de pratiques communes, d'exemples fondateurs qui soudent une communauté de chercheurs, qui orientent leur recherche et sélectionnent les problèmes intéressants à leurs yeux.
Un
paradigme n'est jamais totalement explicite.
C'est pourquoi, selon Kuhn, le questionnement scientifique n'est jamais neutre.
Dans la postface à son livre La Structure des révolutions scientifiques (1 962), Kuhn cherche à classer les différentes significations du concept de paradigme :.
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