Pourquoi les productions qui surgissent de l'esprit humain ont-elles plus de valeur que les oeuvres qui imitent la nature ?
Extrait du document
«
Le terme de « production » recoupe un grand nombre de significations qu'il faudra nous garder de réduire
arbitrairement.
En effet, par production nous pouvons entendre tout ce qui est le résultat d'une activité consciente,
qui définit la forme de l'objet à créer et le processus pour y parvenir, avant de mettre en pratique ce dernier.
Sont
donc des productions tous les artefacts, qu'ils soient de nature artistique ou non.
L'idée d'une production qui surgit de l'esprit humain pourra être critiquée, mais commençons d'abord par en cerner
les contours.
Une telle idée nait et se développe dans le seul esprit d'un individu, son substrat est le psychisme d'un
sujet : le verbe « surgir » nous indique qu'une telle idée n'est pas le résultat d'une activité consciente de sa part,
mais plutôt d'une activité infra consciente qui produit cette idée à son insu.
Le terme de « valeur », quant à lui, n'est pas univoque non plus.
Car nous pouvons dire d'une chose qu'elle a de la
valeur ou qu'elle est une valeur.
Lorsque nous disons qu'elle a de la valeur, nous entendons par là qu'elle peut servir
à satisfaire nos besoins : soit par elle-même, en tant qu'elle assouvit le manque que nous avons ; soit par la
médiation d'une autre chose, qu'elle nous permet d'obtenir au moyen d'un échange.
Mais lorsque nous disons d'une
chose qu'elle est une valeur, ce dernier terme doit s'entendre d'une manière parfaitement différente : nous disons
alors que cette chose mérite d'être suivie comme principe, ou poursuivie comme fin de l'action humaine.
Il peut s'agir
alors d'un idéal (comme la liberté ou le bonheur) d'une norme (telle que l'égalité ou la justice) ou bien d'une
institution (par exemple, la famille ou l'Etat).
La notion d'imitation implique un effort de reproduction de ce qui est visible dans la nature, afin de produire un objet
dont la forme corresponde à ce dont nous avons une expérience empirique.
Les notions d'imitation de la nature et celle de surgissement dans l'esprit humain sont bel et bien contradictoires :
l'une implique l'existence d'un modèle préexistant, et d'une activité dont le produit sera d'autant plus parfait qu'il
correspondra à ce modèle ; l'autre implique l'existence d'une activité infra consciente du sujet, qui donne jour à une
idée qui, telle, les dieux de l'antiquité qui naissaient à l'âge adulte et en armure, vient au jour entièrement réalisée.
Nous questionnerons d'abord le présupposé de la question (si l'on demande « Pourquoi les productions qui surgissent
de l'esprit humain ont-elles plus de valeur que les œuvres qui imitent la nature ? » cela signifie que nous
présupposons que les premières ont plus de valeur que les secondes) avant de montrer les causes de cette
attribution d'une valeur supérieure aux productions surgissant de l'esprit humain.
I.
Remise en question des deux présupposés de la question : l'existence d'un
« surgissement » dans la pensée ; l'existence d'une infériorité de l'imitation.
a.
Peut-on parler en toute rigueur d'un surgissement dans l'esprit humain ?
Nous commencerons par remettre en question l'idée d'un surgissement d'une production dans l'esprit humain.
En
effet, une telle idée implique que la production qui surgit n'a pas fait l'objet d'une activité conscience de la part du
sujet, qu'elle nait dans son esprit à la faveur d'un travail infra conscient, avant de se produire au monde, et d'abord
à lui-même, entièrement formée.
Il semble d'autre part qu'il n'y a pas lieu de distinguer rigoureusement entre ce type
d'idées et celles produites par l'imitation de la nature, étant donné qu'il y a toujours une part d'imitation de cette
dernière dans toutes nos productions.
En effet, nous n'inventons rien sans emprunter à notre expérience de la
réalité des matériaux et des formes, et si l'agencement de ces derniers est notre, l'origine de nos productions n'est
pas moins naturelle : tel le rêve qui, malgré son apparente absurdité, emprunte à la nature les éléments que le
psychisme recompose.
Par conséquent, si nous voulons parler de « production surgissant de l'esprit humain », nous
devons préciser qu'elles ne surgissent pas ex nihilo, qu'elles empruntent à la nature sans l'imiter ouvertement : elles
sont le fruit d'une recomposition du donné empirique, et non d'une activité recherchant une similarité de ses objets
et procès avec la nature.
b.
La doctrine de l'imitation, pierre de touche de la valeur durant des siècles
Par ailleurs, nous dirons que la valeur supérieure des productions surgissant de l'esprit humain n'est qu'une réalité
historique, puisque l'imitation de la nature a longtemps été conçue comme l'activité la plus noble qui soit.
Dans la
doctrine aristotélicienne, les productions de la nature auront toujours plus de valeur que celles de l'art, car la nature
manifeste une spontanéité dans la production d'effets que n'atteindra jamais l'homme ; jusqu'au XVII e siècle,
l'imitation de la nature est restée en art l'idéal de la production.
II.
Les productions surgissant de l'esprit humain ont plus de valeur symbolique que les
imitations de la nature
L'auto reconnaissance du sujet dans les productions surgies de son esprit
Cependant, à la faveur de changements historiques et philosophiques considérables conduisant à la valorisation du
sujet, de l'individu, les productions surgissant de l'esprit humain ont été dotées de plus de valeur que les imitations
de la nature.
Prenons l'exemple du Manifeste du Surréalisme : Breton montre que le sujet est plus fier des
productions inconscientes qui surgissent du psychisme que des résultats de l'activité rationnelle la plus appliquée.
En effet, le sujet se reconnait dans les premières, révèle quelque chose qui n'appartient qu'à lui, alors que les
secondes sont réalisables par tous..
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