Pourquoi le temps est-il dit destructeur ?
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«
Introduction
• Le temps, défini tout d'abord comme ce changement perpétuel qui transforme le présent en passé, est-il par
essence et par nature même ce qui défait l'individu ou l'humanité ? Est-il, en son fond, ce qui altère jusqu'à faire
disparaître, ce qui supprime en ôtant la vie ? D'emblée, on le saisit, l'intitulé donne à voir et manifeste notre
impuissance tragique à l'égard de l'irréversibilité temporelle.
Aussi va-t-il conduire à toute une problématique
concernant ce temps que Unanumo considérait comme notre « plus cruel tyran ».
La mort et le temps ne sont-ils
pas nos maîtres absolus ?
• Le temps ne signifie-t-il pas la déchéance de l'être, la dégradation dans le non-être ? L'âme ne doit-elle pas
s'affranchir de ce temps qui emporte tout sans retour et qui empêche le sujet de fixer une quelconque réalité ? Le
problème est, en définitive, de savoir si l'homme fera son salut dans le temps ou contre lui, en s'en libérant.
• L'enjeu se dégage nettement : si le temps est lié à l'activité de la conscience et n'est pas essentiellement
destructeur, alors nous possédons un gain de sens et d'intelligibilité.
D'une certaine façon, le sujet enveloppe, selon
la réponse, une retombée dans le non-être ou bien une maîtrise rationnelle de la vie humaine.
Selon le cas, nous
gagnons sens ou non-sens, clarté ou opacité définitive.
A.
Le temps est essentiellement destructeur (thèse)
De prime abord, comment le temps ne nous apparaîtrait-il pas comme essentiellement destructeur, apportant, dans
notre vie, le négatif et la mort ? Il détruit, au sens fort, c'est-à-dire supprime en ôtant la vie, et ce parce qu'il se
caractérise par une étrange privation d'être : le temps est non-être, vacuité, manque d'être.
Il n'existe absolument
pas et n'a qu'une existence imparfaite et obscure.
Pour une part, comme l'écrivait Aristote, il a été et il n'est plus
et, pour l'autre, il n'est pas encore.
Où est l'être dans le temps ? De tous côtés, le temps est marqué par le nonêtre, imbibé de non-être, ainsi que nous le dit Saint Augustin : « Comment donc, ces deux temps, le passé et
l'avenir, sont-ils, puisque le passé n'est plus et que l'avenir n'est pas encore ? Quant au présent, s'il était toujours
présent, s'il n'allait pas rejoindre le passé, il ne serait pas du temps, il serait l'éternité.
Donc, si le présent, pour être
du temps, doit rejoindre le passé, comment pouvons-nous déclarer qu'il est aussi, lui qui ne peut être qu'en cessant
d'être ? » (Saint Augustin, Les Confessions, Livre XI, Garnier-Flammarion)
Mais comment comprendre cette opération de destruction inhérente au temps ? Comment le non-être qui est sien
défait-il et annihile-t-il notre vie ? L 'irréversibilité temporelle se manifeste dans la durée et marque la puissance du
négatif à travers une orientation inéluctable.
Si l'espace est réversible (je vais de A en B et de B en A), le temps,
lui, est changement irréversible.
Tout s'écoule, tout passe.
Le temps se présente à moi dans l'irréversibilité des
changements, où le négatif trace inéluctablement son empreinte.
Le temps est aussi fondamentalement destructeur par la mort qu'il contient en lui car l'irréversibilité temporelle n'est
que l'autre face de la mort.
La temporalité nous sépare de nous-mêmes et nous divise, faisant pénétrer la
dissolution mortelle au plus profond du coeur de l'homme.
Le temps se révèle ainsi fondamentalement destructeur et
porteur de mort :
« C'est dans le temps que tout est engendré et détruit [...] On voit donc que le temps est cause par soi de
destruction plutôt que de génération [...], car le changement est par soi défaisant ; s'il est bien cause de
génération et d'existence, ce n'est que par accident.
» (Aristote, Physique, IV, 222b)
Ainsi le temps est par essence principe de destruction, déchéance de l'être, dont l'âme, semble-t-il, doit tenter de
s'affranchir.
Ne faut-il pas se libérer du temps par l'exercice de la pensée ? Le temps, ce grand ennemi, contient
destruction et mort.
Platon nous incite à nous purifier spirituellement, de manière à ce que nous accédions aux
Essences éternelles.
Toute la pensée hellénique est dirigée vers cette éternité opposée à la temporalité
destructrice.
La question se pose, toutefois, de savoir si le temps objectif, conçu comme milieu indéfini analogue à l'espace, est
lui aussi marqué par le négatif et la destruction.
Songeons au temps kantien, cette forme a priori de la sensibilité.
On remarquera que le temps, d'abord analysé par Kant (Esthétique transcendantale) comme forme pure de la
sensibilité indépendante de tout avant et de tout après, de toute irréversibilité, se retrouve, dans l'Analytique
transcendantale, lié à l'idée de succession irréversible.
De même, la science moderne voit dans le temps irréversible
la réalité que nulle théorie physique ne saurait répudier.
La physique contemporaine a réintroduit l'irréversibilité
temporelle dans ses équations (Cf Prigogine, Du temps et De l'éternité).
Aussi est-ce avec Héraclite que nous achèverons cette première partie : « On ne peut pas descendre deux fois
dans le même fleuve.
Ni toucher deux fois une substance périssable dans le même état, car elle se disperse et se
réunit de nouveau par la promptitude et la rapidité de sa métamorphose : la matière, sans commencer ni finir, en
même temps naît et meurt, survient et disparaît.
» (Héraclite, Fragments)
On ne se baigne jamais
deux fois dans le même
fleuve.
HÉRACLITE
Héraclite défend une conception du monde selon
laquelle le monde est en éternel devenir, en éternel
changement et; pour nous le faire comprendre, prend
l'image du fleuve toujours changeant..
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