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Pourquoi la philosophie juge-t-elle primordial de réfléchirsur le langage ?

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« Doit-on admettre que la philosophie réfléchit sur le langage comme sur n'importe quel autre sujet? ou selon le lieu commun qui voudrait qu'elle aborde tout ce qui, de près ou de loin, concerne l'homme et ses qualités? On constate qu'en fait il n'en va pas — ne serait-ce qu'historiquement — ainsi: dès Platon, la réflexion sur le langage s'affirme fondamentale.

Qu'est-ce qui donne au langage un tel privilège? Dans les dialogues de Platon, nombreux sont les passages où Socrate prend soin de rappeler les conditions du véritable dialogue entre amis: il convient, dit-il notamment, de vérifier périodiquement que les interlocuteurs s'entendent pour donner le même sens à un mot. Il apparaît ainsi que le langage n'a pas seulement le rôle d'assurer ce que l'on nomme en linguistique une «fonction de communication»: en même temps que le message, ce qui s'établit, c'est l'accord entre deux pensées. Si tout philosophe — même en dehors du cadre du dialogue tel que le rédige Platon — a bien pour ambition de s'adresser à un lecteur potentiel, la question surgit immédiatement de préciser ce qui, dans les mots, produit le sens et rend possible la rencontre de deux esprits sur un même sens. Mais il va de soi que cet accord n'est qu'une condition préalable à la circulation du texte philosophique.

L'ambition de ce dernier est bien de mettre en circulation des significations porteuses de vérité.

Ce qui suppose un double mouvement: — de critique éventuelle des sens communément admis; — de reconstruction de sens plus rigoureux, qui correspondent à de véritables concepts. Et c'est bien à ce double travail que s'adonne Socrate. Mais ainsi contester et reconstruire implique que le langage soit bien à la disposition des hommes, que ses significations ne dépendent, ni d'un héritage impossible à transformer, ni d'une autorité supérieure à l'humanité.

La philosophie, historiquement, peut se mettre en place lorsque le Logos se substitue au Muthos, c'est-à-dire lorsqu'une exigence de compréhension rationnelle remplace la parole admise comme provenant des dieux et, en tant que telle, délivrant un sens extra-rationnel (voir par exemple dans cette optique le début du Poème de Parménide). Le langage philosophique est ainsi traversé par une exigence de rationalité, et il est dès lors normal que soient examinées ses capacités à constituer cette rationalité : la philosophie, pour confirmer sa nature, doit séparer la logique de la rhétorique, reconnaissant dans la première ses exigences mêmes, mais se défiant de la seconde dans la mesure où elle encourage à (trop) bien parler sans se soucier de rigueur ou de vérité (cf.

chez Platon, la critique des Sophistes — philodoxes et non philosophes). Lorsque la philosophie se trouve ainsi dotée d'un Logos, il est également normal qu'elle se préoccupe de l'origine de ses éléments: c'est l'entreprise du Cratyle et la réflexion qui s'y engage sur le rapport entre les mots et les choses. Doit-on admettre que connaître les mots, c'est déjà connaître, au moins en partie, les choses? Faut-il penser au contraire que les mots ne nous disent rien de la nature des choses elles-mêmes, c'est-à-dire, comme l'affirmera la linguistique moderne, que le rapport entre signifiant et signifié est arbitraire? Cette réflexion sur l'origine resurgit ensuite périodiquement — d'Épicure à Rousseau — et la méfiance de la linguistique, qui n'y trouve qu'une occasion à hypothèses invérifiables, à son égard, ne suffit pas à la faire disparaître, puisqu'elle fait retour dans l'anthropologie contemporaine. C'est parce que la philosophie se méfie de l'opinion qu'elle entreprend donc, dès Socrate, de critiquer l'acception commune des termes: cette acception résulte d'habitudes, de traditions, de données confuses.

Autrement dit, elle ne résulte pas d'un effort de la pensée.

Tout philosophe doit donc réfléchir sur le vocabulaire que lui fournit sa langue, pour y déceler un ensemble de préjugés, de pseudo-notions, qu'il lui appartient de critiquer et de clarifier. Mais le langage commun est également envahi d'expressions et de termes qui furent initialement des concepts philosophiques ! mais qui n'en constituent plus, à moyen et long terme, que des retombées vulgarisées, privées de leur contexte initial.

Il appartient alors au philosophe de faire l'historique du mot banalisé, d'en déceler les sédimentations plus ou moins compatibles, car son rapport au monde passe nécessairement par des mots (ce n'est que par ces derniers que peuvent se formuler les concepts, aussi bien, hélas, que les non-concepts).

Se demander, par exemple, ce qu'est la démocratie, c'est nécessairement passer par l'archéologie du mot lui-même : son histoire, ses acceptions successives, ses contextes philosophiques et théoriques, etc. Puisque la réflexion ne peut s'effectuer que dans le langage, il est nécessaire pour la philosophie de savoir quelles sont les possibilités de ce dernier: ses qualités comme ses pièges.

Il est possible que la philosophie grecque, trop confiante dans les pouvoirs de la langue grecque elle-même, se soit égarée, comme le lui reprochent certains logiciens du XXe siècle, dans des considérations métaphysiques (la question: Qu'est-ce que l'Être?) ne témoignant que d'une méconnaissance de la nature simplement fonctionnelle du verbe être (copule logique, et non entité métaphysique).

On pourrait alors lui reprocher d'avoir mal réfléchi sur le langage qu'elle utilisait — mais au moins cela donne-t-il à la philosophie analytique anglo-saxonne (Wittgenstein) la chance de re-fonder le travail philosophique sur une approche plus rigoureuse du langage.. »

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