Pourquoi la conscience est-elle une source d'illusion ?
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Introduction
La conscience, telle qu'elle nous apparaît spontanément, se manifeste comme un phénomène de clarté et d'évidence.
C 'est elle qui quotidiennement régit
notre rapport au monde, qui nous oriente, guide nos actions.
C omment pourrait-elle être source d'illusion ? L'illusion est ici à distinguer de l'erreur : si
l'erreur peut être corrigée une fois pour toutes, l'illusion est une erreur incorrigible, constitutive de notre rapport au monde, permanente, revenant
constamment.
Dès lors, si l'évidence ne peut être erronée, ce que montre Descartes, elle peut cependant être soumise à l'illusion.
D'où vient alors le fait
que la conscience puisse à la fois nous être utile pour notre rapport au monde et relever d'une déformation essentielle de la nature de ce dernier ?
I La conscience : source d'erreur, mais pas d'illusion : Descartes et Husserl
-Descartes : la conscience peut nous tromper sur la véritable nature des choses.
A insi, le bâton de bois me paraît brisé
plongé dans l'eau, alors qu'il demeure droit en réalité.
Mais la conscience possède aussi un pouvoir intellectuel de
correction, qui lui permet de déterminer l'identité (même si celle-ci ne peut être perçue de façon sensible) d'une chose à
travers ses différents états de perception : le morceau de cire est identifié comme étant la même chose malgré ses états
liquide ou solide (Méditations métaphysiques).
L a c o n s c i e n c e peut donc nous tromper, mais fondamentalement elle
conserve une fonction d'exactitude, fondée sur la certitude de soi fournie par le cogito (Discours de la méthode).
-Husserl : la conscience peut en effet être trompeuse.
La conscience est toujours conscience de quelque chose qu'elle
vise intentionnellement (structure de l'intention) : mais cette visée peut être incomplète, erronée.
C ependant, il existe
des moyens de vérification qui permettent à l'homme de remédier à c e s incomplétudes.
Husserl va plus loin que
Descartes : non seulement la conscience permet la perception directe du soi dans l'identité à soi-même, mais elle permet
aussi l ' a c c è s à la chose en soi, car la chose n'est que l'ensemble des perceptions que l'on a d'un objet.
Donc la
conscience est la source de toute certitude, certitude de soi et des choses du monde (Idées directrices pour une
phénoménologie).
II L'illusion fondamentale de la conscience : l'évidence, Spinoza et Freud
-Spinoza : la conscience se pose comme libre, mais ne l'est pas réellement.
C ette liberté est une illusion provenant du
manque de connaissance de l'homme quant à la chaîne des causes qui constitue son existence.
Le problème est alors :
cette conscience trompeuse est-elle erronée, donc susceptible d'une correction définitive, ou une illusion irréductible ?
Pour Spinoza, cela dépend de la nature des sentiments conscients éprouvés : une passion triste enferme la conscience
dans l'illusion d'une liberté trompeuse, sans pouvoir en sortir.
Une passion joyeuse au contraire est le signe d'une
adéquation entre l'homme et son monde : l'homme peut se savoir alors déterminé mais néanmoins actif dans le monde.
L'erreur de la liberté trompeuse est
ici supprimée (Ethique).
Le rationalisme cartésien nous montre déjà qu'une volonté infiniment libre, mais privée de raison, est une volonté perdue.
P lus nous connaissons, plus notre
liberté est grandie et fortifiée.
Si nous développons notre connaissance au point de saisir dans toute sa clarté l'enchaînement rationnel des causes et des
effets, nous saisirons d'autant mieux la nécessité qui fait que telle chose arrive et telle autre n'arrive pas, que tel phénomène se produit, alors que tel autre
ne viendra jamais à l'existence.
Pour Spinoza, une chose est libre quand elle existe par la seule nécessité de sa propre nature, et une chose est contrainte
quand elle est déterminée par une autre à exister et à agir.
A u sens absolu, seul Dieu est infiniment libre, puisqu'il a une connaissance absolue de la réalité,
et qu'il la fait être et exister suivant sa propre nécessité.
P our Spinoza et à la différence de Descartes, la liberté n'est pas dans un libre décret, mais dans
une libre nécessité, celle qui nous fait agir en fonction de notre propre nature.
L'homme n'est pas un empire de liberté dans un empire de nécessité.
Il fait
partie du monde, il dispose d'un corps, d'appétits et de passions par lesquelles la puissance de la Nature s'exerce et s'exprime en nous, tant pour sa propre
conservation que pour la nôtre.
Bien souvent nous croyons être libres, alors que nous ne faisons qu'être mus, par l'existence de causes extérieures :
la faim, la pulsion sexuelle, des goûts ou des passions qui proviennent de notre éducation, de notre passé, de notre culture.
Nul homme n'étant coupé du
milieu dans lequel il vit et se trouve plongé, nous sommes nécessairement déterminés à agir en fonction de causes extérieures à notre propre nature.
"T elle
est cette liberté humaine que tous les hommes se vantent d'avoir et qui consiste en cela seul que les hommes sont conscients de leurs désirs, et ignorants
des causes qui les déterminent."
-Freud est moins optimiste que Spinoza.
Il partage son analyse en disant que la conscience est trompeuse, car le moi se pose comme libre en ignorant ses
déterminations inconscientes (Le ça et le moi).
M ais pour Freud, cette ignorance est constitutive du psychisme humain : la conscience s e posant
naturellement comme libre est une instance de régulation du psychisme, issue du conflit entre le ça (pulsions) et le surmoi (normes morales de la société).
L'illusion s'impose donc comme la forme constitutive de la conscience.
III Une illusion nécessaire, mais utile : Nietzsche et Bergson
-Nietzsche partage ce constat d'une irréductibilité de la déformation de la nature des choses par la conscience.
Tout
comme Freud, il rejette la conception spinoziste d'une adéquation de la conscience à la nature des choses : la conscience
est pour lui toujours le résultat d'un affaiblissement de nos forces vitales, d'où une méconnaissance de soi et du monde, à
l'opposé de Descartes et Husserl.
E t s i la conscience peut nous être utile, c'est donc de manière négative : ainsi
Nietzsche conseille de se méfier de notre « voix de la conscience », de la percevoir comme une corruption de la morale,
pour se prémunir des effets néfastes des pseudo-évidences conscientes (Le gai savoir).
-Bergson expose cette utilité de l'illusion de la conscience dans Matière et mémoire, sans pour autant la présenter comme
négative, comme Nietzsche peut le faire.
Bergson pense qu'elle est sélective : certes, elle déforme la réelle nature du
monde, spatialisant et rigidifiant ce qui est de l'ordre de la durée et du mouvement, mais cette déformation est un principe
même de sélection de cette nature réelle et inconsciente du monde et de l'homme, nature qui par ce biais se renouvelle et
conserve une dimension dynamique.
Conclusion
-La conscience est une illusion : c e s erreurs ne doivent pas être relativisées par un éventuel pouvoir absolu de
correction.
-C ar même ce pouvoir de correction, qui justifierait au bout du compte notre croyance spontanée en l'évidence que nous
fournit la conscience, fait partie de l'illusion constitutive de celle-ci.
-M ais si la conscience est une illusion, elle est nécessaire, et finalement utile à la vie humaine : les informations qu'elle
nous donne demandent simplement, comme toute information, à être critiquées, interprétées, décryptées, pour pouvoir orienter de façon négative et
sélective notre existence..
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