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Pourquoi faut-il faire son devoir ?

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« Le devoir est un concept qui appartient à la sphère de la morale, et désigne l'obligation morale en tant que telle.

Pour répondre à la question de savoir pourquoi il faut faire son devoir, il importe de déterminer les sens pertinents de la question.

Lorsque l'on pose la question « pourquoi ? » à propos d'une chose on peut demander 1à cause du phénomène.

Ainsi si l'on demande pourquoi une pierre tombe quand on la lâche, on peut répondre que c'est en raison de l'attraction exercée par la terre.

Ici on donne la cause du phénomène.

Mais dans l'ordre moral, on doit supposer que le sujet est libre, sinon ses actions n'auraient aucune valeur morale.

Dès lors la question « pourquoi ? » ne vise pas une cause mais un motif d'action.

Or on peut tout d'abord considérer que si l'homme doit faire son devoir, c'est que contrairement aux autres animaux c'est un être moral qui, parce qu'il a la raison, peut réfléchir sur le bien et le mal, et qu'il ne peut réaliser son essence qu'en agissant conformément à l'idée qu'il se fait du bien.

Mais la question peut aussi porter sur l'impérativité même du devoir.

On se demandera alors pourquoi le devoir se présente sous la forme d'un impératif, d'un « il faut ». Ce qui est interrogé, c'est alors l'essence même du devoir pour l'homme.

Enfin on peut remettre en question le présupposé selon lequel il faut faire son devoir.

Cet impératif qui se présente comme absolu ne masque-t-il pas une décision dont on ne pourrait évaluer la valeur qu'en la reconduisant à l'instance qui la pose comme absolue ? Répondre à la question de savoir pourquoi il faut faire son devoir passerait donc par l'examen de cette autre question : qui dit qu'il faut faire son devoir ? I.

L'homme étant un être rationnel, il peut réfléchir sur le bien et le mal, et ne peut réaliser son essence qu'en agissant selon ce qu'il juge être le bien. ²Il ne peut y avoir de devoir que pour un être qui peut réfléchir sur le bien et le mal.

Or l'homme a justement cette capacité, parce que c'est un être rationnel.

Dans l'Ethique à Nicomaque, Aristote considère que chaque être a une tâche spécifique, qui est déductible de sa nature.

L'animalité désigne le genre auquel appartient l'homme, la rationalité sa différence spécifique (c'est-à-dire ce qui le distingue des autres animaux).

Or pour se réaliser pleinement, l'homme doit exprimer ce qui le caractérise en propre, donc ne pas vivre seulement comme un animal, mais vivre de manière rationnelle.

C ela suppose pour l'homme de vivre conformément à ce que sa raison lui présente comme étant le bien.

Si l'homme doit faire son devoir, c'est donc parce qu'il est par essence un animal rationnel, et qu'il ne peut réaliser son essence qu'en effectuant la tâche spécifique qui correspond à sa nature, à savoir, vivre en conformité avec la partie rationnelle de son âme.

S'il faut faire son devoir, c'est donc pour vivre d'une vie pleinement humaine.

C'est donc la nature humaine qui fixe à l'homme une vie selon le devoir, et l'homme qui se déroberait à cette vie selon le devoir ne serait pas pleinement humain, il ne réaliserait pas sa nature d'homme. I.

Si l'homme doit faire son devoir, c'est en raison de sa nature double, à la fois nouménale et sensible, qui implique que la loi morale se présente à lui comme une contrainte. Nous avons vu avec Aristote que l'homme doit faire son devoir pour réaliser sa nature.

Mais le problème est que le devoir n'est plus véritablement visé pour lui-même, mais seulement en tant qu'il permet à l'homme de réaliser son essence.

Or l'essence de la moralité ne réside-t-elle pas dans le fait de viser la réalisation du devoir en tant que tel ? Dans La métaphysique des mœurs, Introduction à la métaphysique des mœurs, I : Kant explique que si les lois portent sur l'action extérieures et sa légalité elle sont juridiques, sinon elles sont éthiques, c'est-à-dire morales.

Ainsi le droit est un système d'obligations externes, contrairement à la morale qui est un système d'obligation interne.

La légalité prise en vue par le droit fait donc abstraction des mobiles qui amènent l'action à être conforme au devoir.

Pour comprendre la différence entre le droit et la morale on peut prendre l'exemple d'un commerçant.

La légalité demande seulement au commerçant de ne pas voler ses clients, en leur rendant bien la monnaie par exemple. La morale exigerait en plus que le commerçant le fasse non pas seulement parce que la loi l'exige, mais dans l'intention d'accomplir son devoir.

On comprend donc que s'il faut faire son devoir, ce n'est pas en vue d'autre chose (ne pas avoir d'ennui avec la justice, ou réaliser son essence) mais parce que la forme même de la moralité présente le devoir comme un impératif catégorique.

L'impérativité du devoir, le « il faut », tient à la forme même de la moralité pour l'homme.

En effet l'homme n'étant pas pourvue d'une volonté sainte (toujours en accord avec ce que commande la loi morale), le devoir se présente pour lui toujours comme une contrainte qui humilie sa volonté inclinée par des motifs sensibles.

S'il faut faire son devoir, c'est-à-dire si le devoir se présente comme un impératif, c'est parce que l'homme a une double nature, l'une nouménale, par quoi il se donne la loi morale, l'autre sensible, qui a pour conséquence que le devoir s'impose à lui comme un impératif contraignant.

En acceptant cette impérativité du devoir, l'homme s'arrache aux déterminations naturelles et réalise sa liberté. III.

L'impérativité du devoir n'est pas un absolu, mais une fiction forgée pour brimer les instincts conquérants de l'homme fort. On peut remettre en question le présupposé selon lequel l'impérativité du devoir soit un absolu.

En effet il n'est pas certain qu'il y ait un bien et un mal absolus.

Dans La généalogie de la morale, Nietzsche met en évidence deux types de morales, qu'il appelle la morale des maîtres et celle des esclaves.

Le maître est le type de l'homme fort, qui est également celui qui peut créer des valeurs. Pour lui être bon n'est pas se conformer à une idée préexistante du bien.

Ce qui est bon, c'est ce qu'il déclare être tel, parce que cela est bon pour lui.

Le faible, qui produit une morale d'esclave, ne fait que réagir au comportement du fort, en inversant les valeurs posées par le fort, également parce qu'il a intérêt à contester ces valeurs.

Ainsi le fort dit que l'expression de la puissance est bonne, parce qu'elle le sert, tandis que le faible dit qu'elle est mauvaise, parce qu'elle lui nuit.

En réalisant cette généalogie de la morale Nietzsche n'entend supprimer toute morale, mais il refuse qu'il y ait une morale absolue qui devrait en droit imposer à chacun le même « il faut » du devoir.

Nietzsche considère que c'est à chacun de se créer sa table du bien et du mal, sans se laisser imposer de prétendues valeurs absolues de l'extérieur.

Dans cette perspective l'impératif catégorique de la loi morale, le « il faut » du devoir n'est que l'absolutisation des valeurs réactives qui permettent aux êtres faibles d'imposer leur volonté aux forts.

Cet impératif serait commandé simplement par l'incapacité à poser soi-même ses propres valeurs, et il conviendrait pour l'esprit libre de refuser l'impérativité même de ce pseudo devoir absolu, pour être à même de se forger lui-même ses propres valeurs. Conclusion La nature rationnelle de l'homme lui permet de réfléchir sur le bien et le mal.

Or cette capacité lui commande d'agir selon ce qu'il juge être bon.

Ce n'est qu'à cette condition qu'il réalise pleinement son humanité.

En ce sens il faut faire son devoir pour vivre une vie pleinement humaine.

Mais si l'on considère que l'essence même de la moralité est d'agir par devoir, et que l'on accepte l'idée selon laquelle cela nous permet de réaliser notre liberté, en nous arrachant aux déterminations naturelles, il faut faire son devoir pour être libre.

Pourtant on peut voir dans le fait se faire son devoir une pseudo liberté, qui brime la liberté véritable de l'homme, sa capacité à fixer lui-même les frontières du bien et du mal.

Dans cette perspective l'impérativité du devoir peut être dénoncée comme une fiction mortifère.. »

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