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Pourquoi faudrait-il aimer la vérité ?

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« Il peut sembler paradoxal de relier en philosophie l'amour à la vérité ; en effet la vérité est d'ordinaire un objet de connaissance, de démonstration, bref elle est de part en part un objet rationnel.

Or, l'acte d'aimer est à l'opposé d'un acte de raison, aimer la vérité ne saurait donc être a priori, une attitude dictée par la philosophie.

Cependant, aimer la vérité ne peut-il pas s'entendre, d'un point de vue éthique, comme l'attachement du sujet à des valeurs d'honnêteté et à une conduite exemplaire ? Nous verrons toutefois que l'attitude philosophique ne se concilie pas nécessairement avec un amour à tout prix pour la vérité. I- Aimer la vérité, pour une vie meilleure. L'amour de la vérité, compris comme principe de conduite et d'action, nous garantirait peut-être une vie conforme aux normes éthiques supérieures, c'est-à-dire une vie en accord avec les principes d'équité, de justice, d'honnêteté et d'humilité.

Notre hypothèse est donc que le vrai, dans l'ordre social ce serait la figure du juste ; aimer la vérité, dans la vie de tous les jours, permettrait donc de se conduire de manière la plus conforme possible au droit.

Loin d'inscrire l'homme dans une attitude de passivité contemplative, l'amour de la vérité serait la maxime même de son action. Dans son Système de politique positive, Comte prône la nécessité d'une vie transparente, une « vie au grand jour », menée dans la clarté la plus totale, à l'abris du secret et de la dissimulation.

Selon lui, un tel modèle de conduite, qui implique que personne ne puisse rien cacher à autrui, devrait être le modèle de toute vie sociale.

Cela empêcherait la formation des intrigues et des diverses tensions qui nourrissent l'animosité des hommes les uns envers les autres.

Auguste Comte en vint même jusqu'à tenir le métier d'acteur pour détestable, étant l'indice d'un privilège de la norme du faux sur celle du vrai. On voit comment une telle utopie permet de souligner le danger inhérent à un amour inconditionnel pour la vérité.

En effet, une transparence absolue des conduites, loin de nous mener à une espèce de concorde civile, équivaudrait bien plutôt à un appauvrissement des rapports humains.

Le livre de Orwell, 1984, épingle ce qui serait la réalisation politique d'une telle utopie : une surveillance généralisée de chacun pour un supposé bien commun.

Il n'y a plus de liberté humaine lorsqu'on annule le droit au secret ; le mystère d'autrui lui-même et donc tout son charme disparaîtrait.

On peut dire que le désir d'une vie transparente est un désir de régression au monde animal, un refus de la complexité et des résistances inhérentes à la vie sociale réelle. II- La philosophie est amour de la sagesse, non de la vérité. Comme l'indique la signification de son étymologie, la philosophie est amour de la sagesse ; or, précisément, l'amour de la sagesse implique une capacité de distanciation, le refus de tout dogmatisme ou de tout aveuglement.

Le sage est celui qui est capable de renoncer, de gérer une frustration, bref, d'accepter que, parfois la vérité puisse lui échapper.

Aimer celle-ci à tout prix c'est sortir de la philosophie pour rejoindre le fanatisme, qu'il soit scientifique ou religieux ; le rapport philosophique à la vérité est un rapport réfléchi et non un rapport passionné. Loin de devoir aimer la vérité au détriment des autres valeurs, et en particulier du faux, l'attitude philosophique invite à reconnaître la nécessité de ces autres valeurs.

L'art, la politique ou l'amour, composent avec du faux, avec de l'erreur, avec du mensonge, et c'est ce qui fait leur épaisseur.

La politique ne gagne jamais à être menée par des idéalistes adorateur de quelque vérité ; elle est bien plutôt un art du bricolage et de la composition, un art du consensus.

De même on imagine pas une vie amoureuse saine qui valoriserait à tout prix la vérité, au risque de s'appauvrir de tout son mystère, et de transformer la confiance en contrat. Aimer la vérité serait donc une attitude naïve, propre à la ferveur de la foi religieuse ou encore à la soif de savoir du scientifique. Mais en aucun cas l'amour inconditionnel de la vérité ne saurait servir l'homme dans sa vie, sentimentale, politique ou philosophique. L'amour, bien plutôt que de nous conduire à la vérité, nous le voile plus probablement.

La vérité est une affaire de concepts, de raison et de réflexion.

Elle exige, pour être saisie, que le débat qui la concerne soit dépassionné.

Aussi, même la science dans sa soif de connaissance, prône une désubjectivation de la recherche et une mise à l'écart de la passion. III- Aimer la vérité : un moyen d'accéder à la vérité ? Aimer la vérité ce ne serait peut-être pas tant adorer un objet qu'avoir un autre type de rapport qu'exclusivement rationnel avec le monde.

Dans ses Pensées, Pascal nous montre que le cœur est à même de nous délivrer la connaissance de vérités premières.

Je sais ainsi, sur un mode non thématique, de manière affective et intime, que l'espace est composé de trois dimensions, je pressens que les nombres sont infinis, je sais que deux droites parallèles ne peuvent, dans l'espace euclidien, se croiser.

La foi que j'ai en mes propres sentiments me garantit donc un savoir, la connaissance de vérités principielles. La raison, selon Pascal, ne fait que conclure et démontrer les choses que nous savons déjà intimement.

Dans l'accès à la vérité c'est donc le cœur qui prime sur la raison ; l'infinité des nombres, les propriétés de la géométrie et de l'arithmétique, dont je suis persuadé de la véracité, sont donc démontrés par la science, mais ce n'est pas elle qui m'en donne la certitude.

Pascal nous permet donc de penser une valeur du sentiment et finalement du sens commun dans l'ordre même de la connaissance de la nature.

Loin d'être réservée à la religion, la foi aurait donc sa place en philosophie, comme la première étape de la constitution d'un savoir. Mais l'amour de la vérité peut également, dans l'ordre de l'action, permettre d'atteindre à ses fins, en dépit des lois de la Cité.

C'est par leur amour inconditionnel pour la vérité qu'Electre ou Antigone parviennent justement à découvrir des vérités qui leur étaient dissimulées, et que les maîtres de la Cité, Egisthe ou Créon, jugeait bon de cacher pour le bien de la collectivité.

On le voit, l'amour de la vérité, loin de ne conduire qu'au savoir de vérités principielles, comme chez Pascal, peut également s'incarner de manière violente dans une perspective factuelle. Conclusion : Nous avons vu que l'amour de la vérité n'était justifiée par rien de philosophique, au contraire, la philosophie se caractérise bien plutôt par une capacité à tolérer le faux, l'inconnu ou l'échec. Toutefois, par le biais de la philosophie pascalienne, nous avons vu que l'amour était un moyen d'accès à la vérité et que, lorsqu'il s'agit de connaître les principes, le cœur nous informe avant la raison.

Il ne s'agit donc pas d'aimer une vérité toute faite, ni de s'aveugler pour ce qui est tenu pour vrai, mais bien de faire confiance à ses sentiments pour atteindre à la vérité.. »

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