Pourquoi est-il si important et si difficile de se connaître soi-même ?
Extrait du document
«
Problématique envoyée par l'élève: O n présente généralement la connaissance de soi c omme un idéal.
Ici, vous pouvez penser à la célèbre formule de
Socrate « C onnais-toi toi-même » qui était inscrite au fronton du temple de Delphes.
La connaissanc e de soi est alors présentée comme la connaissance la
plus essentielle.
Se connaître soi-même c'est alors savoir qu'on est un être de désirs, de passions, d'envies.
M a i s d'une manière très générale nous
considérons également que la connaiss ance de s oi est essentielle puisqu'elle permet de connaître ses limites et ainsi de mieux agir, de ne pas être dépas s é
par soi-même… C es points ont été abordés dans les s ujets indiqués plus bas.
Néanmoins, si la c onnaissance de soi apparaît telle un idéal, c omment est-elle
possible ? En effet, il y a une différence entre se connaître et connaître un objet.
D ès lors, la connais sance de soi rencontre néces sairement des difficultés.
Il vous faut alors vous demander si on peut parler de connaiss ance de soi au sens où on parle de connaissanc e lorsqu'il s'agit d'un objet ou d'une loi de la
nature.
Dès lors, une orientation nouvelle peut apparaître : n'est-ce pas parce qu'il s'agit de la c onnaissance la plus fondamentale qu'elle est la plus diffic ile
? Ici, vous pouvez penser au mythe d'Œdipe par exemple.
Oedipe parvient à répondre à l'énigme qui porte sur la connaissanc e de l'homme en général, mais
il ne parvient jamais à la connaissance de lui-même et c'est justement pour cette rais on que son existence est tragique.
Lisez attentivement le mythe sur
ce point.
P ar ailleurs, d'une manière générale, vous pouvez vous demander s'il ne s 'agit pas de la connaissance qui conditionne toutes les autres .
Là encore,
vous pouvez revenir aux analyses de Socrate.
Pens ez ic i à la réponse que fait Socrate lorsqu'il s 'oppose aux sophistes qui se présentent comme très
savants.
Il répond alors qu'il ne s ait qu'une chose c 'est qu'il ne s ait rien.
O r, il s'agit ici de distinguer la connaissance entendue c omme une somme de
savoirs (attitude des sophistes) et le s avoir de soi-même, attitude de Socrate.
O r, il faudrait voir ici si la connaiss ance de soi n'est pas celle qui a la plus
grande valeur.
Observation.
— Les raisons de la difficulté qu'il y a à se connaître soi-même peuvent être multiples.
Essayer de classer ces raisons.
Position de la question.
La plupart des moralistes ont ins isté à la fois sur l'importance de la connais sance de soi et sur ses difficultés.
Mais la psychologie
moderne semble avoir fait apparaître encore des diffic ultés nouvelles.
— Et pourtant, la constatation de ces difficultés a quelque chose de paradoxal.
A vant
Freud, on pouvait encore écrire que « nous sommes incessamment informés de ce qui se passe au-dedans de nous ».
N otre vie intime ne nous est-elle pas
en effet directement connue par la conscience? M ais, lors même que cela serait vrai — et c'est s ur ce point, nous le verrons, que la psychologie nous invite
à faire de sérieuses réserves — cette « saisie » intuitive de nos états intérieurs par la c onscience est-elle une véritable connaissance?
1.
Sujet et objet.
Les conditions de la connaissance de soi sont en effet toutes s péciales.
A .
— Une telle connaissance exigerait une attitude réflexive, un retour de la conscience sur elle-même, qui est bien éloignée de son attitude naturelle,
spontanée, généralement tournée vers l'action extérieure, vers les objets.
M ais les introvertis qui sont « plongés dans leur vie intérieure », ne sont ic i guère
mieux partagés que les extravertis qui se laissent absorber par les chos es; car, ainsi que l'a fait observer PIA GET, il y a une certaine manière de « vivre en
soi-même » qui « appauvrit l'analyse et la c onscience de s oi », loin de nous faire prendre conscience de ce que nous sommes réellement.
B.
— L'attitude réflexive, qui se rapprocherait déjà quelque peu de l'attitude philosophique, est ici d'autant plus difficile à réaliser que les jugements de
valeur se mêlent aux observations ; or les moralistes ont souvent signalé la partialité de chaque homme envers lui-même.
Nous avons tendance à nous voir,
non tel que nous sommes (là, les autres sont parfois plus clairvoyants que nous-mêmes), mais tel que nous voudrions être et surtout peut-être tel que nous
voudrions qu'on nous vît.
Loin d'être aussi immédiate qu'on le prétend, la connaissance de soi es t souvent faus sée par c ette image idéalisée de nous-même
qui s'interpose entre la conscience et la représentation : tel qui est coléreux et brutal, se voit doux et affable, tel qui manque de volonté, s'imagine très
énergique, etc.
C .
— C ontrairement à ce qui a lieu dans l'observation extérieure, ic i sujet observant et objet obs ervé se confondent.
Il en résulte que cette image idéalis ée
de nous-même réagit à son tour sur c e que nous s ommes, et l'attention à soi finit par modifier quelque peu (mais de façon combien précaire, le plus
souvent!) celui qui s'obs erve.
Q ui dira jamais dans quelle mesure nous s ommes ou nous ne sommes pas ce que nous nous imaginons être?
M ais le problème se complique encore du fait que le moi apparent ou manifes te n'est pas forcément le moi authentique.
Déjà la psychologie clas sique avait
reconnu l'existence de l'inconscient, et B E R G S O N avait dis tingué du « moi superfic iel » le « moi fondamental ».
M ais c'est surtout la Psychanalyse qui nous
a ouvert des perspectives nouvelles sur le moi dit « profond ».
On sait que, s elon FREUD, le moi inconscient ou le ça, formé
des «instincts» fondamentaux, a c onstitué, dans l'origine, notre personnalité tout entière.
M ais le moi et surtout le sur-moi
qui s'y sont superposés ont refoulé dans l'inconscient ces ins tincts et les images et sentiments qui les traduisent, et c 'est
ainsi que se sont formés les complexes qui, bien souvent, nous mènent sans que nous en prenions conscience.
Le fond de
notre nature reste ainsi ignoré de nous.
M ême dans le rêve, la fonction de censure qui préside au refoulement n'est pas
abolie : aussi nos désirs ne s 'y réalisent-ils que sous une forme symbolique, de s orte que le « contenu manifeste » du rêve
n'est pas équivalent à son « contenu latent ».
— D'où la néces sité : 1° de toute une technique destinée à faire émerger à la
c o n s c ienc e les c o m p l e x e s refoulés; 2° d'une interprétation des symboles du rêve.
— M ê m e s a n s admettre toutes les
théories de FREUD, on peut reconnaître avec lui qu'il existe en nous tout un fond obscur d'irrationnel et d'instinctif, qu'il nous
est souvent difficile d'atteindre.
Conclusion.
O n ne peut donc, pour s e connaître soi-même, se contenter de la c o n s c i e n c e n a ï v e .
I l e s t n é c essaire : 1°
d'adopter envers soi-même une attitude de sinc érité aussi entière que poss ible, libérée de cette partialité dont nous avons
parlé (et ici, comme il a été dit, les jugements d'autrui peuvent nous éclairer); 2° de percer le revêtement d'illusions et de
symboles qui nous voilent le fond de notre individualité — encore qu'il ne faille pas confondre ce « moi profond » avec notre
personnalité vraie.
SUPPLEMENT: Connais-toi toi même
I l ne s'agit pas pour Socrate de se livrer à une investigation psychologique, mais d'acquérir la s c i e n c e des valeurs q u e
l'homme porte en lui.
C ette science importe essentiellement — bien avant de connaître la nature ou les dieux.
C omment
conduire s a vie pour être heureux ; voilà la question qui hante tous les hommes.
L'opinion, confortée en cela par les sophistes, identifie le bonheur à la
jouiss ance, au pouvoir, à la fortune, à la beauté.
Sans doute tout cela n'est-il pas négligeable, mais ce sont là des biens équivoques qui peuvent nous être
utiles , ou nous nuire selon les circonstances, l'usage qui en es t fait.
Pour qu'ils deviennent utiles , il faut que nous sachions nous en servir et si l'homme agit
toujours e n v u e de son bien propre, il peut s e tromper sur s a définition.
Si nul n'est méchant volontairement, c ' e s t d'abord parce que nul ne veut
c o n s c iemment se nuire à lui-même et donc ce n'est que par accident que la c onduite qu'il adopte peut éventuellement s 'avérer mauvaise.
P ar accident, non
volontairement, il faut entendre par là par ignorance : si je ne connais pas la hiérarchie des biens, je serai néc essairement malheureux.
P ar exemple, celui
qui consacre son existence à acquérir la ric hesse, en viendra naturellement à nuire à autrui, donc il s'exposera à la rigueur de la loi ; de plus c'est là un bien
qui dépend en large partie du hasard et qui peut échapper à tout instant.
Il est donc inconc evable que sachant tout cela on puiss e vouloir agir de la sorte.
C 'est la science qui détermine l'action, elle ne peut être vaincue par les pass ions, seulement par l'ignorance.
Le primat donné à la science explique les railleries dont Socrate accable aussi bien les institutions, en particulier le tirage au sort des magistrats, que
l'inspiration qui permettrait à certains de bien agir par une sorte d'illumination.
Faisant confiance au savoir et pensant que tous les hommes — fut-ce l'es clave — portent en eux le germe de c e savoir, c'est une vision délibérément
optimiste que Socrate offre de l'humanité..
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