Pourquoi cherche-t-on a connaître ?
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«
[Introduction]
La question de savoir pourquoi nous cherchons à connaître semble pouvoir trouver des réponses dans l'expérience:
nous cherchons à connaître les causes de telle ou telle maladie pour la guérir, nous cherchons à connaître le sens
des événements passés pour mieux comprendre le monde dans lequel nous vivons afin de mieux agir sur lui.
La
connaissance serait ainsi essentiellement utile.
Cependant, en quoi cette utilité nous est-elle utile? En faisant du
critère de l'utilité la raison principale qui nous pousse à connaître, nous oublions la connaissance même.
Or
connaître, c'est avant tout remédier à l'ignorance, à l'erreur, etc.: en ce sens, la connaissance est un bien désirable
pour lui-même, quels que soient les avantages pratiques que nous avons à connaître.
Si la connaissance peut être
pensée en termes d'utilité, c'est parce qu'elle est avant tout pour nous un remède, lequel n'est que le reflet en
négatif de la connaissance envisagée positivement comme un bien.
[I.
L'utilité de la connaissance.]
[1.
La connaissance pratique.]
La connaissance déployée dans l'existence ordinaire est avant tout une connaissance pratique, tournée vers
l'action.
Ainsi connaître quelqu'un, c'est notamment savoir comment se comporter avec lui parce que nous savons
quels sont ses qualités, ses défauts, ses habitudes, son tempérament, etc.
La connaissance est pratique,
considérée comme un instrument de l'action.
Toute action suppose en effet une connaissance préalable qui porte
sur ses fins et surtout sur ses moyens.
Nous ne pouvons faire quelque chose que si nous connaissons les moyens
pour y parvenir.
Conçue ainsi, la connaissance n'est autre chose que l'information, le mode d'emploi, la recette.
Nous cherchons à connaître pour réduire la part de hasard de toute entreprise humaine, pour nous assurer, autant
qu'il est en notre pouvoir, de la maîtrise de nos actes.
[2.
La connaissance technique.]
Pensée comme moyen de nous rendre, selon l'expression cartésienne, «comme maîtres et possesseurs de la nature»,
la connaissance est ainsi essentiellement technique.
L'homme est, en termes bergsoniens, Homo faber avant d'être
Homo sapiens, et il est .sapiens e parce que faber.
L'intelligence humaine est fabricatrice, l'homme est technicien.
La technique n'est en effet possible que par la science qui lui donne ses moyens d'agir.
Nous cherchons à découvrir
ainsi les lois de la nature afin de les utiliser à notre profit : Non vincitur natura nisi parendo, «on ne vainc la nature
qu'en lui obéissant», écrivait Bacon.
La connaissance porte sur le nécessaire, ce qui obéit à des lois : en appliquant
ces mêmes lois, nous domestiquons le monde qui nous environne et réalisons ainsi le voeu de Descartes.
D'ailleurs,
comme celui-ci nous l'explique dans la lettre-préface à la traduction française des Principes de la philosophie, la
science sert de fondement aux arts que sont la mécanique, la médecine et la morale.
Ceux-ci ne sont en ce sens
que des sciences appliquées.
La technique puis l'industrie modernes sont ainsi de formidables exemples de l'utilité
des connaissances physiques.
La connaissance, incarnée dans la figure de l'ingénieur, n'est plus qu'un élément parmi
d'autres du processus de fabrication.
[3.
Le cas de la science pure.]
Si l'on peut attribuer une utilité à la connaissance scientifique lorsque celle-ci offre des prolongements techniques,
cette utilité devient douteuse lorsque l'on envisage le cas des sciences pures.
La recherche fondamentale en
mathématiques, ou même en physique, n'a guère d'utilité pratique.
On peut certes objecter à cette affirmation que
ces sciences peuvent avoir une utilité future : les recherches des Curie sur la radioactivité ont débouché sur des
applications militaires avec la bombe atomique ou sur un usage civil avec la maîtrise par l'industrie de l'énergie
dégagée par la fission de l'atome d'uranium.
Cependant on ne pouvait prévoir de telles conséquences.
Le
mathématicien ignore si son travail sur les espaces topologiques aura un jour une utilité quelconque pour la
technique ou l'industrie, et ce n'est d'ailleurs pas son souci.
Il est donc nécessaire de séparer de la science et, plus
généralement, de toute connaissance leurs possibles utilités pratiques, et, en ce sens, aucune science n'est jamais
utile en elle-même, mais seulement dans ses applications, possibles ou réelles.
Que le chercheur travaillant pour le
compte d'une industrie se figure être utile, cela importe peu pour la science en elle-même qui demeure étrangère à
tout critère d'utilité : elle n'est ni plus ni moins science qu'elle soit inutile ou qu'elle ne le soit pas.
Il faut dès lors
chercher dans le processus de la connaissance même les raisons qui nous poussent à connaître.
[II.
La connaissance comme remède.]
[1.
La connaissance comme culture.]
Si nous cherchons à connaître, c'est en ce sens pour connaître, pour échapper à la condition de celui qui ne connaît
pas.
Ainsi cette forme de connaissance qu'est la philosophie s'est-elle constituée avec Platon contre les faux
savoirs qui se ramènent à l'opinion.
L'opinion, c'est la pensée que j'ai et que je ne puis fonder ou vérifier.
Celui qui
cherche à connaître fuit l'opinion dont il se satisfaisait auparavant alors qu'il demeurait dans l'ignorance.
Nous
cherchons ainsi à connaître pour nous cultiver, «car c'est bien le fait d'un homme cultivé, écrit Aristote au début
des Parties des animaux, que de porter un jugement qui tombe juste, sur la manière, correcte ou non, suivant
laquelle on fait un exposé».
La culture nous libère de l'opinion, de l'erreur et de l'ignorance, nous permet d'exercer
notre jugement et, de ce fait, de ne plus dépendre de l'avis d'autrui.
La connaissance nous libère en nous
permettant de penser par nous-mêmes.
[2.
L'inconnu et le connu.].
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