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Pourquoi avoir honte ?

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« La honte et, à travers elle, le sentiment de culpabilité n'ont pas bonne presse dans le monde contemporain.

Et ce parce que, effectivement, on peut reprocher à la honte trois choses.

D'une façon générale, il faut le dire, la honte et la culpabilité participent de la violence, dont elles sont les expressions dans le langage ainsi que dans la relation sociale.

Ainsi, faire honte à quelqu'un, c'est le rabaisser au point de le nier complètement.

Les nazis faisaient honte aux juifs d'exister.

Ils en faisaient des coupables-nés.

Et ce, pour les gommer.

Avoir honte de soi, en outre, c'est ne pas s'aimer.

C'est se détester en retournant la violence extérieure en une violence contre soi.

Généralement, parce que l'on se voit comme voit celui qui déteste.

De ce fait, avoir honte peut conduire à de graves perturbations, quand, par exemple, la honte de soi se met à atteindre le corps et la sexualité.

Les êtres en proie à une telle honte se retrouvent tout simplement dans l'incapacité de vivre en s'estimant, ainsi que d'aimer.

Ce qui peut entraîner des états d'angoisse, voire de dépression profonde.

Dès lors, il est normal de penser dans ce contexte que le fait d'avoir honte ne sert à rien.

Est-ce toutefois une raison pour éliminer toute forme de honte ? Vladimir Jankélévitch a fait remarquer que, à la fin de la guerre, les nazis jugés à Nuremberg n'avaient pas beaucoup exprimé de honte à propos de leurs crimes.

On aurait aimé qu'ils vivent ce sentiment.

Leur absence de honte, pour la plupart d'entre eux, a rempli le monde d'angoisse et de honte. Les assassins en général n'ont pas honte.

Et c'est là que réside le drame.

C'est la raison pour laquelle ils ne voient pas leurs crimes.

Si, en effet, ils se détestaient dans ce qu'ils font, cela voudrait dire qu'ils sont capables d'aimer. Tant il est vrai que pour ne pas s'aimer il faut avoir un certain sens de l'amour.

Comme ils ne se détestent pas, il faut conclure qu'ils ont perdu tout sens de l'amour.

Aussi est-on accablé devant tant de dureté et a-t-on honte pour eux.

Par amour pour l'amour qu'ils ne savent plus avoir, on se déteste comme hommes.

Vladimir Jankélévitch l'a rappelé avec force.

Il faut avoir mauvaise conscience.

C'est là l'essence de la morale.

Qui dit mauvaise conscience dit conscience.

Conscience sous la forme du remords qui est non pas le regret, qui retourne à ce qui a été, mais le désir de dissoudre ce qui a été.

Le regret se souvient.

Le remords tente de réparer.

Et, par là, il ouvre la porte au repentir, qui est un désir de se changer comme de changer de vie.

À défaut de faire que ce qui a été ne soit plus, on peut faire que celui que l'on a été ne soit plus.

Si l'on ne peut changer les choses, on peut changer l'homme qui fait les choses.

La mauvaise conscience nous y prépare.

En nous faisant revenir sur nous-mêmes et réfléchir.

D'où l'existence d'une honte de soi positive, au-delà de la mauvaise conscience.

Sous la forme de la pudeur.

Le corps et la sexualité, bien qu'extérieurs et matériels, sont les porteurs de la partie la plus personnelle et la plus intime de nous-mêmes.

Pourquoi les galvauder en les étalant ? N'est-ce pas intimement qu'il faut communier à l'intime ? On peut cacher son corps et son sexe, non pas parce qu'on en a honte, mais parce qu'on désire conserver à leur beauté un rapport privilégié.

Les grandes choses doivent être honorées grandement.

Il y a une grandeur à savoir s'incliner devant ce qui est grand.

Comme il y a une bassesse à ne s'incliner devant rien. La honte, en ce sens, appartient à un axe qui va de l'impudeur à la pudeur, de la violence à l'intime.

S'il y a la violence qui fait honte et qui relève d'une honte maladive, il y a l'intime qui, voulant protéger le secret de la vie, souffre au nom de l'humanité quand un tel secret est profané.

Dans cette perspective, la violence de la vie est transformée.

La pudeur est la douceur qui prend sur elle cette violence et l'assume avant de la retourner.

Elle protège sans détruire ni humilier en introduisant de la distance là où il n'y en a pas, de la conscience là où il en manque.. »

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