Pour se libérer du passé, faut-il l'oublier ?
Extrait du document
«
[Introduction]
Certaines formes du passé nous semblent immédiatement essentielles : celles qui fondent notre expérience, nos
savoirs.
D'autres paraissent plus encombrantes : savoir que l'on a naguère mal agi peut susciter du remords, mais
aussi gêner l'action, de peur de retomber dans les mêmes erreurs.
Peut-être conviendrait-il alors de se libérer de ce
passé qui freine nos décisions ou notre liberté.
L'oublier constituerait-il le meilleur moyen de s'en débarrasser ?
[I.
La tentation de l'oubli]
[A.
Vouloir oublier ?]
Pour se débarrasser d'un souvenir encombrant, soit parce qu'il renvoie à un événement douloureux, soit parce qu'il
s'accompagne de honte ou de mauvaise conscience, on peut être tenté d'admettre que « le mieux » serait en effet
de le faire disparaître en l'oubliant.
Encore faudrait-il que la faculté d'oubli obéisse à la volonté – ce qui n'est pas le
cas en général, puisqu'il nous arrive bien souvent au contraire de nous considérer comme « victime » d'un oubli,
c'est-à-dire de précisément regretter l'absence d'un souvenir (que l'on peut dans ce cas supposer plus heureux, ou
utile).
[B.
Le « roc : ce fut »]
Selon Nietzsche, la complaisance à se remémorer ce qui a eu lieu ne peut
être, si elle est constante, que stérilisante : elle fait du passé un véritable
poids, qui empêche le dynamisme de l'action, et peut mener au ressentiment.
Ne pas oublier, ce serait dans cette optique refuser de se transformer, s'en
tenir aux réactions anciennes, figer l'existence sur un moment antérieur et ne
pas comprendre que la vie même exige un changement dans nos attitudes et
nos réactions.
Toutefois, ce que Nietzsche ne précise pas, c'est jusqu'où
devrait alors s'étendre un oubli considéré comme utile et salutaire.
Si l'animal jouit d'un bonheur que l'homme jalouse, c'est parce qu'il n'a pas de
mémoire supérieure.
Seul l'homme dit « je me souviens » et pour cela il lui est
impossible de vivre heureux et pleinement.
En effet :
1) C'est par la mémoire, conscience du passé, que l'homme acquiert la
conscience du temps et donc celle de la fugitivité et de l'inconsistance de
toutes choses, y compris de son être propre.
Il sait que ce qui a été n'est
plus, et que ce qui est est destiné à avoir été, à n'être plus.
Cette présence
du passé l'empêche de goûter l'instant pur, et par conséquent le vrai
bonheur.
2) Le passé apparaît à l'homme comme l'irréversible et l'irrémédiable.
Il marque
la limite de sa volonté de puissance.
L'instant présent, ouvert sur l'avenir, est
le lieu du possible où peut s'exercer sa volonté de puissance.
Le passé, au
contraire, change et fige la contingence du présent en la nécessité du « cela a été ».
Dès lors la volonté ne peut
que se briser sur cette pétrification du passé qui se donne comme le contre-vouloir de cette volonté.
C'est pourquoi
« l'homme s'arc-boute contre le poids de plus en plus lourd du passé qui l'écrase ou le dévie, qui alourdit sa
démarche comme un invisible fardeau de ténèbres ».
3) Sans l'oubli l'homme ne peut pleinement vouloir ni agir : il est un être malade, il est l'homme du ressentiment.
La «
santé » psychique dépend de la faculté de l'oubli, faculté active et positive dont le rôle est d'empêcher
l'envahissement de la conscience par les traces mnésiques (les souvenirs).
Car alors l'homme réagit à ces traces et
cette réaction entrave l'action.
Par elles l'homme re-sent, et tant qu'elles sont présentes à la conscience, l'homme
n'en finit pas de ressentir, « il n'en finit avec rien ».
Englué dans sa mémoire, l'homme s'en prend à l'objet de ces
traces dont il subit l'effet avec un retard infini et veut en tirer vengeance: « On n'arrive à se débarrasser de rien, on
n'arrive à rien rejeter.
Tout blesse.
Les hommes et les choses s'approchent indiscrètement de trop près, tous les
événements laissent des traces; le souvenir est une plaie purulente.
»
Le désir de vengeance et le ressentiment
Cette tension de la vie pour se surmonter elle-même sous la forme de la volonté de puissance peut-elle aller à l'infini
? Une ascension infinie n'est pas possible parce que la volonté vient se heurter au temps : la volonté de puissance
vient achopper sur l'essence du temps comme sur sa limite.
Elle peut bien vouloir l'avenir mais non pas le passé.
Si
l'avenir est le domaine qui lui est ouvert, le passé semble lui échapper pour toujours : « En arrière ne peut vouloir la
volonté.
»
La volonté ne peut vouloir en arrière que sous les formes morbides du désir de vengeance et du ressentiment.
Cette
volonté réactive ne veut pas simplement abolir ou annuler ceci ou cela, c'est contre le devenir lui-même dans ce
qu'il a d'irréversible et d'inexorable qu'elle s'exerce, parce que c'est à sa propre impuissance à vouloir pour le passé
qu'elle se trouve confrontée.
[C.
Le refoulement]
L'oubli le plus parfait est sans doute celui dont le sujet oublie qu'il a eu lieu, c'est-à-dire ce que les psychanalystes
nomment, à la suite de Freud, le « refoulement ».
L'événement disparaît alors totalement de notre mémoire
consciente, et ne demeure par ses traces que dans l'inconscient, auquel le sujet n'a pas ordinairement accès.
Un tel
refoulement est d'ailleurs fréquent, puisque personne ne garde le souvenir intégral de ce qu'il a vécu.
Plus.
»
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