Pour quelles raisons est-il si difficiles de communiquer véritablement avec autrui

« Pour quelles raisons principales est-il si difficile de communiquer véritablement avec autrui ? Introduction.

— Nos joies les plus douces comme nos déceptions les plus senties semblent bien provenir de nos relations avec les autres.

Nous rêvons d'amitiés sans nuages et sans mystères, dans lesquelles l'ami nous serait aussi familier que nous le sommes à nous-mêmes.

Rêve dont l'expérience nous apprend bientôt le caractère à peu près chimérique.

Qu'elle est difficile cette communication avec autrui ! Pourquoi ? Pour en déterminer les raisons principales, commençons par préciser en quoi consiste cette communication. I.

— QU'EST-CE QUE COMMUNIER VÉRITABLEMENT AVEC AUTRUI ? On se communique des nouvelles.

La presse reproduit maints communiqués du gouvernement ou des services publics... Mais « communiquer véritablement avec autrui » désigne des rapports d'une tout autre intimité : mise en commun de tout ce qu'on est, pensées et sentiments, suppression des barrières qui se dressent entre le moi et le toi...

Cette expression évoque la « communication des consciences » à laquelle la psychologie contemporaine a pris un si grand intérêt. En première approximation, cette communication peut-être symbolisée par l'ouverture que l'on pratiquerait entre deux appartements contigus...

Auparavant, pour se rendre chez son voisin, il fallait, étant sorti de chez soi, frapper à sa porte comme un quelconque étranger, puis attendre que l'on vienne ouvrir.

Une communication établie, le passage de mon appartement à celui de mon voisin ne diffère pas matériellement du passage de mon bureau de travail à ma salle à manger.

C'est comme si les deux appartements n'en faisaient plus qu'un, la porte de communication établissant, au plan de l'organisation matérielle, une communauté d'habitat. Mais, c'est trop évident, cette comparaison cloche gravement. D'abord parce que l'ouverture d'une porte de communication ne réalisera pas la communauté totale dont rêvent les sentimentaux.

En franchissant ce seuil, j'aurai encore le sentiment de quitter mon chez moi et d'entrer chez autrui. Le principe d'une vie en commun ne serait guère, dans ce cas, qu'une convention comportant bien des réserves implicites que, pour la bonne entente, il serait imprudent d'oublier.

Si « communiquer véritablement » comporte l'indistinction du chez moi et du chez toi, l'ouverture d'une porte de communication ne suffira pas à me faire communiquer véritablement avec mon voisin. Ensuite, les rapports entre consciences ne présentent qu'une analogie lointaine avec ceux qui peuvent exister entre appartements distincts.

Pas de mur de séparation et, par suite, nul besoin d'ouvrir une porte pour passer de moi à l'autre ou de l'autre à moi.

Et cependant, combien de ceux chez qui j'ai comme l'on dit, « mes entrées » et que je fréquente familièrement, restent pour moi plus mystérieux qu'une maison dans laquelle je n'ai jamais mis les pieds. Pourquoi ? II.

— LES RAISONS DE LA DIFFICULTÉ DE CETTE COMMUNICATION Nous pourrions invoquer d'abord le manque de loyauté.

Nous voudrions bien qu'autrui se montre à nous tel qu'il est, mais nous avons un trop grand désir d'être estimés pour que, conscients de nos déficits, nous nous laissions voir tels que nous sommes. D'ailleurs, est-ce bien ainsi que nous nous voyons nous-mêmes ? Ne prenons-nous pas le personnage que nous voulons paraître ou la personnalité que nous voudrions devenir pour notre être véritable ? Il y a bien alors communication, mais d'une certaine idée que nous nous faisons de nous-mêmes, et non d'un moi authentique à un toi d'une authenticité analogue. Une autre source de difficulté réside dans l'insuffisance des moyens de communication. On songe d'abord aux confidences verbales.

Mais comment les mots du dictionnaire pourraient-ils exprimer exactement mes états affectifs et mes idées personnelles ? Il faudrait pour cela des dons exceptionnels d'observateur et d'écrivain, avec le risque de romancer des situations sans doute assez banales. Aussi est-il plus sûr de parler le moins possible de soi et de laisser voir sans chercher à se faire connaître.

Mais comportements et attitudes peuvent être aussi trompeurs que les confidences.

On peut les interpréter de façons fort diverses.

Il est bien des silences révélateurs, mais seulement grâce, d'ordinaire, à un contexte verbal.

Qu'on parle ou qu'on se taise, réaliser une vraie communication reste fort difficile. C'est qu'on bute toujours au mystère du moi. En réalité, le moi est incommunicable.

On communique des données matérielles, on échange des paroles ; des autres on perçoit des attitudes, des affirmations ; leur moi intime reste inaccessible. D'ailleurs, notre propre moi nous est-il aussi accessible que nous sommes portés à le croire ? Parviendrions-nous au niveau de connaissance que nous estimons avoir de nous-mêmes, si nous ne nous percevions pas de l'extérieur : si nous n'avions pas conscience de nos comportements, si nous ne conservions aucun souvenir de notre conduite passée, si nous ignorions complètement ce que les autres pensent et disent de nous ? Notre moi, a-t-on dit est comme un « jardin fermé » : fermé aux autres mais aussi à nous-mêmes.

Comment, dès lors, communiquer avec autrui ? Conclusion.

— A réfléchir sur ces difficultés, on en vient à s'étonner qu'on puisse parfois, quoique rarement, réaliser une communication des consciences, sinon parfaite, du moins véritable.

Cela suppose, il est vrai, une perspicacité et des vertus peu communes : intuition psychologique pénétrante, loyauté envers soi-même, oubli de soi et ouverture sympathique à l'autre...

Mais il se produit des circonstances dans lesquelles ces conditions se réalisent au grand profit des consciences qui parviennent à communiquer.. »