Pour être un bon observateur, faut-il être un bon théoricien ?
Extrait du document
«
Sens des termes:
Observateur: personne qui s'attache à considérer la nature et les faits avec attention, de manière à les étudier.
Théoricien: celui qui crée et manie une théorie, cad un énoncé universel synthétique, un systèm e intégrant un grand nombre de faits.
Bon: ici, convenable, satisfaisant; cette qualité permet, dans ce cas, d'obtenir des résultats.
Faut-il: est-il nécessaire.
Sens du sujet:
Pour bien considérer les faits et la nature, est-il nécessaire de s'attacher judicieusement à un énoncé universel synthétique, intégrant les
divers faits particuliers.
?
Problématique:
Apparemment, observation et théorie n e n e situent pas au m ê m e n i v e a u .
L'intitulé du sujet ne présente donc rien d'évident, et nous
ramène bien à la nature de la connaissance scientifique.
Plan (progressif et dialectique):
1) Il n'est pas nécessaire d'être un bon théoricien pour être un bon observateur.
Dans cette partie, on s'attachera au contact formateur avec le monde extérieur, en montrant que la réalité empirique semble être pleine
d'enseignements, en particulier grâce à l'exercice de la raison.
La connaissance c o m m u n e est, essentiellement, d'ordre sensible et empirique: j'ouvre les yeux et le m o n d e s'offre à m o i dans sa
diversité colorée, à travers les "données" des sens.
Le rouge, le vert, les zones d'ombres ou de lumières se découpent dans mon champ
perceptif.
Il s e m b l e bien que ce contact direct et immédiat avec le m o n d e forme la matrice d e tout savoir et d e toute vérité.
La
connaissance dite commune, empirique se nourrit tout entière de cette relation avec les choses données empiriquement
L'observation empirique représente, néanmoins, un premier usage d e la raison appliquée à la nature et au réel.
Elle ne fait pas
d'observations de manière seulement accidentelle ni selon le pur hasard.
Le choix qu'elle opère dans les phénomènes eux-mêmes repose
sur une certaine rigueur rationnelle: on isole les phénomènes qui se répètent et on cherche des relations arbitraires entre eux.
Mais privée d e tout autre guide q u e le désir d e résoudre des problèmes immédiats, l'observation n'aboutit qu'à une connaissance
fragmentaire de la réalité, entachée de grossières erreurs.
Mais l'homme dispose, pour satisfaire son désir de connaître, d'un outil d'une grande puissance: la raison.
Grâce à cet instrument, dans
u n e perspective proche d e l'empirisme, m a i s n é a n m o i n s désireuse d e ne pas totalement occulter le rôle et la fonction d e l'esprit, la
connaissance scientifique pourrait être envisagée c o m m e u n e reconstruction plus rigoureuse d e l'expérience commune précédemment
analysée.
La raison, faculté de distinguer le vrai du faux, enserrait le réel immédiat au m o y e n d e s e s idées et d e s e s concepts, clefs
introduisant l'unité dans la diversité phénoménale.
D'une manière générale, le travail de l'abstraction serait ici prédominant, l'abstraction
pouvant être définie comme l'opération de l'esprit qui isole des éléments de la représentation pour les considérer à part.
La formation de
l'hypothèse, anticipation d e la future loi, est particulièrement caractéristique d e ce travail d'abstraction d e l'intelligence et d e l'esprit
humain.
2) Mais cette observation reste très limitée.
3) Théorie et observation s'éclairent réciproquement.
« L'observation scientifique est toujours une observation polémique; elle confirme ou infirme u n e thèse antérieure, un schéma
préalable, un plan d'observation; [...] elle reconstruit le réel après avoir reconstruit s e s schémas.
» Bachelard, Le Nouvel Esprit
scientifique, 1934.
Observer n'est pas voir.
L'observateur en effet ne se borne pas à contempler passivement la nature, les sens en alerte, prêt à saisir le fait
qui pourra faire l'objet d'une nouvelle théorie.
L'observation scientifique exige au contraire la participation de l'esprit, qui ne s'instruit
qu'auprès des objets qu'il a préalablement construits.
« Il y a des thermomètres à ce point sensibles qu'il faut lire le degré, au dixième près, dès qu'on les découvre; car la seule haleine et
même l'approche de notre corps les fait bondir d'un dixième ou deux.
» Alain, Propos du 7 octobre
« La raison ne voit que ce qu'elle produit elle-même d'après ses propres plans et [...] elle doit obliger la nature à répondre à ses
questions et ne p a s s e laisser conduire pour ainsi dire en laisse par elle; car autrement, faites a u hasard et s a n s aucun plan tracé
d'avance, nos observations ne se rattacheraient point à une loi nécessaire, chose que la raison demande et dont elle a besoin.
» Kant,
Critique de la raison pure (Préface 2e éd.), 1787.
Pour l'opinion commune, les savants commencent par observer la nature, puis ils tirent de ces observations des théories qu'ils soumettent
ensuite à l'expérience.
Kant réfute ici ce schéma, en montrant q u e d a n s le dialogue de l'homme avec la nature, c'est à l'homme qu'il
revient de prendre l'initiative et de questionner la nature avec les hypothèses qu'il aura d'abord élaborées.
« Ce que nous observons, ce n'est pas la Nature en soi, mais la nature exposée à notre méthode d'investigation.
» Werner Heisenberg,
Physique et Philosophie, 1961.
En physique comme dans les sciences humaines, l'observateur influe largement sur l'objet qu'il observe, et cela indépendamment de la
précision de ses appareils de mesure.
Ainsi, pour localiser une particule élémentaire (un électron, par exemple), il faut l'éclairer; or, le
simple fait d'éclairer cette particule, de la «bombarder» de photons, entraîne une déviation d e s a trajectoire et une modification d e s a
vitesse..
»
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