POPPER: La méthode scientifique
Extrait du document
«
Popper
Misère de l'historicisme
Texte :
« La méthode scientifique elle-même a des aspects sociaux.
La science, et plus spécialement le progrès
scientifique, est le résultat non pas d'efforts isolés mais de la libre concurrence de la pensée.
Car la science réclame
toujours plus de concurrence entre les hypothèses et toujours plus de rigueur dans les tests, et les hypothèses en
compétition réclament une représentation personnelle, pour ainsi dire : elles ont besoin d'avocats, d'un jury et même
d'un public.
Cette incarnation personnelle doit être organisée institutionnellement si nous voulons être sûrs qu'elle ait
de l'effet.
Et il faut dépenser pour ces institutions et les protéger par la loi.
Finalement, le progrès dépend dans une
large mesure de facteurs politiques, d'institutions politiques qui sauvegardent la liberté de pensée : de la
démocratie.
Il est de quelque intérêt que ce qu'on appelle couramment l'objectivité scientifique soit fondée dans une
certaine mesure sur des institutions sociales.
La conception naïve selon laquelle l'objectivité scientifique repose sur
une attitude morale ou psychologique du savant individuel, sur sa discipline, son attention, et son indépendance
scientifique, engendre en réaction la conception sceptique selon laquelle les savants ne peuvent jamais être
objectifs.
Dans cette conception, leur manque d'objectivité peut être négligeable dans les sciences naturelles où
leurs passions ne sont pas excitées, mais il peut être fatal dans les sciences sociales, où les préjugés sociaux, les
penchants de classe et les intérêts personnels sont impliqués.
Cette doctrine [...] néglige entièrement le caractère
social ou institutionnel de la connaissance scientifique, se fondant encore sur l'idée naïve que l'objectivité dépend
de la psychologie du savant individuel.
[...] C'est le caractère public de la science et de ses institutions qui impose
une discipline mentale à l'homme de science individuel, et qui préserve l'objectivité de la science et sa tradition de la
discussion critique des idées nouvelles.
»
Introduction :
Dans cet extrait de Misère de l'historicisme, Popper se épistémologue ou plus exactement développe une
réflexion sur la nature de la science et du progrès scientifique devant se comprendre comme fait social total.
En ce
sens, Popper nous propose une étude quelque peu sociologique, si l'on peut dire de la science.
Dès lors, il faut
remarquer que la thèse que développe Popper, c'est-à-dire que la science et le progrès scientifique soient
notamment des faits sociaux supposant alors une institutionnalisation de l'objectivité avec la définition d'une
structure démocratique assurée par la loi et par une volonté politique, doit se comprendre comme une critique de la
conception naïve que l'on peut se faire de la science soutenant que l'objectivité scientifique donc le progrès serait
du seul fait de l'individu et non du groupe au sein duquel il se situe.
Il apparaît alors clairement que la structure
argumentative de l'extrait s'organise autour de ces deux points qui feront donc l'objet de notre commentaire (nous
ne sacrifierons donc pas à la traditionnelle structure en trois parties puisque c'est le texte qui doit nous dicter la
démarche du commentaire et non l'inverse ; cependant, si l'on voulait à tout prix définir une troisième partie, la
dernière phrase de l'extrait serait celle-ci).
Si la science est donc bien comprises au sein de la dynamique sociale dont elle tire son objectivité (1ère
partie : du début du texte à «Il est de quelque intérêt que ce qu'on appelle couramment l'objectivité scientifique
soit fondée dans une certaine mesure sur des institutions sociales.
»), il faut voir alors dans cette thèse une remise
en cause de la conception naïve de l'objectivité individuel en science (2nd partie : de « La conception naïve selon
laquelle l'objectivité scientifique repose sur une attitude morale ou psychologique du savant individuel » à la fin de
l'extrait »).
I – La science comme fait social : institutionnalisation de l'objectivité & nécessité d'une structure
démocratique
a) Dès le début de l'extrait, Popper développe la thèse qu'il entend mener tout au long du texte sur la conception
que l'on doit se faire de la science notamment dans le développement des connaissances positives et c'est pour
cela qu'il nous dit que la « méthode scientifique elle-même a des aspects sociaux.
» S'intéresser à la méthode
scientifique c'est s'interroger sur la généalogie de la connaissance en science c'est-à-dire son monde d'acquisition.
Or si la méthode scientifique est sociale cela signifie alors que le paradigme de la solitude de l'étude scientifique est
une erreur.
Au même titre que d'autres aspects de la vie humaine ou d'outils comme le langage la science n'échappe
pas à une compréhension sociologique tant dans son fonctionnement que ses résultats.
b) En effet, la science doit se sortir de l'image habituelle qu'on lui prête d'être l'effet du génie ou de l'homme seul
travaillant dans son laboratoire à l'abri de tous et du monde.
Le progrès scientifique n'aurait alors pas de sens.
C'est
bien cette misère de l'historicisme de dénonce Popper dans ce texte.
Les progrès de la science ne s'intègrent pas à
de grandes dynamiques préétablies.
Ils sont plutôt l'effet d'une liberté de la pensée, c'est-à-dire d'un échange.
Plutôt qu'une isolation envers le monde, un progrès scientifique ne peut se comprendre que comme ouverture au
monde.
En effet, une théorie scientifique que serait le fruit d'une seule pensée aurait toutes les chances d'être
défaillantes ou le fruit quasiment d'un solipsisme de la raison sans réel démonstration et contre-argument que sa
propre pensée.
Or la science se développe bien au contraire au sein de la discussion et c'est pour cela qu'elle peut
se comprendre comme un fait social ou réclamant une structure sociale.
La vertu de la discussion en effet assure
une certaine objectivité à la science dans la mesure où elle forme un ensemble de règles et d'exigences en vue du.
»
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