Platon: L'opinion publique a-t-elle forcément raison ?
Extrait du document
Le traitement
que les États font subir aux hommes les plus sages est si dur qu'il
n'est personne au monde qui en subisse de semblable [...]. Imagine
donc quelque chose comme ceci se passant à bord d'un ou de plusieurs
vaisseaux. Le patron, en taille et en force, surpasse tous les membres
de l'équipage, mais il est un peu sourd, un peu myope, et a, en
matière de navigation, des connaissances aussi courtes que sa vue. Les
matelots se disputent entre eux le gouvernail : chacun estime que
c'est à lui de le tenir, quoiqu'il ne connaisse point l'art, et
qu'il ne puisse dire sous quel maître ni dans quel temps il l'a
appris. Bien plus, ils prétendent que ce n'est point un art qui
s'apprenne, et si quelqu'un ose dire le contraire, ils sont prêts à
le mettre en pièces. Sans cesse autour du patron, ils l'obsèdent de
leurs prières, et usent de tous les moyens pour qu'il leur confie le
gouvernail ; et s'il arrive qu'ils ne le puissent persuader, et que
d'autres y réussissent, ils tuent ces derniers ou les jettent par-
dessus bord. Ensuite ils s'assurent du brave patron, soit en
l'endormant avec de la mandragore, soit en l'enivrant, soit de toute
autre manière ; maîtres du vaisseau, ils s'approprient alors tout ce
qu'il renferme et, buvant et festoyant, naviguent comme peuvent
naviguer de pareilles gens ; en outre, ils louent et appellent bon
marin, excellent pilote, maître en l'art nautique, celui qui sait les
aider à prendre le commandement - en usant de persuasion ou de violence
à l'égard du patron - et blâment comme inutile quiconque ne les aide
point : d'ailleurs, pour ce qui est du vrai pilote, ils ne se doutent
même pas qu'il doit étudier le temps, les saisons, le ciel, les
astres, les vents, s'il veut réellement devenir capable de diriger un
vaisseau ; quant à la manière de commander, avec ou sans l'assentiment
de telle ou telle partie de l'équipage, ils ne croient pas qu'il soit
possible de l'apprendre, par l'étude ou par la pratique, et en même
temps l'art du pilotage. Ne penses-tu pas que sur les vaisseaux où se
produisent de pareilles scènes le vrai pilote sera traité par les
matelots de baveur aux étoiles, de vain discoureur et de propre à rien
?
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