Platon et l'écriture
Extrait du document
«
Socrate: Ainsi donc celui qui pense laisser après lui un art consigné dans un livre,
comme celui qui le recueille en pensant qu'il sortira de cette écriture un
enseignement clair et durable, fait preuve d'une grande simplicité [...] s'il pense
que des discours écrits sont quelque chose de plus qu'un mémento qui rappelle à
celui qui les connaît déjà les choses traitées dans le livre.
Phèdre : C'est très juste.
Socrate: C'est que l'écriture, Phèdre, a un grave inconvénient, tout comme la
peinture.
Les produits de la peinture sont comme s'ils étaient vivants; mais poseleur une question, ils gardent gravement le silence.
Il en est de même pour les
discours écrits.
On pourrait croire qu'ils parlent en personnes intelligentes, mais
demande-leur de t'expliquer ce qu'ils disent, ils ne répondront qu'une chose,
toujours la même.
Une fois écrit, le discours roule partout et passe indifféremment
dans les mains des connaisseurs et dans celles des profanes, et il ne sait pas
distinguer à qui il faut, à qui il ne faut pas parler.
S'il se voit méprisé ou injurié
injustement, il a toujours besoin du secours de son père; car il n'est pas capable de
repousser une attaque et de se défendre lui-même.
Phèdre: C'est également très juste.
PLATON
1.
a.
Quelle est la thèse soutenue par Socrate?
Socrate rejette l'usage de l'écrit lorsqu'il s'agit de rechercher la vérité: à l'étude des livres il préfère la pratique du
dialogue.
b.
Quels sont ses arguments?
Socrate commence par opposer mémoire et réflexion : les livres ne constituent pas un « enseignement » (à l'opposé de
la « maïeutique » qui s'élabore dans le dialogue) mais seulement un « mémento ».
Il précise cette critique en accusant l'écriture d'être trompeuse : elle donne l'apparence de la communication avec le
lecteur alors qu'elle laisse ce dernier seul avec ses questions.
L'écrit livre un certain nombre de propos, puis se tait.
Socrate, au contraire, pense que dans le dialogue chacun progresse, par un jeu de questions et réponses, vers une
vérité que nul ne détient au départ.
Enfin, l'écrit risque de favoriser les malentendus et les fausses interprétations car le livre est un objet qui proposera le
même contenu au lecteur quels que soient son niveau et sa capacité de compréhension.
2.
a.
Quel est le sens de la comparaison de l'écriture avec la peinture?
La peinture est un exemple de production d'un faux-semblant : les oeuvres d'art « copient » la réalité, la peinture
réussie donne presque l'illusion de la vie.
Alors que la médecine, par exemple, s'occupe du bien des corps réels, la
peinture ne s'intéresse qu'aux apparences.
De même, le dialogue est une véritable médecine de l'âme, alors que l'écrit
ne propose qu'une apparence séduisante mais garde le silence.
b.
Expliquer: « il ne sait pas distinguer à qui il faut, à qui il ne faut pas parler »
Socrate est convaincu qu'on ne peut trouver la vérité dans n'importe quelles circonstances : bien souvent il propose à
un interlocuteur de remettre la conversation à plus tard parce qu'il ne le sent pas prêt à remettre en cause ses
opinions.
La recherche de la vérité suppose la bonne foi, le désir d'apprendre et la disposition à être réfuté sans se
sentir humilié, vexé.
Abandonner des opinions peut également faire peur, déstabiliser; il vaut mieux alors se taire.
La
recherche de la vérité, illustrée par Platon dans « l'allégorie de la caverne », est comme un itinéraire initiatique que
tous ne peuvent accomplir.
Or le livre ne peut par définition connaître le niveau et les dispositions de son lecteur.
On
retrouvera ce souci chez Descartes, qui écrit les Méditations métaphysiques en latin afin qu'elles ne puissent être
comprises que par un public suffisamment cultivé pour bien les comprendre.
c.
Pourquoi le discours écrit a-t-il « toujours besoin du secours de son père » ?
Nos idées sont toujours issues d'un assez long processus de maturation, de décantation, elles ont une histoire qu'il est
impossible de présenter totalement dans un livre: ce dernier propose les idées sans exposer toute leur genèse.
De
même on sélectionne les arguments et les justifications afin de ne pas augmenter démesurément la taille de l'ouvrage.
Si bien que certains points risquent de demeurer obscurs ou ambigus.
L'auteur devra alors sans cesse répondre à des
critiques et des attaques.
Dans le dialogue au contraire, nul n'expose au départ une doctrine censée être déjà
complète: chacun propose une opinion qui doit être dépassée.
Les interlocuteurs ayant du temps devant eux peuvent
échanger des questions et des réponses pour éviter les malentendus.
3.
Les discours écrits sont-ils impropres à enseigner la vérité?
Face à la critique virulente de Socrate contre les livres, faut-il renoncer à écrire et ne retenir que la forme du dialogue
oral pour la recherche de la vérité? Si la thèse de Socrate est totalement convaincante, comment se fait-il que Platon
l'ait exposée par écrit? Après avoir précisé les enjeux de la position socratique, nous examinerons les atouts de l'écrit
puis nous nous demanderons dans quelle mesure l'apparition de l'imprimerie puis des technologies modernes de la
communication répond aux critiques de Socrate.
La thèse de Socrate a ceci de séduisant qu'elle met à mal l'idée d'une autorité magistrale qui déclamerait un savoir vrai
et sans réplique, irréfutable.
On écrit lorsqu'on pense être en mesure de rédiger un « traité » qui soit accepté par tous
et s'impose tel quel.
Ceci suppose une très grande confiance dans la valeur des idées.
À cela Socrate oppose une.
»
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