Platon: De l'opinion vraie et du savoir
Extrait du document
«
SOCRATE - Qu'on ne puisse bien diriger ses affaires qu'à l'aide de la raison, voilà
ce qu'il n'était peut-être pas correct d'admettre ?
MENON - Qu'entends-tu par là ?
SOCRATE - Voici.
Je suppose qu'un homme, connaissant la route de Larisse ou de
tout autre lieu, s'y rende et y conduise d'autres voyageurs, ne dirons-nous pas
qu'il les a bien et correctement dirigés ?
MENON - Sans doute.
SOCRATE - Et si un autre, sans y être jamais allé et sans connaître la route, la
trouve par une conjecture exacte, ne dirons-nous pas encore qu'il a guidé
correctement ?
MÉNON - Sans contredit.
SOCRATE - Et tant que ses conjectures seront exactes sur ce que l'autre connaît,
il sera un aussi bon guide, avec son opinion vraie dénuée de science, que l'autre
avec sa science.
MENON - Tout aussi bon.
SOCRATE - Ainsi donc, l'opinion vraie n'est pas un moins bon guide que la science
quant à la justesse de l'action, et c'est là ce que nous avions négligé dans notre examen des qualités de la
vertu ; nous disions que seule la raison est capable de diriger l'action correctement; or l'opinion vraie
possède le même privilège.
MÉNON - C'est en effet vraisemblable.
SOCRATE - L'opinion vraie n'est pas moins utile que la science.
MENON - Avec cette différence, Socrate, que l'homme qui possède la science réussit toujours et que celui
qui n'a qu'une opinion vraie tantôt réussit et tantôt échoue.
Peut-on se satisfaire, pour la conduite de l'existence, des seules opinions immédiates ? La question relève à la fois
d'une approche de l'exigence rationnelle en sa vocation pratique et d'une analyse de l'opinion elle-même en tant que
réalité mentale dont le mode de production explique les limites.
Souvent, l'opinion est jugée suffisante pour régler la
conduite ordinaire, et il n'est pas rare de voir invoquer, contre la « théorie » qui serait, selon le lieu commun
habituel, abstraite et partant inapplicable, le pragmatisme des opinions particulières, qui serait bien plus efficace,
(cf.
la fameuse expression critiquée par Kant : « cela est vrai en théorie mais inapplicable en pratique »).
À l'appui
de cette conception, on cite alors des exemples précis où le recours à des opinions a été plus opératoire que
l'application d'une théorie.
Cependant, n'y a-t-il pas malentendu sur la nature de l'exigence rationnelle, dès lors que
l'on confond son caractère méthodique et systématique avec le dogmatisme ? L'invocation de l'efficacité d'une
opinion particulière dans la conduite de l'action peut-elle valoir au-delà du cas particulier ? Bref, c'est le problème
des limites de l'opinion qu'il convient de poser.
L'étude d'un texte de Platon sur l'opinion vraie, extrait du dialogue
Ménon, va nous permettre d'y réfléchir.
Introduction :
Le Ménon est antérieur au Banquet (-385) et au Phédon.
Mais il est postérieur au Protagoras.
On y ressent
une influence orphico-pythagoricienne qui permet de mettre le Ménon en rapport avec le Gorgias.
Bien que le but
ultime de dialogue soit la question de la réminiscence, il n'en demeure pas moins que l'ouvrage débute par la
question de la vertu et le texte qui est nous est proposé traite plus particulièrement de la méthode avec la
distinction principale entre la raison (ou science) et l'opinion vraie.
Cette question n'est pas seulement d'ordre
scientifique, mais prend sens aussi dans la politique et dans la conduite individuelle de ses affaires.
Ainsi, la vertu, si
elle est utile, doit être une forme de raison.
La vertu est la raison, soit toute la raison, soit une partie de la raison
(89a).
L'extrait proposé semble s'organiser logiquement autour de deux moments : la remise en cause de la
distinction pratique entre la raison et l'opinion vraie ( du début à « il sera un aussi bon guide, avec son opinion vraie
dénuée de science, que l'autre avec sa science.
MENON - Tout aussi bon ».) et sa conséquence qui contrairement
à ce que l'on pourrait croire réaffirme et complète cette distinction mais non plus sur le mode de l'utilité et du
pragmatisme mais du point de vue de la scientificité et de la sûreté de la connaissance (de « SOCRATE - Ainsi donc,
l'opinion vraie n'est pas un moins bon guide » à la fin).
C'est suivant ces deux moments que nous entendons rendre
compte du texte.
I – Raison et opinion vraie
a) Dans cette discussion entre Menon et Socrate, il faut bien voir que l'essentiel est considérer la conduite du
chemin non pas seulement comme l'art de bien s'orienter d'un point à un autre mais bien comme la question de la
méthodologie à employer dans les sciences.
En effet, le chemin dont il est question se dit en grec « methodos »,
d'où la méthode.
Ainsi, les deux personnages ont convenu précédemment que la raison était la source de la bonne
direction des affaires : « Qu'on ne puisse bien diriger ses affaires qu'à l'aide de la raison ».
La raison serait donc la
source première de la scientificité, c'est-à-dire l'unique moyen d'être certain d'une connaissance.
Dès lors, il faut
rapprocher ce passage du livre VI de la République avec le fameux passage de la ligne qu'illustrera le livre VII et
l'allégorie de la caverne.
En effet, la raison a ontologiquement plus de valeur que l'opinion ou l'opinion vraie.
Elle est
fondée sur un élément réel.
Dans ce cas, on peut être pour le moins surpris que Socrate revienne justement sur un
point qui semble pourtant admis, ce que confirme l'étonnement de Ménon : « voilà ce qu'il n'était peut-être pas.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- « L’opinion est quelque chose d’intermédiaire entre la connaissance et l’ignorance... » PLATON
- Platon: L'opinion publique a-t-elle forcément raison ?
- Commenter cette opinion d'un penseur contemporain : « Croire n'est pas quelque chose de moins, mais quelque chose de plus que savoir. Celui qui croit ajoute le poids de tout son être à ce qu'il pense. » ?
- La critique de l'opinion chez Platon et Socrate
- L'opinion est-elle un savoir?