Platon
Extrait du document
«
"Critias :J'aurais presque envie de dire que se connaître soi-même, c'est cela la
sagesse, et je suis d'accord avec l'inscription de Delphes.
Voilà en quels termes,
différents de ceux des hommes, le dieu s'adresse à ceux qui entrent dans son
temple, si je comprends bien l'intention de l'auteur de l'inscription.
A chaque
visiteur, il ne dit rien d'autre, en vérité, que : « Sois sage! » Certes, il s'exprime en
termes quelque peu énigmatiques, en sa qualité de devin.
Donc, selon l'inscription
et selon moi, « connais-toi toi-même » et « sois sage », c'est la même chose!
Socrate : Dis-moi donc ce que tu penses de la sagesse.
Critias :Je pense que, seule entre toutes les sciences, la sagesse est la science
d'elle-même et des autres sciences.
Socrate : Donc elle serait aussi la science de l'ignorance, si elle l'est de la science?
Critias : Assurément.
Socrate : En ce cas, le sage seul se connaîtra lui-même et sera capable de
discerner ce qu'il sait et ce qu'il ne sait pas.
Et de même pour les autres, il aura le
pouvoir d'examiner ce que chacun sait et a conscience à juste titre de savoir, amis
aussi ce qu'il croit à tort savoir.
De cela, aucun autre homme n'est capable.
Finalement, être sage, de même que la connaissance de soi-même, consiste à savoir ce qu'on sait et ce
qu'on ne sait pas.
Est-ce bien là ta pensée?" PLATON
Le débat entre Critias et Socrate porte sur la signification de la maxime inscrite au fronton d'un temple à Delphes, l'un
des principaux sanctuaires de la Grèce antique : « Connais-toi toi-même ».
Sachez que le temple en question est dédié
à Apollon qui est qualifié de «devin » parce qu'il est, dans la religion grecque, le dieu des prophéties et des devins.
L'enjeu est de taille, car il ne s'agit pas seulement d'une question d'interprétation, mais du problème central de la
définition de la sagesse.
Les deux interlocuteurs soutiennent que la maxime est la source de toute sagesse.
Toutefois,
ne vous laissez pas prendre à leur apparent accord.
Entre leurs conceptions respectives, il y a une grande différence,
et c'est sur cette nuance qu'il faut bâtir votre commentaire.
Critias comprend le « Connais-toi toi-même » de façon traditionnelle : « N'oublie jamais que tu n'es qu'un homme.
Tu
n'es pas un dieu, ne te surestime donc pas.
» C'est le sens moral de la maxime.
Socrate, d'une façon « révolutionnaire
» à l'époque, interprète l'inscription dans un sens philosophique.
C'est une invitation à mettre à l'épreuve les opinions
reçues que nous prenons pour des connaissances assurées.
Il s'agit de traquer l'ignorance qui se prend pour la
science, comme le fait Socrate dans certains dialogues de Platon.
C'est le sens socratique de la maxime : c'est l'acte
de naissance de la philosophie.
Thème 494
Connais-toi toi même
Il ne s'agit pas pour Socrate de se livrer à une investigation psychologique, mais d'acquérir la science des
valeurs que l'homme porte en lui.
Cette science importe essentiellement — bien avant de connaître la nature
ou les dieux.
Comment conduire sa vie pour être heureux ; voilà la question qui hante tous les hommes.
L'opinion, confortée en cela par les sophistes, identifie le bonheur à la jouissance, au pouvoir, à la fortune, à
la beauté.
Sans doute tout cela n'est-il pas négligeable, mais ce sont là des biens équivoques qui peuvent
nous être utiles, ou nous nuire selon les circonstances, l'usage qui en est fait.
Pour qu'ils deviennent utiles, il
faut que nous sachions nous en servir et si l'homme agit toujours en vue de son bien propre, il peut se
tromper sur sa définition.
Si nul n'est méchant volontairement, c'est d'abord parce que nul ne veut
consciemment se nuire à lui-même et donc ce n'est que par accident que la conduite qu'il adopte peut
éventuellement s'avérer mauvaise.
Par accident, non volontairement, il faut entendre par là par ignorance :
si je ne connais pas la hiérarchie des biens, je serai nécessairement malheureux.
Par exemple, celui qui
consacre son existence à acquérir la richesse, en viendra naturellement à nuire à autrui, donc il s'exposera à
la rigueur de la loi ; de plus c'est là un bien qui dépend en large partie du hasard et qui peut échapper à tout
instant.
Il est donc inconcevable que sachant tout cela on puisse vouloir agir de la sorte.
C'est la science
qui détermine l'action, elle ne peut être vaincue par les passions, seulement par l'ignorance.
Le primat donné à la science explique les railleries dont Socrate accable aussi bien les institutions, en
particulier le tirage au sort des magistrats, que l'inspiration qui permettrait à certains de bien agir par une
sorte d'illumination.
Faisant confiance au savoir et pensant que tous les hommes — fut-ce l'esclave — portent en eux le germe
de ce savoir, c'est une vision délibérément optimiste que Socrate offre de l'humanité..
»
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