Plaisir, joie et bonheur
Extrait du document
«
Définition des termes du sujet:
BONHEUR: De bon et heur (terme dérivé du latin augurium, présage, chance).
État de complète satisfaction de
tous les penchants humains.
• Le bonheur se distingue du plaisir et de la joie, qui sont des émotions éphémères et toujours liées à un objet
particulier.
• Dans les morales eudémonistes, le bonheur est la fin de l'action humaine.
Pour Kant, en revanche, c'est
le respect de la loi morale qui doit orienter la volonté, et non la recherche du bonheur.
Car cette recherche est
toujours déjà intéressée, égoïste donc contraire à la morale.
I.
Le théoricien anglais de la morale de l'intérêt, Bentham, donnait du bonheur la définition suivante : « c'est la
plus grande somme de plaisir diminuée de la plus petite somme de douleurs dans une existence complète».
Cette
philosophie sommaire qui met sur le même plan et confond plaisir, joie, et bonheur, ne résiste pas à l'examen.
Par
exemple, je peux être très malheureux et cependant éprouver un réel plaisir à boire un verre d'eau si j'ai soif.
Max
Scheler écrit : « je peux joyeusement endurer une douleur et savourer sans joie le bouquet d'un vin ».
Il est bien
connu que ce sont souvent des hommes désespérés qui se réfugient dans les plaisirs pour s'étourdir.
Les moralistes
du plaisir, appelés hédonistes, sont souvent, comme Anatole France, des philosophes sceptiques et désabusés.
Il
faut donc soigneusement distinguer et hiérarchiser plaisir, joie et bonheur.
C'est ce que nous allons faire en allant du
plus partiel, du plus relatif (le plaisir) à ce qui veut être total et absolu (le bonheur).
II.
Le psychologue Dumas avait remarqué que « la bibliographie du plaisir est aussi pauvre que celle de la douleur est
riche ».
Mais il l'expliquait seulement par le fait qu'« il est autrement difficile de produire le plaisir en laboratoire que
de provoquer et de doser la douleur ».
En fait, on comprend que la douleur d'abord ressentie comme échec et
comme scandale suscite l'étonnement et la réflexion.
M.
Svagelski remarque : « Seule en effet la douleur est une
question dans la mesure où elle témoigne d'une rupture entre le monde et moi, entre moi et moi».
Le plaisir, qui
marque tout simplement la satisfaction de telle ou telle tendance biologique, nous paraît naturel et ne pose pas
spontanément de question.
Nos plaisirs comme nos tendances sont multiples et hétérogènes.
Chaque plaisir a
quelque chose de particulier, de limité, par là de superficiel et ne concerne pas ma personnalité considérée comme
un ensemble, comme un tout.
Le plaisir s'éprouve dans l'instant, et est du domaine de la sensation qui échappe en
quelque sorte à la continuité de la durée psychique.
La philosophie du plaisir prétend réduire le temps à une suite
d'instants séparés.
Pour Don Juan la vie n'est qu'une suite d'instants, qu'une collection de plaisirs sans aucune
continuité.
III.
Dans un article pénétrant sur Plaisir, joie, bonheur, M.
Jean Lacroix écrit : « Toute joie est joie du rythme, c'està-dire qu'elle naît d'un certain rapport entre le temps et l'éternité.
» Autrement dit, tandis que le plaisir est lié à
l'instant, la joie suppose le temps d'une oeuvre.
La joie est liée à l'acte, à l'oeuvre.
Elle est rythme parce qu'elle
associe un idéal, qui vaut en lui-même, en dehors du temps, et une réalisation qui dépend du temps; L'ennui est le
contraire de la joie, car dans l'ennui je suis possédé par le temps, je ne le possède pas.
Le temps de l'ennui s'allonge
et pèse.
Je ne sais que faire de cette durée qui se ralentit, s'alourdit, m'accable.
Dans l'ennui le temps s'est emparé
de moi.
Au contraire, le temps de l'action, le temps de l'oeuvre, c'est le temps dominé, le temps programmé, le
temps joyeux.
Comme l'écrit Bergson :« Partout où il y a joie il y a création; plus riche est la création, plus profonde
est la joie.
Le chef d'industrie qui voit prospérer son usine est-il joyeux en
fonction de l'argent qu'il gagne ? Cela lui apporte du plaisir plutôt que de la joie,
et ce qu'il goûte de joie vraie c'est le sentiment d'avoir monté une entreprise qui
marche, d'avoir appelé quelque chose à la vie.
» La philosophie est pour Bergson
une source privilégiée de joie parce que la philosophie est une coïncidence, une
«sympathie» (par intuition) avec l'élan créateur qui définit le fond même des
choses.
C'est pourquoi Bergson écrivait à la fin de son célèbre essai sur
l'Intuition philosophique (recueilli dans La Pensée et le Mouvant) : «Avec ses
applications qui ne visent que la commodité de l'existence, la science nous
promet le bien-être, tout au plus le plaisir.
Mais la philosophie pourrait déjà nous
donner la joie.
»
IV.
Si le plaisir occupe l'instant et la joie le temps d'une oeuvre, le bonheur,
cette « jouissance infinie de l'être », dont parlait Spinoza, ne peut concerner
que l'éternité.
Par là le bonheur — au sens plein du mot — est impossible à
l'homme.
L'homme cherche dans le temps à se rapprocher de l'idéal dont il rêve.
Il est capable d'efforts, de progrès.
Mais s'il a, comme dit Malebranche, toujours
«du mouvement pour aller plus loin », jamais il ne lui est donné d'atteindre
l'absolu, de posséder l'être.
Le bonheur appartient à l'éternel, il est plutôt divin qu'humain.
Le plaisir, lié à la
satisfaction des instincts au cours des instants successifs, reste.
sur le plan de la vie animale.
La joie seule est
proprement, exclusivement humaine, car elle appartient au temps..
»
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