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Philosopher, est-ce apprendre à vivre ?

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Incipit : A l’intitulé de l’énoncé s’associe immédiatement la définition contraire, donnée par Montaigne dans ses Essais, de la philosophie comme apprentissage à mourir. Ceci se rapporte au traumatisme par lequel, d’une certaine manière, l’acte de philosopher s’est institué en tant que profession de foi faite à l’endroit du savoir, c’est-à-dire, à la mort de Socrate rapportée dans le Phédon de Platon. L’opportunité de l’énoncé consiste donc dans la possibilité qu’il offre de réfuter une appréhension mortifère de la philosophie dont, parfois, elle se trouve accusée (chercher refuge dans les idéaux de la raison abstraite, illusion dénoncée tout au long de l’œuvre de Nietzsche, de La généalogie de la morale à Ecce homo). Si le problème de la mort, et l’échec de la philosophie à l’intégrer sereinement, est contemporain de la fondation sacrificielle de la philosophie (Socrate s’exclamant en la quittant : “ Sacrifions un coq à Asclepios ! ”, comme si la mort était guérison), le problème de l’apprentissage à vivre l’est également, et certainement même est plus caractéristique encore de la démarche philosophique comme désir de la sagesse, d’une sagesse sue inatteignable (Cicéron allant jusqu’à dire, dans les Tusculanes, que Socrate est père de la philosophie en tant qu’avec lui la raison descend du ciel divin pour se préoccuper des conditions d’existence des humains).
 
Thèmes : L’énoncé se décompose sur le mode d’une prédication dont il s’agit d’évaluer la validité (philosopher = apprendre à vivre ?). Une analyse thématique plus précise doit procéder en deux notions à examiner, qui constituent le prédicat de l’énoncé : (i) apprendre : l’apprentissage se définit d’une part par son caractère actif (en quoi il reprend l’activité du verbe “ philosopher ”), et d’autre part, par le fait d’être constitué de règles, au sens le plus général de cette notion. Les règles sont l’objet de l’apprentissage, et ceci est certainement toujours le cas (apprendre un vocabulaire consiste par exemple à apprendre un système de règles lexicales qui doivent permettre, conjointes à la syntaxe, d’user d’un langage donné, apprendre des dates est apprendre à les employer relativement à leur contexte d’inscription historique, etc.) ; (ii) vivre : dans le cas de la vie, l’apprentissage des règles (notez qu’on parle des ‘règles de vie’, ou ‘du savoir-vivre’) doit être compris comme ayant une vocation technique, au sens propre du terme. C’est-à-dire que l’apprentissage des règles (consistant à vivre) doit permettre la réalisation optimale d’une fin, dans notre cas la vie bonne, par l’application pratique correcte des règles apprises. La vie devient ici art, ‘art de vivre’ (ars est traduit du grec technè, qui donne technique (n.b. : la définition présentée ici de la notion de technique est celle d’Aristote dans l’Organon)). Et si vivre peut avec raison être qualifié d’art, et donc rapproché d’une dimension technique consistant en l’apprentissage de règles, c’est qu’elle est foncièrement une activité. Une alternative peut alors servir à son analyse précisément comme technique : la dimension éthique de la vie (bien vivre), ce qui est son acception la plus évidente dans le cadre de notre énoncé, et sa dimension épistémique, la vie comme connaissance ou savoir – ceci est à rapporter au fait que le propre de l’âme humaine, toujours selon Aristote (De l’âme) est sa rationalité, or la rationalité consiste dans la pensée, et la pensée a pour vocation le savoir. Dans les deux cas, éthique et connaissance, vivre se détermine par son caractère actif.
 

« Incipit : A l'intitulé de l'énoncé s'associe immédiatement la définition contraire, donnée par Montaigne dans s e s Essais, de la philosophie comme apprentissage à mourir.

Ceci se rapporte au traumatisme par lequel, d'une certaine manière, l'acte de philosopher s'est institué en tant que profession de foi faite à l'endroit du savoir, c'est-à-dire, à la mort de Socrate rapportée dans le Phédon de Platon.

L'opportunité de l'énoncé consiste donc dans la possibilité qu'il offre de réfuter une appréhension mortifère de la philosophie dont, parfois, elle se trouve accusée (chercher refuge dans les idéaux de la raison abstraite, illusion dénoncée tout au long de l'œuvre de Nietzsche, de La généalogie de la morale à Ecce homo).

Si le problème de la mort, et l'échec de la philosophie à l'intégrer sereinement, est contemporain de la fondation sacrificielle de la philosophie (Socrate s'exclamant en la quittant : “ Sacrifions un coq à Asclepios ! ”, comme si la mort était guérison), le problème de l'apprentissage à vivre l'est également, et certainement même est plus caractéristique encore de la démarche philosophique comme désir de la sagesse, d'une sagesse sue inatteignable (C icéron allant jusqu'à dire, dans les Tusculanes, que Socrate est père de la philosophie en tant qu'avec lui la raison descend du ciel divin pour se préoccuper des conditions d'existence des humains). Thèmes : L'énoncé se décompose sur le mode d'une prédication dont il s'agit d'évaluer la validité (philosopher = apprendre à vivre ?).

Une analyse thématique plus précise doit procéder en deux notions à examiner, qui constituent le prédicat de l'énoncé : (i) apprendre : l'apprentissage se définit d'une part par son caractère actif (en quoi il reprend l'activité du verbe “ philosopher ”), et d'autre part, par le fait d'être constitué de règles, au sens le plus général de cette notion.

Les règles sont l'objet de l'apprentissage, et ceci est certainement toujours le cas (apprendre un vocabulaire consiste par exemple à apprendre un système de règles lexicales qui doivent permettre, conjointes à la syntaxe, d'user d'un langage donné, apprendre des dates est apprendre à les employer relativement à leur contexte d'inscription historique, etc.) ; (ii) vivre : dans le cas de la vie, l'apprentissage des règles (notez qu'on parle des ‘règles de vie', ou ‘du savoir-vivre') doit être compris comme ayant une vocation technique, au sens propre du terme.

C 'est-à-dire que l'apprentissage des règles (consistant à vivre) doit permettre la réalisation optimale d'une fin, dans notre cas la vie bonne, par l'application pratique correcte des règles apprises.

La vie devient ici art, ‘art de vivre' ( ars est traduit du grec technè, qui donne technique (n.b.

: la définition présentée ici de la notion de technique est celle d'A ristote dans l'Organon)).

Et s i vivre peut avec raison être qualifié d'art, et donc rapproché d'une dimension technique consistant en l'apprentissage de règles, c'est qu'elle est foncièrement une activité.

Une alternative peut alors servir à son analyse précisément comme technique : la dimension éthique de la vie (bien vivre), ce qui est son acception la plus évidente dans le cadre de notre énoncé, et sa dimension épistémique, la vie comme connaissance ou savoir – ceci est à rapporter au fait que le propre de l'âme humaine, toujours selon A ristote (De l'âme) est sa rationalité, or la rationalité consiste dans la pensée, et la pensée a pour vocation le savoir.

Dans les deux cas, éthique et connaissance, vivre se détermine par son caractère actif. Problème : Le caractère actif de la vie est-il ou non identique (tel est le sens du ‘=' de la présentation prédicative de la structure de l'énoncé) à l'activité philosophique, c'est-à-dire à l'acte même de philosopher, au fait de philosopher en acte ? Philosopher comme acte se différencie d'emblée d'une conception, tout autant légitime d'ailleurs, de la philosophie comme histoire de doctrines et corpus d'auteurs entassées en bibliothèque.

Non, ce dont il est ici question n'est pas de définir la philosophie, mais d'identifier le philosopher.

Et de déterminer en quel sens le philosopher comme acte peut-il être identifié à une technique régulée, à un art, et qui plus est, un art de vivre.

L'ambivalence du vivre, relevée dans notre second thème, organise l'alternative de notre développement : peut-on dire de la philosophie qu'elle est une éthique pratique (art de vivre) ? peut-on dire de la philosophie qu'elle est une logique (art de penser, au sens ou la pensée définit spécifiquement la vie humaine) ? Remarquons au passage que nous avons laissé tomber la notion d'apprentissage parce que nous en avons déterminé la nature par son objet qui est l'art, ou la technique. * I.

La philosophie comme éthique pratique Reprenons l'histoire de la philosophie à son origine socratique.

P our Socrate, dans un dialogue de jeunesse de P laton (Alcibiade),l'important du philosopher se rapporte au souci de soi.

Prendre soin de soi, c'est-à-dire de son âme, est le premier impératif que signifie l'adage delphique du “ connais-toi toi-même ”. C e dernier en effet ne signifie pas la connaissance de soi en termes épistémiques, mais bien le savoir de soi comme individu moral auquel incombe la responsabilité de bien vivre sur la scène du monde, de connaître sa place, d'éviter la démesure et l'erreur dans le jugement éthique des valeurs.

Dans cette filiation éthique de la philosophie s'inscrivent les développements des doctrines épicuriennes et stoïciennes, voire même d'autres courants mineurs de la pensée antique (les cyniques, les cyrénnaïques, etc.).

T outes en effet mettent en œuvre des manuels d'art de vivre codifiés par des règles dont l'apprentissage et la pratique effective doivent garantir la valeur de la vie vécue (pensez aux formules du quadruple remède données par Epicure dans la Lettre à Ménécée, dont l'application doit permettre l'atteinte de la tranquillité de l'âme, ou encore aux injonctions que Marc-A urèle s'adresse à lui-même dans s e s Pensées, etc.).

A u 2 0 e siècle, au terme de s a vie et dans s e s derniers cours quasi testamentaires au C ollège de France, Foucault reviendra attentivement sur ces sagesses antiques à concevoir comme autant d'art de vivre, de techniques de vie (le terme est de Platon) et a fortiori de techniques du soi.

Jusqu'à nos jours donc, la philosophie comme acte de philosopher n'a pas cesser d'être identifiable, du moins pour partie, à l'activité consistant à “ apprendre à vivre ”. II.

La philosophie comme art de penser Quant au second point, la question du philosopher comme art de penser, ou logique, il est tout autant définitoire de l'exercice philosophique.

A vec Socrate s'est opéré le tournant épistémologique des pensées archaïques.

La philosophie s'est dotée d'un instrument dont elle ne se détachera pas, à savoir le concept (ceci renvoie à l'autobiographie de Socrate dans la Phédon, où déçu par les erreurs de raisonnement de la pensée d'A naxagore, Socrate s'attèle au projet de doter la pensée d'un art de la définition).

C ertaines des sagesses antiques mentionnées dans le point (I), en particulier les stoïciens de la seconde période sous la direction de Zénon, ont développé des méthodes de raisonnement d'un raffinement restées indépassables jusqu'aux développement de la logique scolastique (environ 13 e – 14 e siècle).

Et toujours, art de penser et vocation à l'apprentissage du bien-vivre se sont trouvés intimement corrélés.

La Logique de P ort-Royal peut à ce titre en figurer l'aboutissement le plus éclatant.

Jusqu'à ce jour également, la préoccupation éthique a fondé l'orientation d'un certain type de conception de la logique.

Wittgenstein, par exemple, dans son Tractatus (1921), fait de la définition de la vérité logique formelle l'exercice d'une thérapie du langage dont le terme doit être la compréhension du sens et de la valeur de l'existence.

A ussi, si “ apprendre à vivre ” consiste dans l'apprentissage des règles de la pensée comme art, ne serait-ce que parce que bien vivre, en tant que normé par des règles, suppose la rectitude du jugement, alors l'acte de philosopher peut y être identifié. * Conclusions - - Si apprendre à vivre suppose d'entendre la notion d'apprentissage comme apprentissage de règles définissant une technique, alors philosopher est apprendre à vivre, aux deux sens de l'éthique et de l'art de penser.

Or, apprendre à vivre ne peut signifier autre chose qu'avoir pour objet un art.

Donc, … Pousser plus en avant l'investigation du problème formulé en termes d'alternative exigerait de questionner plus précisément les rapports internes de la logique et de l'éthique, afin d'en déterminer l'existence, ou l'absence, d'un ordre de priorité, etc.

Sur ce point, l'analyse du cas Wittgenstein est particulièrement instructive. Une dimension importante, et non étudiée, du rapport de l'activité d'apprentissage aux règles qui en sont l'objet est la possibilité de leur transgression.

Une règle se définit toujours par, ou plutôt définit toujours, ce qui lui contrevient.

Si la philosophie pouvait n'être pas “ apprendre à vivre ”, cela pourrait vouloir dire qu'elle consiste à déjouer les règles du bien vivre.. »

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