Philosopher, est-ce apprendre à mourir ?
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Introduction.
-La mort constitue l'événement singulier qui clôt une vie.
La vie toute entière se définit à partir de cet événement
ultime, qui implique la finitude fondamentale de tout être vivant, dont l'homme.
-Or, l'homme est de tous les animaux le seul qui sait qu'il va mourir : sa vie même, son existence propre s'inscrivent
donc sous l'horizon d'une mort dont on ne pourra jamais, pourtant, faire l'expérience directe.
-La philosophie, en tant qu'exercice de la pensée portant sur l'existence et ses innombrables caractéristiques, inscrit
donc l'horizon de son exercice au sein de cette condition mortelle originaire de l'homme.
-En quel sens la pensée philosophique constitue-t-elle un apprentissage à la mort ? Apprendre à mourir, dans cette
perspective, n'est-ce pas plutôt apprendre à vivre, en inscrivant cette vie même au sein de sa finitude constitutive
?
I.
La philosophie apprend à accéder à l'immortalité (Platon).
La mort n'est pas l'occasion d'une disparition totale de l'âme ; elle ne constitue, en effet, que le moment de la
séparation de celle-ci avec le corps ou, plus précisément, celle de la partie intellectuelle de l'âme avec les parties
de l'âme qui se rattachent au corps, et avec ce corps lui-même.
Ainsi, l'âme s'échappe du corps, dans la mort, pour
rejoindre le lieu originel des Formes éternelles.
La philosophie, c'est l'exercice de la pensée qui se concentre sur son
propre principe pour se détacher, précisément, de l'élément corporel.
Selon la fameuse identité soma / sema, Platon
pense en effet que le corps constitue un tombeau pour l'âme, dont il revient à la philosophie d'apprende à cette
dernière de se libérer.
C'est par une vie ascétique, c'est-à-dire étymologiquement selon une vie qui constitue un
exercice de détournement de l'âme du corps, que la philosophie peut aider l'âme à se libérer du poids du corps :
apprendre à mourir, c'est donc apprendre à bien vivre pour bien mourir, de sorte que l'âme parvienne à se libérer de
la pesanteur de la corporéité.
II.
Nous n'avons aucune expérience de la mort : ce qui compte, c'est
donc le plaisir de la vie (Epicure).
Contrairement à Platon, Epicure pense qu'il est impossible de penser à ce
qu'est la mort et à ce qu'il y aurait éventuellement "après", puisque nous n'en
avons aucune expérience possible : puisque la vie c'est la sensation, et que
la sensation c'est l'expérience, puisque la mort est précisément l'abolition de
la sensation, nous ne saurions jamais avoir aucune expérience possible de la
mort.
L'angoisse vis-à-vis de la mort constitue donc un mal inutile : la vraie
question reste celle de la vie elle-même.
Le bien suprême, ce n'est pas de
bien vivre pour bien mourir, c'est de vivre selon le plaisir, parce que le plaisir
est un bien en soi, qui ne saurait avoir de contrepartie dans un au-delà de la
mort.
Philosopher, c'est penser la vie pour apprendre à se débarrasser de ses
angoisses vaines : seul importe le plaisir, le véritable bien en soi.
Néanmoins la
doctrine épicurienne rejoint celle de Platon dans ses effets, en ce qu'une vie
bonne se caractérise également par un certain ascétisme, puisque trop de
plaisirs implique des maux plus grands que ces mêmes plaisirs.
Philosopher, ce
n'est donc pas apprendre à mourir, mais apprendre à vivre, et à vivre bien.
Dans la Lettre à Ménécée, Épicure conduit une réflexion opposée à celle du
platonisme : elle s'en tient à un strict matérialisme.
La mort n'est pas une
évasion de l'âme, elle est un pur non-être qui ne nous concerne en rien, puisque vivants, nous appartenons à l'être.
"Tout bien et tout mal résident dans la sensation ; or, la mort est la privation complète de cette dernière." Ensuite,
sachant que notre durée de vie est limitée, nous serons heureusement pressés de jouir raisonnablement des biens
de la vie.
La pensée de la mort dissipe l'angoisse d'une vie illimitée, en laquelle nous aurions à choisir et agir en vue
de l'éternité.
Pour l'existence humaine, l'éternel n'est jamais en jeu : il n'y a rien de si grave qui mérite un souci sans
limites.
De plus, les dieux immortels, qui jouissent d'une béatitude infinie, ne se soucient pas des affaires humaines.
Si la mort n'est rien pour nous, nous ne sommes, mortels, rien pour les dieux : leur jugement n'est pas à craindre.
Il
ne faut donc se soucier ni de la mort elle-même, ni de l'attente de son heure.
Une chose absente ne peut nous
troubler, et quand la mort advient, c'est que déjà nous ne sommes plus là pour en souffrir.
L'homme ne rencontre
jamais sa propre mort, et le "passage" est aussi irréel et inconsistant que l'instant présent qui sépare le passé du
futur.
La mort n'est rien, comme le pur instant présent, sans passé ni avenir : "La mort n'a par conséquent aucun
rapport avec les vivants, ni avec les morts, étant donné qu'elle n'est rien pour les premiers, et que les derniers ne
sont plus." La mort ne doit être pensée ni comme un mal, ni comme une délivrance.
Si ne pas exister n'est pas un
mal, la vie comporte des joies qui peuvent être très agréables.
Vivre sagement, ce n'est pas chercher à jouir le plus
longtemps possible, mais le plus agréablement qu'il se peut.
La métaphysique matérialiste va aussi permettre de délivrer l'humanité d'une de ses plus grandes craintes : la
crainte de la mort.
Les hommes ont peur de la mort.
Mais que redoutent-ils en elle ? C'est précisément le saut dans
l'absolument inconnu.
Ils ne savent pas ce qui les attend et craignent confusément que des souffrances terribles ne.
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