Peut-on vouloir le mal?
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PREMIERE CORRECTION
Nul ne veut le mal : c'est la thèse paradoxale, et apparemment réfutée par l'expérience de tout un chacun, que
défend néanmoins Socrate.
Pourtant, cette thèse, si elle se révèle finalement défendable, met peut-être au jour un
lien essentiel entre la volonté et le bien : par essence, seul le bien serait susceptible d'être l'objet de la volonté.
Mais n'est-ce pas oublier la profondeur de la liberté humaine, qui se manifeste justement dans la possibilité de
vouloir le mal?
1.
Nul ne veut le mal volontairement.
A.
Qu'est-ce que la volonté ? On appelle volonté une certaine relation d'un individu, celui qui veut, à un certain état
du monde, qui n'existe pas, mais qu'une action de cet individu peut réaliser.
Cette relation est la cause de l'action
de cet individu pour réaliser l'objet de la volonté.
Vouloir une glace, c'est être en relation avec la situation possible
de posséder une glace, et cette relation me pousse à acheter une glace, afin de me rendre effectivement
possesseur d'une glace.
B.
Que veulent les hommes? Nous voulons tous les choses que nous jugeons bonnes.
L'homme qui sacrifie son
intérêt personnel veut accomplir ce qu'il juge être le bien.
Mais pareillement, l'homme qui place son intérêt personnel
au-dessus de valeurs comme l'altruisme veut accomplir ce qu'il juge être le bien.
Plus précisément, il veut accomplir
ce qu'il juge être bénéfique pour lui, même si cela peut être contradictoire avec ce qu'autrui juge être bon.
C.
Ce n'est pas l'objet de leur volonté qui distingue ces deux hommes : tous deux veulent le bien.
Mais ils se
distinguent par ce qu'ils appellent bien.
Si tel est le cas, il est légitime de soutenir que nous voulons tous le bien, et
que ce qui nous distingue les uns des autres, c'est la connaissance ou l'ignorance du bien véritable.
Est-il vrai que nous ignorons le bien quand nous sacrifions l'altruisme ?
2.
La volonté a pour objet essentiel le bien.
A.
Il faut nuancer l'analyse proposée à l'instant.
Comme le montre Kant dans les Fondements de la métaphysique
des moeurs, nous connaissons tous la loi morale qui nous dicte de manière absolue ce à quoi notre volonté doit se
conformer : ainsi savons-nous tous que mentir ou voler est mauvais...
Par conséquent, celui qui dédaigne l'altruisme
sait véritablement où est le bien.
B.
Pourtant, l'analyse proposée précédemment reste, pour l'essentiel, vraie.
Celui qui commet une faute, c'est-à-dire
qui viole la loi morale, sait bel et bien qu'il commet une faute.
Néanmoins, il ne veut pas le mal : il ne pose pas que
l'objet de son action, par exemple mentir, devrait être voulu par tout un chacun.
En réalité, en violant la loi morale,
il considère qu'il fait une exception à cette loi.
Par là, alors même qu'il commet une faute, il veut que la loi morale
reste la loi morale : il veut donc véritablement le bien.
C.
La volonté est en effet intrinsèquement liée au bien : c'est parce que nous connaissons la loi morale que nous
sommes doués d'une volonté.
Par volonté, il ne faut pas entendre simplement la relation décrite précédemment.
Cette analyse ne distinguait pas la volonté du désir.
Mais la volonté désigne la capacité à se déterminer à agir
librement.
Or, cette liberté est liée à la connaissance de la loi morale.
N'est-ce pas ignorer l'ampleur de notre liberté ?
3.
La liberté, c'est la capacité de vouloir le mal.
A.
N'est-il pas paradoxal de définir la volonté comme capacité à agir librement, et de lui refuser en même temps la
capacité à vouloir le mal ?
B.
Il semble, en outre, que notre respect de la loi morale n'est pleinement assuré que par notre capacité
fondamentale à vouloir le mal, c'est-à-dire à nier entièrement le commandement de la loi morale, et non simplement
à faire une exception à l'égard de la loi morale tout en en reconnaissant la validité.
C.
Alors que nous sommes libres parce que nous connaissons la loi morale, cette liberté n'est complète que parce
que nous pouvons vouloir pleinement ce qu'interdit la loi morale.
SUPPLEMENT: Nul n'est méchant volontairement (Platon)
C'est dans le « Gorgias » de Platon que l'on trouve exposé le paradoxe socratique : « Nul n'est méchant
volontairement ».
Cette thèse surprenante de prime abord doit être reliée aux deux autres : « Commettre l'injustice
est pire que la subir » ; « Quand on est coupable il est pire de n'être pas puni que de l'être ».
L'injustice est un vice,
une maladie de l'âme, c'est pourquoi, nul ne peut vraiment la vouloir (on ne peut vouloir être malade), et la punition,
qui est comparable à la médecine, est bénéfique à celui qui la subit.
L'attitude commune face à la justice est résumée par Polos dans « Gorgias » et Glaucon au livre 2 de la « République.
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