Peut-on trouver dans la solidarité le principe de la morale ?
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Peut-on trouver dans la solidarité le principe de la morale ?
Un très grand nombre de penseurs contemporains ont prétendu fonder la morale sur la solidarité.
Ils y ont
même vu des avantages considérables : donner à la morale pour base un fait positif ; l'affranchir, par là
même, des contestations auxquelles est soumise toute doctrine dont le principe est une idée a priori ; en
mettre le fondement à la portée de toutes les intelligences, même de celles qui n'ont aucune habitude de
la spéculation métaphysique.
C'est là la préoccupation essentielle d'hommes fort distingués, conscients de
la très grande importance sociale du problème moral, et avertis du besoin qu'ont les masses de se
rattacher à quelque principe clair et solide, dans le désarroi actuel des dogmes et des croyances.
(Lire le
livre de M.
Léon BOURGEOIS : Solidarité.) Ajoutons que cette idée était suggérée aux moralistes
contemporains par la philosophie évolutionniste, dont toute la morale repose sur le principe de la
solidarité.
(Voir SPENCER, Les bases de la morale évolutionniste.)
Cependant une raison capitale s'oppose à ce que l'on prenne la solidarité pour fondement de la morale :
c'est que la solidarité est un fait.
Ce fait lui-même n'est pas primitif ; il est une conséquence de la division
du travail.
C'est parce que le cordonnier ne sait pas faire son pain ni le boulanger ses souliers qu'ils sont
solidaires l'un de l'autre.
Or on ne fonde pas la morale sur un fait : une prétendue morale de faits n'est
qu'un système utilitaire, un ensemble de recettes pour vivre le plus heureux possible, non un code nous
dictant avec autorité la loi du devoir.
Une seconde raison est que la solidarité est un fait fatal.
Elle résulte, on vient de le dire, d'une loi
nécessaire, celle de la division du travail.
Cette loi s'exerce indépendamment des volontés humaines :
l'évolution des sociétés, comme celle des organismes, est nécessitée par leur constitution.
Les êtres,
humains ou non, se solidarisent progressivement ; mais ce n'est pas parce qu'ils le veulent ; les progrès
de leur adaptation ne sont donc pas des progrès moraux.
Et de plus, dans cette loi imposée du dehors, loi
cosmique par excellence, il n'y a pas de principe d'obligation ; il y a seulement une contrainte, ce qui est
juste le contraire.
Mais, dira-t-on, à un moment donné, l'homme arrive à un certain degré de développement intellectuel ; il
prend alors connaissance des liens qui l'unissent à tous ses semblables (à tous ? même aux Papous ? aux
sauvages du haut Congo ?).
A ce moment il en vient à vouloir cette solidarité, à y collaborer, à la rendre
par son effort conscient plus étroite et plus puissante.
Ne voyez-vous pas que dès lors, devenue
volontaire, elle est devenue morale ? Je réponds : pourquoi la voudra-t-il ? Il n'y a qu'un seul motif
plausible : c'est qu'elle lui est utile.
Quoi qu'on fasse, le principe de la solidarité se ramènera toujours à cette formule égoïste : 'je sens que
j'ai besoin des autres, et si je travaille pour eux, c'est parce que je sais que c'est travailler pour moi.
Conclusion : la solidarité est une vertu.
Mais elle n'est une vertu qu'à condition qu'il y ait avant elle un
principe moral, une idée qui fonde l'obligation, commande le respect et place le mérite et la vertu où ils
doivent être : dans l'intention.
Si l'on prétend au contraire que la solidarité elle-même est ce principe, il
n'y a plus à proprement parler.
de morale, et le pacte social devient le traité précaire et immoral d'une
association de purs intérêts, d'une compagnie d'assurances, où l'on ne paie sa prime que pour toucher un
jour un capital..
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