Peut-on tout expliquer de l'histoire ?
Extrait du document
«
Expliquer quelque chose revient à rendre raison de ce quelque chose, c'est-à-dire à déterminer la cause d'un effet
(cause efficiente) ou la raison de cet effet (cause finale, pensée comme le « ce vers quoi » tend cette chose).
L'acte d'expliquer est donc orienté vers une compréhension de ce qui cause une chose, et de la fin vers laquelle elle
tend.
Le mot « Histoire » désigne toute connaissance basée sur l'observation, la description de faits advenus dans le
passé.
Il y a lieu de distinguer entre l'histoire, récit véridique du passé, et l'Histoire, comme réalité historique,
totalité de ce qui a eu lieu et de ce qui aura lieu dans l'avenir.
Lorsque nous parlons de cours de l'histoire, nous
faisons référence à l'histoire conçue dans sa continuité, dans sa capacité à évoluer avec le temps : il s'agit dans ce
cas de l'évolution historique.
A première vue, la thèse qui consisterait à soutenir que l'on peut tout expliquer de l'histoire ne saurait que nous
surprendre.
En effet, une telle thèse implique qu'il serait possible de rendre raison de l'ensemble des causes des
évènements historiques, et de l'ensemble des fins de ces évènements : or une telle activité nécessiterait un degré
de connaissance et de savoir dont l'être humain n'est nullement susceptible.
Cependant, s'il n'est pas possible de
tout expliquer de l'histoire, peut-être est-il envisageable de déterminer vers quoi elle tend, non dans le détail des
évènements historiques, mais au moins dans son mouvement global.
Enfin, nous verrons que sur le fondement de
cette connaissance de la fin vers laquelle tend globalement le mouvement historique, il est possible d'expliquer la
cause finale de celui-ci.
La question au centre de notre travail sera donc de déterminer dans quelle mesure il est possible de rendre raison
des causes efficientes et des causes finales à l'œuvre dans l'histoire.
I.
Nous ne pouvons tout expliquer de l'histoire en raison des limites nécessaires de notre
esprit
a.
On ne peut tout expliquer de l'histoire car elle dépasse notre entendement
Nous commencerons par soutenir qu'il est impossible de tout expliquer de l'histoire, dans la mesure où celle-ci
dépasse les limites de notre entendement.
En effet, tout expliquer de l'histoire impliquerait de connaître l'ensemble
des causes efficientes et l'ensemble des causes finales à l'œuvre dans le monde.
En effet, il faut bien voir que tout
ce qui advient dans le monde est dans une large mesure interconnecté par des chaines causales.
Tel est le sens de
la fameuse phrase de Pascal : « Le nez de Cléopâtre : s'il eut été plus court, la face du monde en eut été
changée ».
A un premier niveau de signification, cette pensée exprime l'idée que si Cléopâtre avait été moins
attirante, elle n'aurait pas séduit Marc-Antoine et la guerre civile entre Octave et Antoine n'aurait peut-être pas eu
lieu : par conséquent, Octave n'aurait sans-doute pas pu devenir empereur et la face du monde romain aurait peutêtre été changée.
Mais à un autre niveau, cette phrase implique que par delà cet évènement, c'est le monde tel
que nous le connaissons qui eut été différent, dans la mesure où il s'est largement construit à partir de l'héritage de
l'empire romain.
Cette pensée montre bien que des évènements en apparence infimes (tels que la forme du nez de
Cléopâtre) peuvent être à l'origine de conséquences considérables.
Or, tout expliquer de l'histoire, reviendrait à être
capable de connaître l'ensemble des causes qui ont pu entrainer des effets de nature historique.
En d'autres termes,
tout expliquer de l'histoire requiert un esprit suffisamment vaste pour embrasser la totalité des chaines causales
interconnectées depuis le commencement du monde, ce qui est impossible à tout autre qu'à Dieu, qui, notamment
chez Pascal, à l'entendement assez grand pour y parvenir.
b.
On ne peut tout expliquer de l'histoire car des documents nous manquent nécessairement
Mais c'est pour une autre raison que nous ne pouvons tout expliquer de l'histoire : car l'histoire est forcément
fondée sur des données partielles et partiales.
En effet, l'écriture de l'histoire nécessite toujours des documents,
l'analyse de « traces », comme l'illustre ce texte :
« Les champs à moitié moissonnés de Bouvines furent ce jour là le lieu d'un événement mémorable.
Les
événements sont comme l'écume de l'histoire, des bulles, grosses ou menues, qui crèvent en surface, et dont
l'éclatement suscite des remous qui plus ou moins loin se propagent.
Celui-ci a laissé des traces très durables :
elles ne nt pas aujourd'hui tout à fait effacées.
Ces traces seules lui confèrent existence.
En dehors d'elle,
l'évènement n'est rien ».
Le Dimanche de Bouvines, 1973, Georges Duby..
»
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