Peut-on s'opposer à la raison ?
Extrait du document
«
La raison constitue la faculté que possède l'homme pour relier entre elles des pensées, des idées, de sorte à
constituer un raisonnement cohérent qui a pour fin la maîtrise de l'objet pensé, que cette maîtrise prenne la forme
de la pensée ou de la technique.
Or, il est possible de se révolter contre cet usage de notre esprit, si l'on estime
que la maîtrise technique est une mauvaise chose, ou si l'on pense que l'accès à la vérité constitue une chimère à
laquelle il n'est pas sérieux de consacrer son temps.
Or, se révolter contre la raison, n'est-ce pas se retourner
contre cela même qui constitue l'homme comme homme ? Et n'est-ce pas, surtout, contradictoire, avec l'acte même
de se révolter, cet acte, pour se justifier, devant précisément en passer par la raison ? Peut-on donc s'opposer
contre cela même par quoi est possible toute position d'une opposition ?
I.
La misologie, ou haine de la raison : la vérité est une vaine chimère
La critique de la misologie se trouve chez Platon (Phédon, 89c-91c) : la misologie, c'est la haine des raisonnements,
en tant que la confiance que l'on a pu avoir en la raison a été trahie par l'incapacité de celle-ci à me faire accéder à
une vaine vérité.
Or, précise Platon, la misologie est le fait d'individus qui ne savent pas en user avec les choses de
l'intelligence : si l'on trouve la bonne voie, c'est-à-dire la bonne méthode de raisonnement, on peut parfaitement
parvenir à une vérité absolue : Platon oppose la science dialectique à la controverse sophistique.
• Platon explique dans le Phédon que la misologie résulte d'une « incompétence lamentable » se méprenant sur la
nature des raisonnements.
C'est par défaut de connaissance que l'on en vient à haïr la raison.
Mais cette dernière
n'en est nullement responsable.
La rhétorique fait de la langue un écran entre les choses et nous.
Pour Platon, seul l'homme de bien parle les yeux
fixés sur l'être, en cherchant à rendre sa parole nécessaire (méthode dialectique).
Le silence de Calliclès est alors
une véritable négation du logos : il n'est plus pour lui ni parole susceptible de vérité, ni reflet de la seule vie
affective, ni même un enjeu politique, mais une chose dont on se défait parce qu'on est convaincu de sa faiblesse.
La misologie (haine du logos) de Calliclès plonge ses racines dans le sentiment d'une nature dont seuls les rapports
de force expriment l'exacte proportion.
"SOCRATE : Mais avant tout mettons-nous en garde contre un danger.
PHÉDON : Lequel ? dis-je.
S.
– C'est, dit-il, de devenir misologues, comme on devient misanthrope ; car il ne peut rien arriver de pire à un
homme que de prendre en haine les raisonnements.
Et la misologie vient de la même source que la misanthropie.
Or,
la misanthropie se glisse dans l'âme quand, faute de connaissance, on a mis une confiance excessive en quelqu'un
que l'on croyait vrai, sain et digne de foi, et que, peu de temps après, on découvre qu'il est méchant et faux, et
qu'on fait ensuite la même expérience sur un autre.
Quand cette expérience s'est renouvelée souvent (...), on finit,
à force d'être choqué, par prendre tout le monde en aversion et par croire qu'il n'y a absolument rien de sain chez
personne.
N'as-tu pas remarqué toi-même que c'est ce qui arrive ?
P.
– Si, dis-je.
S.
– N'est-ce pas une honte ? reprit-il.
N'est-il pas clair que lorsqu'un homme entre en rapport avec les hommes, il
n'a aucune connaissance de l'humanité ; car, s'il avait eu quelque connaissance, en traitant avec eux, il aurait jugé
les choses comme elles sont, c'est-à-dire que les gens tout à fait bons et les gens tout à fait méchants sont en
très petit nombre les uns et les autres, et ceux qui tiennent le milieu en très grand nombre (...).
P.
– C'est vraisemblable, dis-je.
S.
– Oui, c'est vraisemblable, reprit Socrate ; mais ce n'est pas en cela que les raisonnements ressemblent aux
hommes (...) ; mais voici où est la ressemblance.
Quand on a cru, sans connaître l'art de raisonner, qu'un
raisonnement est vrai, il peut se faire que peu après on le trouve faux, alors qu'il l'est parfois et parfois ne l'est pas,
et l'expérience peut se renouveler sur un autre et un autre encore.
Il arrive notamment, tu le sais, que ceux qui ont
passé leur temps à controverser finissent par s'imaginer qu'ils sont devenus très sages et que, seuls, ils ont
découvert qu'il n'y a rien de sain ni de sûr ni dans aucune chose ni dans aucun raisonnement, mais que tout est
dans un flux et un reflux continuels, comme dans l'Euripe, et que rien ne demeure dans le même état.
P.
– C'est parfaitement vrai, dis-je.
S.
– Alors, Phédon, reprit-il, s'il est vrai qu'il y ait des raisonnements vrais, solides et susceptibles d'être compris, ne
serait-ce pas une triste chose de voir un homme qui, pour avoir entendu des raisonnements qui, tout en restant les
mêmes, paraissent tantôt vrais, tantôt faux, au lieu de s'accuser lui-même et son incapacité, en viendrait par dépit
à rejeter la faute sur les raisonnements, au lieu de s'en prendre à lui-même, et dès lors continuerait toute sa vie à
haïr et ravaler les raisonnements et serait ainsi privé de la vérité et de la connaissance de la réalité ?
P.
– Oui, par Zeus, dis-je, ce serait une triste chose.
S.
– Prenons donc garde avant tout, reprit-il, que ce malheur ne nous arrive.
Ne laissons pas entrer dans notre âme
cette idée qu'il pourrait n'y avoir rien de sain dans les raisonnements ; persuadons-nous bien plutôt que c'est nous
qui ne sommes pas encore sains et qu'il faut nous appliquer virilement à le devenir (...)." PLATON
II.
La raison est ce par quoi l'homme de la nature se fourvoie de cette naturalité.
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