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Peut-on séparer un fait de toute interprétation?

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« Des expressions telles que « Les faits ont toujours raison » renvoie à une certaine idée de la facticité, c'est-à-dire à une qualité du fait qui le rend objectif et vrai en soi.

Le fait serait la réalité même, dans sa nudité et s'accorder avec lui nous permettrait de rester dans le vrai.

Cependant, se demander si l'on peut séparer un fait de toute interprétation sous-entend qu'une telle séparation serait susceptible de remettre en cause la facticité du fait.

Elle se demande même si l'on doit (« peut-on », au sens de « est-il permis de ») raisonnablement souhaiter une telle scission entre fait et interprétation. Ainsi, il s'agit à la fois de déterminer précisément le type de réalité auquel nous renvoie le fait.

Est-il, par nature, une information neutre et objective, la pure apparition de quelque chose ? Cela nécessite en outre de s'interroger sur le statut de l'interprétation elle-même : celle-ci est-elle ce qui masque les faits – comme l'envers de l'objectivité – ou bien ce qui les révèle ? Est-elle une vue subjective et biaisée sur les choses ou bien un cadre théorique au sein duquel se déploient les faits eux-mêmes ? Nous verrons notamment pour cela comment les faits interagissent avec les théories scientifiques. I – Interprétation et phénoménologie L'interprétation n'a pas pour but la détermination neutre des objets ou des faits, indépendamment de leur considération par une conscience, mais bien la constitution de ceux-ci tels qu'il sont pour une conscience. Une telle conception de l'interprétation s'appuie sur l'héritage de la phénoménologie, dont Husserl est le représentant principal.

Selon lui, la conscience est toujours conscience de quelque chose, c'est-à-dire qu'elle se rapporte toujours, d'un certain point de vue, à un objet.

Il n'y a donc pas de rapport aux choses qui ne soit déjà médiatisé, qui ne soit en un sens une interprétation. On trouve cette citation dans la seconde partie des « Méditations cartésiennes » (1929).

Husserl (1859-1938) est le fondateur de la phénoménologie et le précurseur de ce que l'on nomme l'existentialisme. Le mot d'ordre de la phénoménologie est le retour aux choses mêmes.

Il s'agit de se battre contre une conception positiviste de la science et contre les faux savoirs, pour s'interroger à nouveaux frais sur la façon dot les choses nous apparaissent. Notre citation apparaît dans les « Méditations métaphysiques ».

Le titre dit assez que Husserl entend se réapproprier le projet cartésien de fonder les sciences.

Mais il tente aussi, dans ce qu'il nomme « les temps de détresse », de fonder une véritable science de l'esprit, en se battant à la fois contre le « psychologisme » et contre le modèle des sciences objectives de la nature. « Partout à notre époque se manifeste le besoin pressant d'une compréhension de l'esprit […] Ma conviction est que la phénoménologie a fait la première fois de l'esprit en tant qu'esprit le champ d'une expérience et d'une science systématique, et opéré par-là le retournement total de la tâche de la connaissance.

» On retrouve donc, au départ de notre texte, la même exigence de rigueur, de radicalité que chez Descartes.

Husserl aussi pratique une sorte de doute qui consiste à suspendre notre croyance naïve et naturelle au monde et à son existence.

Lui aussi découvre comme première certitude le « Je pense ». Mais Descartes était pressé de fonder la science de son temps, et s'il découvrait le dualisme, il faisait de la conscience une chose qui pense.

Descartes établissait une sorte de parallèle entre la « chose étendue », le corps, et la « chose qui pense », la conscience. Husserl reste attentif à une propriété remarquable de la conscience : « Toute conscience est conscience de quelque chose ». Chaque fois que je pense, je pense bien à quelque chose.

Cela veut dire que le « Je », la conscience vise toujours autre chose qu'elle-même.

La conscience, si l'on veut, n'est jamais enfermée en elle-même, elle est toujours le mouvement de se dépasser vers autre chose, vers un objet.

Que la conscience soit toujours en mouvement vers autre chose, cela signifie que toute activité psychique est toujours dirigée vers autre chose qu'elle-même.

On ne peut plus, comme tendait à le faire Descartes, assimiler la conscience à une chose ou à une intériorité. Précisément, ce qui différencie la conscience de toutes les choses, de tous les objets –qui sont ce qu'ils sontc'est son caractère dynamique, qui fait qu'elle est toujours rapport à autre chose qu'elle-même, dépassement, mouvement, vers un autre.

La pensée porte toujours un rapport au monde.

Etre conscient, c'est d'abord être présent au monde. Les existentialistes (surtout Sartre) seront particulièrement attentifs à ce que Husserl nomme « intentionnalité », et qui désigne ce caractère de la conscience d'être toujours conscience de.

Voici comment Sartre commente cette formule : « Connaître, c'est s'éclater vers », s'arracher à la moite intimité gastrique pour filer là-bas, par delà soi , vers ce qui n'est pas soi, là-bas près de l'arbre, et cependant hors de lui .» La pensée est décrite ici en terme de mouvement, de dynamique, et non plus de « moite intimité ». Non seulement il n'y a pas de commune mesure entre les propriétés de la matière et celles de la pensée, mais il faut ajouter que les choses et la conscience n'ont pas la même manière d'être.

L'existence propre de la conscience est cette capacité de se transcender, de se projeter vers autre chose, de porter un rapport au monde auquel, par-là même, elle est présente.. »

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