Peut-on se prononcer avec objectivité sur la valeur d'une oeuvre d'art ?
Extrait du document
«
Dans sa réflexion sur le jugement esthétique, Kant nous montre que quand nous disons " c'est beau ", nous faisons
comme si la beauté était une qualité de l'objet et par- là même comme si tout le monde devait trouver cela beau.
En
ce sens, la beauté serait une propriété des choses et alors il serait possible de la prouver par des arguments
irréfutables qui seraient la preuve même que l'œuvre d'art est un objet que nous pouvons expliquer et envisager
indépendamment de nos préférences et de notre subjectivité.
Mais Kant précise que nous faisons en fait comme si
la beauté était une propriété de la chose et c'est le " comme si " qui est important ici.
En effet, cela ne signifie pas
que l'objet est objectivement beau, sans quoi la science pourrait nous prouver qu'une œuvre d'art est belle mais elle
en est bien incapable, c'est le jugement que nous portons qui est essentiel, en ce que se met en route un jeu de
nos facultés (imagination, entendement, le beau donne à rêver, à penser...).
L'universalité du jugement est donc
beaucoup plus à chercher dans l'idée d'un sens commun esthétique : la beauté nous plaît d'une manière universelle,
elle interpelle nos facultés, qui sont communes à tous les hommes.
Il s'agit alors de distinguer les faits (tout le
monde ne trouve pas nécessairement l'objet beau) et ce qui devrait être (tout le monde devrait trouver cela beau).
Dès lors je ne peux convaincre autrui de la beauté d'une œuvre d'art sans pouvoir disposer de preuves objectives
mais en faisant le pari que ses facultés sont les mêmes que moi et qu'il sera, lui aussi, ému par l'œuvre d'art.
La
conviction ne repose alors sur aucun discours mais suppose une intime conviction de chacun.
Il est donc possible
d'être dans une perspective à la fois subjective (pas de satisfaction esthétique sans sensibilité) tout en étant dans
l'universalité (pas de satisfaction esthétique sans prétention à voir cette satisfaction partagée en droit par tous).
1° De la subjectivité du jugement esthétique
• Les goûts varient d'une personne à l'autre, selon les époques différentes.
Irréductible diversité que rien ne semble
pouvoir résoudre.
• Si le goûts sont la chose du monde la moins partagées.
Ils nous sont ce qu'il y a de plus intime, de moins
partageables.
Le goût est critiqué.
Nous ne nous lassons pas de critiquer le mauvais goût des autres: le goût est
presque toujours le dégoût des autres (Bourdieu).
• Les goûts sont affaire de la sensibilité et par conséquent sont l'expérience la plus directe de la subjectivité.
Et ce
avant toute réflexion.
Parfois ils nous trahissent.
• Discuter des goûts = dialogue platonicien (raison et arguments).
• On chercherait en vain des principes d'une telle cohérence dans la sensibilité.
• "Celui-ci aime le son des instruments à vent, celui-là aime les instruments à cordes.
Ce serait folie que de discuter
à ce propos, afin de réputer erroné le jugement d'autrui, qui diffère du nôtre, comme s'il lui était logiquement
opposé; le principe: 'A chacun son goût' (s'agissant des sens) est un principe valable pour tout ce qui est agréable"
(Kant in CFJ).
• En ce qu'ils se rapportent aux seuls sens, et en ce qu'ils nous font juger de manière épidermique de l'agrément que
nous procurent les choses qui nous plaisent, ou du désagrément causé par celles qui ne nous plaisent pas, les goûts
sont irréductiblement différents et la discussion n'est pas de mise.
Transition:
• Le relativisme ( la subjectivité du jugement de gout) n'est-il pas un argument paresseux qui coupe court à toute
discussion et qui surtout abandonne les goûts à l'emprise de l'autorité des critiques ou à l'influence massive de la
mode, véritable dictature du goût? C'est quand on dit: "A chacun son goût", que celui-ci est en fait le moins
personnel et le plus préfabriqué.
2° Le jugement de goût est un jugement de connaissance
Nos jugements de goût sont contradictoires puisque à la fois nous disons: « c'est beau », et renvoyons le jugement
à la subjectivité de chacun.
Et, de fait les jugements sont divers et il semble impossible de les ramener à l'unité.
Mais, considérons les choses de plus près.
Le consensus n'est-il pas étonnant ? Après tout n'y a-t-il pas moins de
désaccord sur la grandeur de Sophocle, sur la beauté du ciel étoilé que sur la théorie du big-bang? Cet accord
surprenant des esprits n'est-il pas l'indice de l'objectivité du beau ? Nous pouvons nous accorder donc que la beauté
est quelque chose que nous saisissons dans l'objet.
C'est à partir du XVIe sous l'impulsion de la redécouverte de la culture gréco-latine et de l'esthétique grecque imitée
par les Romains et surtout au XVIIe que la question du beau fait l'objet d'un examen particulier, de la part des
artistes et des philosophes.
Il revient donc à l'esthétique de la Renaissance et du XVIle, appelée classique, d'avoir
dégagé les règles de production du bel objet.
L'inspiration en est platonicienne.
S'inspirant de la théorie
platonicienne du beau ( attention: absolument pas de sa critique de l'art bien que celle-ci en raison de son
ambiguïté ait permis la réconciliation de l'art et du beau opérée par l'esthétique classique), l'esthétique classique
considère le beau comme une réalité qui existe par soi.
Le beau existe et une fleur ou une oeuvre d'art sont belles
parce que la beauté est présente en elles.
Elles ne sont pas belles pour nous mais en elles-mêmes.
Elles ne sont pas
belles parce que nous les trouvons belles; nous les trouvons belles parce qu'elles sont belles.
Quelles sont alors les
propriétés de ce qui est beau? Là encore la conception platonicienne de la beauté inspire la réponse à cette
question.
1) La perfection.
Ce qui est beau est ce à quoi il ne manque rien.
Rien de ce qui appartient à sa nature ne lui fait
défaut.
De même qu'un cheval avec des oreilles d'âne n'est pas beau, de même une oeuvre inachevée n'est pas
belle.
On n'aurait jamais exposé à l'époque des esquisses..
»
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