Peut-on reprocher à une oeuvre d'art de ne rien valoir ?
Extrait du document
«
Introduction
Si l'on nous montre côte à côte un tableau et le chiffon sur lequel le peintre a essuyé ses pinceaux, nous saurons
sans peine dire lequel des deux est une oeuvre d'art.
La toile se distingue du chiffon parce que les couleurs et les
formes qui y sont déposées ont une unité interne, une cohérence qui « veulent dire quelque chose ».
Aussi sommesnous tentés, face à des oeuvres déroutantes, de les disqualifier en leur reprochant de « ne rien vouloir dire ».
Mais
ce critère est-il vraiment pertinent pour le jugement esthétique? Que voulons-nous dire en affirmant qu'une oeuvre
d'art doit vouloir dire quelque chose? Son silence ne peut-il pas au contraire être un attribut essentiel de l'art?
1.
L'oeuvre d'art doit nous dire quelque chose
Kant a bien montré que notre jugement sur l'art ne relève ni du simple plaisir
ni de la compétence technique mais d'une satisfaction esthétique, fruit du
libre jeu des facultés de l'esprit (entendement et imagination).
Il semble
qu'une des règles élémentaires de ce jeu soit la présence d'un sens qui nous
permet de percevoir l'oeuvre d'art en tant que telle.
Hegel montrera que
l'oeuvre d'art manifeste l'Esprit.
"Quel but l'homme poursuit-il en imitant la nature ? Celui de s'éprouver luimême, de montrer son habileté et de se réjouir d'avoir fabriqué quelque chose
ayant une apparence naturelle.
Mais cette joie et cette admiration de soimême ne tardent pas à tourner en ennui et mécontentement, et cela d'autant
plus vite et plus facilement que l'imitation reproduit plus fidèlement le modèle
naturel.
Il y a des portraits dont on a dit assez spirituellement qu'ils sont
ressemblants jusqu'à la nausée.
D'une façon générale, la joie que procure une
imitation réussie ne peut être qu'une joie très relative, car dans l'imitation de
la nature le contenu, la matière sont des données qu'on n'a que la peine
d'utiliser.
L'homme devrait éprouver une joie plus grande en produisant
quelque chose qui soit bien de lui, quelque chose qui lui soit particulier et
dont il puisse dire qu'il est sien.
Tout outil technique, un navire par exemple
ou, plus particulièrement, un instrument scientifique doit lui procurer plus de
joie, parce que c'est sa propre oeuvre, et non une imitation.
Le plus mauvais
outil technique a plus de valeur à ses yeux ; il peut être fier d'avoir inventé le
marteau, le clou, parce que ce sont des inventions originales, et non imitées.
L'homme montre mieux son habileté
dans des productions surgissant de l'esprit qu'en imitant la nature." HEGEL
1.
Dégagez l'idée directrice et les étapes de l'argumentation.
2.
Expliquez les deux propositions suivantes.
1.
Partant d'exemples tirés de l'art (le portrait) et terminant en se référant aux « outils techniques », Hegel propose
une réflexion sur l'activité technique au sens le plus large, en se demandant quel aspect de cette activité procure à
l'artiste ou à l'artisan la joie la plus profonde.
Son but est de démontrer que ce n'est pas l'imitation de la nature qui
apporte une telle joie mais plutôt la création originale.
Il procède a contrario, en commençant par étudier ce qu'apporte l'imitation de la nature.
Il évoque très brièvement
la joie que l'imitateur tire de son habileté, pour souligner puis expliquer l'aspect fugitif et décevant de cette joie :
finalement, l'imitateur a produit, mais n'a pas créé.
Hegel peut alors par contraste montrer en quoi réside la fonction
la plus haute de l'art et de la technique aboutir à des créations portant la marque de la liberté et de l'esprit
humains.
2.
a.
« Cette joie et cette admiration de soi-même ne tardent pas à tourner en ennui et mécontentement»
Pourquoi en effet ce renversement d'une légitime satisfaction ? Car après tout, il faut un réel talent pour imiter la
nature.
En effet, comme le dit Aristote, la nature procède par un principe interne, organique, alors que l'imitation
doit retrouver le même résultat par un principe externe.
Cela requiert de l'habileté, de l'ingéniosité, que ce soit pour
un portrait, pour l'imitation d'un chant d'oiseau ou pour la confection d'une fleur en tissu.
Mais cette extériorité est peut-être la première source d'ennui : la nature imitée a beau être parfaite d'apparence,
elle n'en reste pas moins « morte », inerte.
Une partie de la beauté de la rose naturelle tient à son caractère
éphémère ; la rose en plastique ou en tissu ne flétrit pas, reste toujours égale à elle-même.
L'ennui vient en partie
de l'absence de changement.
On peut d'autre part noter l'idée de temps: la joie est réelle mais ne dure pas car la contemplation de l'ouvrage
n'apporte vite plus rien de neuf : on voit seulement un reflet de nature et non une trace de l'esprit.
b.
« L'homme devrait éprouver une joie plus grande en produisant quelque chose qui soit bien de lui »
Cette seconde affirmation confirme et complète la première : si l'imitation de la nature ennuie, c'est que l'esprit n'y
trouve pas son compte.
Mais que signifie ce « quelque chose qui soit bien de lui » ?
Il s'agit de la production originale.
Non pas celle qui serait nécessairement bizarre, excentrique, provocatrice, mais
plutôt celle qui représente une réelle création par rapport à la nature.
• L'oeuvre d'art se distingue des objets naturels..
»
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