Peut-on reprocher à l'art d'être inutile ?
Extrait du document
«
Parties du programme abordées :
- L'art.
- Le travail.
Analyse du sujet : L'art est une forme de travail humain dont l'enjeu pratique et utilitaire n'est pas le principal.
Est-ce un défaut que
l'art devrait corriger, par exemple en se mettant au service d'une morale ou d'une éthique, ou bien une activité dénuée de tout intérêt
matériel peut-elle aussi être constitutive de l'être de l'homme ?
Conseils pratiques : Commencez par bien conceptualiser la notion d'utilité et son ambivalence.
Interrogez-vous également sur la
force de l'expression peut-on : dans certains cas (art totalitaire en URSS ou jdanovisme), elle est plutôt interprétée comme doit-on.
Bibliographie :
Hegel, L'Esthétique, Textes choisis, PUF.
Heidegger, Chemins qui ne mènent nulle part, I, Gallimard.
Kant, Critique de la faculté de juger, 1er partie, Vrin.
Platon, La République, Garnier-Flammarion.
Difficulté du sujet : **
Nature du sujet : Classique
1.
L'inspiration mal inspirée
• La réaction première nous porte à contester violemment : l'art semble tout à fait utile.
Dès lors le sens de la question n'apparaît pas :
pourquoi remettre en cause ce qui semble l'évidence même?
• Pourtant, l'adjectif «inutile» est attribué à l'art, autrement dit, il qualifie l'art.
L'inutilité est alors une propriété considérée comme appartenant à l'art.
Il s'agit bien de l'inutilité DE l'art.
Ainsi le problème posé est : compte tenu que l'art est inutile, ou, parce que l'inutilité fait partie de l'art comme caractéristique, peut-on
lui en faire le reproche?
Peut-on reprocher à l'art ce fait d'être inutile?
La discussion consiste alors à se demander, d'abord si on est réellement en mesure de faire à l'art un tel reproche, et ensuite, si on est
fondé à le faire, si on en a le droit.
L'inutilité de l'art est ici radicalement hors discussion.
2.
Pistes de réflexion
• Une première phase de l'analyse se demanderait en quel sens serait-on en mesure, aurait-on la capacité de reprocher à l'art son
inutilité.
Si c'est un reproche, c'est donc que ce caractère semble négatif.
Par rapport à quoi? Le mot lui-même se donne la peine de l'indiquer !
Inutile = ne pas être utile.
C'est utile qui est positif, et pas sa négation.
C'est donc le critère à la lumière duquel l'art est évalué.
Si positif= utile, c'est-à-dire si le concept d' «utile» concentre en lui toute positivité, alors, en effet, le reproche peut lui être fait de ne
rien valoir.
Produisant des réalités sans valeur, puisque inutiles, l'activité et l'état d'esprit artistiques sont eux-mêmes sans valeur.
On montrerait alors que c'est précisément dans cette perspective que se développeront des thèses utilitaristes de l'art.
En effet, comme
on déplore son inutilité foncière, on va tout de même essayer de le «faire servir à quelque chose»! Et là, on repérera les diverses
fonctions que l'on attribuera à l'art: psychologiques, historiques et culturelles, sinon politiques, religieuses ou...
philosophiques !
• Une deuxième phase signalerait que si on est en mesure, comme on vient de le voir, de reprocher à l'art son inutilité, cela signifie-t-il
que pour autant on en ait la légitimité, le droit?
En effet, ici, n'est-ce pas reprocher à une certaine réalité, d'être...
ce qu'elle est ? Cela a-t-il un sens? Faire à l'art ce reproche, c'est lui
reprocher d'être de l'art et...
pas de la technique, par exemple ! Autrement dit, c'est lui reprocher de ne pas être par essence, de
l'ordre du moyen, de l'intermédiaire, de l'instrument.
au service d'une fin et selon le critère d'efficacité.
(à bien montrer par une petite
étude comparative).
• La troisième phase, développant tant les thèmes de la création que de la contemplation esthétiques, montrerait que l'art «rend visible
l'invisible» selon le beau mot de Paul Klee (un bon paragraphe expliquerait le sens de ce propos sur l'art).
Le beau est ce qui nous apparaît dans sa plus grande vérité : ce qui est beau, ce n'est pas une reproduction servile d'un objet réel,
mais la chose en sa plus grande perfection.
L'apparence est ce qui révèle la vérité de la chose représentée : l'artiste qui joue sur les
apparences n'est pas l'illusionniste ou le faussaire (comme le voulait Platon), mais celui qui se sert des apparences pour nous montrer
l'objet beau dans sa plus grande vérité.
L'art ne reproduit pas le visible, il rend visible selon le mot de Paul Klee.
L'apparence nous fait
accéder à une vérité supérieure à celle de la science objective.
Aristote dira: « De ce qui a été dit il résulte clairement que le rôle du
poète est de dire non pas ce qui a réellement eu lieu mais ce à quoi on peut s'attendre, ce qui peut se produire conformément à la
vraisemblance ou à la nécessité.
En effet, la différence entre l'historien et le poète ne vient pas du fait que l'un s'exprime en vers ou
l'autre en prose (on pourrait mettre l'oeuvre d'Hérodote en vers, et elle n'en serait pas moins de l'histoire en vers qu'en prose); mais
elle vient de ce fait que l'un dit ce qui a eu lieu, l'autre ce à quoi l'on peut s'attendre.
Voilà pourquoi la poésie est une chose plus
philosophique et plus noble que l'histoire: la poésie dit, plutôt le général, l'histoire le particulier.
Le général, c'est telle ou telle chose
qu'il arrive à tel ou tel de dire ou de faire, conformément à la vraisemblance ou à la nécessité : c'est le but visé par la poésie, même si
par la suite elle attribue des noms aux personnages.
Le particulier, c'est ce qu'a fait Alcibiade, ou ce qui lui est arrivé.
» ARISTOTE in «
Poétique » (1451 b).
L'utile n'étant pas la seule valeur existante, on pourra alors défendre l'idée que l'art, en dépit de son inutilité, est tout à fait positif.
On irait même plus loin : beauté et vérité prennent en l'art de telles dimensions qu'il plonge au plus profond de l'humaine condition, ce
qui l'habite comme ce qui la hante.
L'art, alors, ne serait pas positif malgré son inutilité mais en raison de son inutilité.
On ne peut donc reprocher à l'art d'être inutile puisque c'est grâce à cette inutilité que l'art sait être, dans une tension sans relâche,
l'homme lui-même en quête d'Être et de Sens..
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