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Peut-on rencontrer l'idée de destin en réfléchissant sur la liberté ?

Extrait du document

« Il vous faut ici vous interroger sur les rapports entre les notions de destin et de liberté.

On entend par destin l'enchaînement fixé d'avance du cours des événements d'une existence.

Dès lors, la notion de destin suppose généralement une intelligence ou une puissance pré destinatrices qui déterminent d'avance où, quand et comment les choses vont arriver.

La notion de destin conduit dès lors à une forme de fatalisme.

Ainsi, si les choses sont déterminées par avance, il semble bien difficile de parler de liberté.

Au mieux cette liberté serait une illusion : je pourrais me croire libre car j'ignore mon destin, mais en aucun cas cette liberté serait une réalité.

En effet, la liberté suppose le choix, l'auto détermination qui sont rendus impossibles par l'existence du destin. C'est en ce sens que l'idée d'une liberté de la volonté est absente de la tragédie grecque classique qui invoque le destin.

Cette idée d'une liberté de la volonté apparaît surtout avec le judéo-christianisme : j'ai la liberté d'obéir ou non à l'interdit divin de toucher à l'arbre de la connaissance du bien et du mal. Pour parler alors de liberté il vaudrait mieux parler de destinée que de destin.

Réfléchissez à la différence entre ces deux termes.

Vous pouvez alors montrer également en quoi il y a une contradiction au sein de certains discours tels que l'astrologie.

En effet, cette dernière suppose un destin inscrit dans les astres et affirme en même temps la liberté humaine d'agir ou non conformément à ce destin. [Pour les stoïciens, pour Montaigne, pour Leibniz ou Heidegger, le destin traîne celui qui le refuse; il guide celui qui l'accepte volontairement.

L'homme libre, c'est le sage qui fait sienne la loi interne des choses.] Il existe un ordre de la nature que l'homme est incapable de contester C'est le destin rationnel des stoïciens.

Mais Épictète (50-125) n'en conclut nullement à une privation de la liberté: il distingue simplement les choses «qui dépendent de nous» et celles «qui n'en dépendent pas».

Nos sentiments, nos opinions, nos jugements dépendent de nous.

Notre corps, notre santé, la mort même, n'en dépendent pas.

L'homme peut être libre dans l'assentiment qui lui permet d'adhérer à la vérité.

Etre libre consiste à vivre en accord avec la nature. La liberté, c'est le pouvoir que nous donne notre esprit de maîtriser notre jugement sur les choses.

C'est dans l'empire sur soi-même que réside le bonheur.

L'homme doit essayer d'adopter à l'égard des choses qui peuvent le toucher la même attitude qu'à l'égard de celles qui ne le touchent pas. En effet, pour les Stoïciens, il y a deux sortes d'événements, ceux qui dépendent de nous et ceux qui ne dépendent pas de nous.

Si la sagesse repose sur l'acceptation des choses telles qu'elles sont, être sage consistera à limiter l'usage de sa volonté. La source de tout bien et de tout mal que nous pouvons éprouver réside strictement dans notre propre volonté.

Nul autre que soi n'est maître de ce qui nous importe réellement, et nous n'avons pas à nous soucier des choses sur lesquelles nous n'avons aucune prise et où d'autres sont les maîtres. Les obstacles ou les contraintes que nous rencontrons sont hors de nous, tandis qu'en nous résident certaines choses, qui nous sont absolument propres, libres de toute contrainte et de tout obstacle, et sur lesquelles nul ne peut agir.

Il s'agit dès lors de veiller sur ce bien propre, et de ne pas désirer celui des autres ; d'être fidèle et constant à soi-même, ce que nul ne peut nous empêcher de faire.

Si chacun est ainsi l'artisan de son propre bonheur, chacun est aussi l'artisan de son propre malheur en s'échappant de soi-même et en abandonnant son bien propre, pour tenter de posséder le bien d'autrui.

Le malheur réside donc dans l'hétéronomie : lorsque nous recevons de l'extérieur une loi à laquelle nous obéissons et nous soumettons. Nul ne nous oblige à croire ce que l'on peut dire de nous, en bien ou en mal : car dans un cas nous devenons dépendants de la versatilité du jugement d'autrui, dans l'autre nous finissons par donner plus de raison à autrui qu'à nous-mêmes.

Enfin, à l'égard des opinions communes comme des théories des philosophes, ou même de nos propres opinions, il faut savoir garder une distance identique à celle qui est requise dans l'habileté du jeu, c'est-à-dire qu'il faut savoir cesser de jouer en temps voulu.

Dans toutes les affaires importantes de la vie, nul ne nous oblige en effet que notre propre volonté. L'homme est «un être pour la mort» L'expression est de Martin Heidegger, elle exprime parfaitement que la mort est un destin inéluctable que rencontre toute réflexion sur la liberté.

On ne connaît que la mort, attendue ou accidentelle, des autres.

La mort est celle des proches ou des inconnus.

Elle est un événement naturel, banal, pris dans l'ordinaire des faits divers quotidiens : "La mort se présente comme un événement bien connu qui se passe à l'intérieur du monde." Cette banalité quotidienne des événements se caractérise par l'absence d'imprévu, et la mort comme événement ne déroge pas à la règle.

En revanche, ma propre mort est un événement prévu, qui fait l'objet d'une absolue certitude, mais comme réalité absente, non encore donnée, elle est indéterminée et pour cette raison n'est pas à craindre.

L'expérience me montre qu"'on meurt", c'est-à-dire que la mort concerne avant tout le "on" : tout le monde, et personne en particulier.

Et tant que l"'on meurt", ce n'est précisément jamais moi qui meurs.

"On", c'est tous, donc pas moi en particulier.

Dans l'expérience quotidienne de la vie, le "fait de mourir" est ramené au niveau d'un événement qui concerne bien la réalité humaine, mais elle advient toujours pour moi par procuration.

Dans la réalité humaine et sociale, la mort est un événement qui relève du domaine public.

A ce titre de pseudo-réalité, nous en oublions ses éléments constitutifs : en soi, la mort est un inconditionnel et un indépassable qui fonde la possibilité de ma propre existence et sa prise de conscience. Elle est un impensable qui fait le fond de la possibilité de penser mon existence propre : "Le "on" justifie et aggrave la tentation de se dissimuler à soi-même l'être pour la mort, cet être possédé absolument en propre." Quand on dit que la mort n'est "pas encore, pour le moment", on s'accroche à la réalité humaine pour se voiler la certitude que l'on mourra un jour.

On fuit la mort, parce que c'est une pensée fatigante et inaccessible, et que nos soucis quotidiens nous paraissent plus importants que la réflexion sur le fondement de tout être humain d'être un être pour la fin.

La mort est sans cesse différée, et sa préoccupation laissée à l'opinion générale. «Philosopher, c'est apprendre à mourir» La phrase de Montaigne est célèbre et dit clairement que, pour vivre en homme libre, il faut accepter son destin.

C'est d'ailleurs ce destin qui exige de l'homme qu'il choisisse librement un sens, une orientation, une direction.

«Que fais-tu de ta vie, toi qui es condamné à mort?», demande Heidegger.. »

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