Peut-on prouver la liberté par l'analyse et l'expérience psychologique ?
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Peut-on prouver la liberté par l'analyse et l'expérience psychologique ?
INTRODUCTION.
— Il y a toujours eu, et surtout depuis le magnifique essor des sciences au XIXe siècle, des
partisans du déterminisme pour lesquels, dans la vie psychologique de l'homme comme dans le monde matériel, tous
les événements dépendent rigoureusement de ceux qui précèdent, en sorte qu'il n'y a qu'une résultante possible.
Mais ce n'est là qu'une attitude théorique.
Dès qu'il passe à l'action, le déterministe le plus convaincu, à moins qu'il
ne soit bien attentif à jouer son rôle jusqu'au bout, se comporte comme le partisan de la liberté : il est fier de.
son
énergie; il apprécie la valeur morale de ses contemporains; lorsque ses enfants ont fait quelque sottise, il les
réprimande et les punit comme s'ils avaient pu ne pas la faire.
Pratiquement, tout le monde croit à la liberté.
Mais cette croyance est-elle fondée ? N'est-elle pas une survivance de conceptions religieuses ou métaphysiques
périmées ? Ou encore un postulat nécessaire de la morale ?
Faut-il admettre, au, contraire, qu'elle est fondée sur des faits et qu'on peut prouver la liberté par l'analyse, et par
l'expérience psychologique ?
I.
C'est l'expérience psychologique qui fournit la preuve de la liberté, celle à laquelle la plupart des autres se
ramènent.
On peut la formuler en très peu de mots: j'ai conscience d'agir librement comme j'ai conscience d'agir.
A.
0n fait à cet argument l'objection suivante; il n'y a conscience d'être libre que s'il y a conscience de choisir entre
deux actes; or, cette conscience est impossible, car on ne peut pas avoir conscience d'avoir pu accomplir l'acte qui
n'a pas été choisi puisqu'il n'a pas été accompli.
On répond que le choix est précédé d'essais divers dans lesquels on expérimente le pouvoir de se déterminer pour le
parti qu'on abandonnera tout aussi bien que pour celui auquel on s'arrêtera.
B.
Mais voici une autre objection, souvent renouvelée et plus psychologique : la prétendue conscience de la liberté
n'est que l'ignorance des
motifs qui nous font agir.
On répond, sans doute : au contraire, la conscience de la liberté résulte si peu de l'ignorance des motifs de notre
action que lorsque nous ignorons ces motifs nous ne nous croyons pas libres.
C.
Cette réponse nous amène à l'objection fondamentale : si l'acte libre est totalement explicable par les motifs, la
liberté n'est-elle pas un vain mot ? Si, au contraire, il dépend d'une intervention de la volonté sans motif ou sans
raison, n'est-il pas inintelligible ?
Pour répondre à cette objection, laissons la considération de l'expérience globale de l'activité libre et analysons un
acte libre particulier.
II.
J'ai dérobé dans le tiroir de mon père un billet de 100 euros; puis je me reprends et, ayant délibéré, je décide de
remettre le billet à sa place; Quels sont les éléments que découvre l'analyse psychologique ?
A.
Si je me contente d'une analyse statique et si je considère mon état de, conscience à un moment donné,
prenant, en quelque sorte, un instantané qui fixe les forces en action à cet instant :
a) je trouve des mobiles (perspective des fantaisies que je pourrais m'offrir avec ce billet; peur d'être pris et honte
d'être montré du doigt comme voleur); des motifs (représentation de l'idéal de loyauté que je m'étais fait);
b) je ne trouve jamais, comme élément déterminant de mon acte, un «je veux» constituant une sorte de
commencement absolu : si je veux c'est que j'ai une raison de vouloir; c'est cette raison qui est la cause dernière et
non la loyauté.
B.
Mais cet, instantané immobile que j'ai tâché d'analyser, est une coupe du réel : ce n'est pas le réel qui est
mobilité et dynamisme.
Une analyse de l'âme eu mouvement, une analyse dynamique, nous montrera un effort pour
maintenir ou amener dans l'esprit les représentations inclinant vers la solution supérieure : c'est dans cette
observation que nous faisons l'expérience de la liberté.
CONCLUSION.
— L'acte libre n'est donc pas le coup d'état Irrationnel que représentent les partisans de la liberté
d'indifférence.
Au contraire, le résultat d'un effort pour mettre plus de vraie raison dans notre activité: au
déterminisme des causes ou des mobile! par lequel sont régis les êtres sans réflexion et sans raison, la liberté
substitue le déterminisme des raisons et des motifs propre à l'homme qui réfléchit et raisonne.
La liberté ne consiste donc pas à échapper au déterminisme, mais à choisir entre le déterminisme des causes et
celui des raisons, ou plutôt à s'élever du déterminisme des causes, qui nous est naturel, à celui des raisons, qui,
pour s'établir en nous, exige un effort prolongé: c'est l'expérience de cet effort qui constitue la preuve
psychologique de la liberté..
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